HIVER COSMIQUE

HRM-BUHIVERCOS
24 €


Dr. Victor Clube Dr. Bill Napier



Hiver

Cosmique






Traduit de l'anglais par Michel Cabar



Le jardin des Livres

Paris

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Cosmic Winter - Hiver Cosmique

© Victor Clube & Bill Napier

Traduction française © 2006 Le jardin des Livres



Éditions Le jardin des Livres ®

14 rue de Naples, Paris 75008




Toute reproduction, même partielle par quelque pro­cédé que ce soit, est in­terdite sans autorisation préalable. Une copie par Xérographie, photo­graphie, sup­port magnéti­que, électroni­que ou autre constitue une contrefa­çon passi­ble des pei­nes pré­vues par la loi du 11 mars 1957 et du 3 juillet 1995, sur la protec­tion des droits d'auteur.

« Nous baignons dans l'illusion d'une vaste paix cosmique dont les états, les églises et les universités ne font rien pour nous détromper, alors qu'observer les cieux suffirait à nous dessiller les yeux.

Notre myopie fait de nous une espèce un peu plus évoluée que l'autruche, et qui attend le sort des dinosaures ».

« Les prêtres des Mystères nous racontent ce que leur ont enseigné les dieux ou des démons puissants, tandis que les astronomes tirent, de l'harmonie qu'ils observent dans les sphères visibles des hypothèses plausibles ».



Empereur Julien

361-363




Remerciements :

La mémoire nous manque pour évoquer tous les collègues chercheurs qui, consciemment ou non, ont contribué, au fil de nos discussions, au développement des idées exprimées dans ce livre. Parmi eux, notre dette n'est pas moins grande envers ceux dont la spécialité est éloignée de la nôtre.

Nous remercions tout particulièrement Maurice Pope pour avoir revu la totalité du manuscrit, et Peter James pour l'attention sans failles qu'il nous a accordée. Nos remerciements vont aussi à Angus Macdonald, qui nous a apporté une aide bibliographique considérable et a en outre traduit intégralement de l'allemand le livre de Radlof ( cf. planche 12 ), à Ruth Cannell qui a effectué d'autres traductions de l'allemand, ainsi qu'à Marjorie Fretwell qui a dessiné un grand nombre des schémas. Brian Warner, qui nous a aidé à obtenir l'illustration de la lumière zodiacale de Piazzi Smith ( planche 6 ), et H. U. Keller, qui nous a fourni la photographie du noyau de la comète d'Halley ( planche 9-c ), méritent eux aussi une mention particulière. Enfin, c'est pour nous un plaisir de dire notre gratitude envers l'équipe éditoriale de Basil Blackwell  Romesh Vaitilingam et Mark Allin, jamais las de répondre à nos lubies  ont mis tant de soin et de patience dans l'élaboration des illustrations  Graeme Leonard, qui ont su transformer un manuscrit quelque peu échevelé en un livre rigoureusement ordonné. Que dire enfin de Moira Clube et Nancy Napier, nos épouses, sinon qu'elles ont été pour nous, tout au long de notre travail, des sources permanentes d'inspiration et d'encouragement ?

~ Prologue ~

( ce qui pourrait se passer )











Il est 7h17, en ce 30 juin 2020. Soudain, le courant s'arrête. Le centre de communication militaire attenant à la Maison Blanche plonge dans l'obscurité. Seule la rumeur lointaine de la circulation matinale rappelle à l'officier de permanence qu'une nouvelle journée vient de commencer. Rien ne sert de s'alarmer, cependant  ce n'est pas la première fois qu'une panne de courant se produit.

Presque aussitôt, un commutateur automatique lance l'alimentation de secours. Mais quelque chose cloche, l'officier de permanence s'en rend compte à présent. Les liaisons téléphoniques vers l'extérieur ne fonctionnent plus, notamment les lignes sur réseau public reliant le bunker du NORAD1, enfoui à 300 mètres sous le mont Cheyenne ( Colorado ) et le poste de commandement de l'Offutt2, près d'Omaha.

Quelques secondes suffisent pour constater que le président et le vice-président, en déplacement, sont injoignables : les communications radios sont coupées sur toutes les fréquences. Et comme le téléphone est hors service, il est inutile d'espérer que l'un des remplaçants du président dispersés sur le territoire appelle comme le veut la procédure en cas d'urgence nationale. Heureusement, le ministre de la Défense, troisième dans la chaîne de commandement, se trouve justement à la Maison Blanche, en train de déjeuner.

Il a fallu 45 secondes pour confirmer la panne générale des communications. Il faut 45 secondes de plus pour localiser le ministre de la Défense. Et 90 secondes s'écoulent encore avant que le ministre, flanqué de ses conseillers, arrive dans la salle des Crises, pièce exiguë située au sous-sol. Le ministre sait qu'un missile tiré de la côte atlantique serait sur Washington en quinze minutes. Trois de ces minutes sont déjà passées.

Dans le cadre de la procédure d'urgence, l'autorité suprême est alors transférée au ministre de la Défense, qui fait désormais fonction de président. On lui remet les « codes d'or » permettant de déclencher une riposte nucléaire, ainsi que les livres noirs du SIOP3 où sont décrits les différents scénarios possibles. On active les systèmes de communications Mystique et National, qui utilisent des câbles protégés enfouis en profondeur. Le voilà maître du National Command Authority, canal de communication de la guerre nucléaire. Deux nouvelles minutes viennent de passer.

Les liaisons souterraines avec Cheyenne, Offutt et d'autres bases aériennes stratégiques sont maintenant actives, et reliées par connexion protégée aux radars surveillant le nord. Mais aucun de ceux-ci, qu'il s'agisse de Dew Line, de 55e Parallèle ou de Pine Tree, ne fonctionne correctement. Les écrans sont fortement perturbés par de nombreux signaux parasites, dus apparemment à d'intenses phénomènes de dispersion dans l'ionosphère. Les communications satellitaires avec les forces militaires stationnées à l'étranger sont dégradées. On ne reçoit rien des gros satellites DSP4 stationnés au-dessus de l'Amérique du Sud, et pas davantage des relais d'Aurora ( Colorado ) et de Pine Gap ( Australie ). Rien à attendre non plus de la ligne directe, coupée elle aussi. Pourtant, dans les minutes ayant précédé la confusion, personne n'a signalé d'émission infrarouge anormale pouvant trahir le départ d'un missile. Tout ce qu'on peut dire, pour le moment, c'est que l'atmosphère présente une perturbation exceptionnelle, que les lignes téléphoniques sont coupées et qu'il y a des pannes de courant à grande échelle. La perturbation de l'atmosphère pourrait à la rigueur être due à un phénomène insolite de type tache solaire, mais les coupures de courant et de téléphone sont de mauvais augure. A pareille échelle, la seule explication plausible est celle d'une impulsion électromagnétique créée par une boule de feu nucléaire.

Huit minutes après le début de la crise si c'en est une le ministre prend quelques mesures de précaution. Son adjoint monte attendre l'hélicoptère qui doit arriver de la base maritime de Quantico, éloignée d'une cinquantaine de kilomètres, à bord duquel il se rendra au Nightwatch un Boeing 747 faisant office de poste de commandement aérien où il est attendu. Un autre hélicoptère part à la recherche du président.


Une « alerte éclair » est envoyée à Hawaï pour faire décoller un second PC, message qui restera toutefois sans réponse.

Neuf minutes. Les données commencent à affluer depuis les capteurs et antennes situés dans l'espace, en mer et tout autour de la terre. Beaucoup sont rassurantes : sur terre, en mer comme dans les airs, aucune activité hostile ne se dessine, aucun départ de troupes n'est à remarquer. Mais voici qu'arrive, envoyée par un des satellites DSP, une information autrement inquiétante. Un écran affiche une tache brillante sur le sud-est du Nevada, une tache d'un tel éclat qu'elle sature les cellules au sulfure de plomb du satellite : une zone de quelque 10.000 km², là-bas, est le siège d'une chaleur intense. Parallèlement, des capteurs terrestres distants signalent de fortes secousses en provenance de la même zone, ce qui n'a rien de très surprenant car la salle des Crises elle-même, à présent, commence à bouger et vibrer, et de sourds grondements montent des profondeurs. Une nouvelle fracassante arrive alors d'Offutt. Des pilotes de l'armée de l'Air signalent une énorme explosion dans la zone désertique proche de Boulder City  la ville a disparu, n'est plus que décombres. A 150 kilomètres à la ronde, d'autres villes, dont Las Vegas, sont prises dans des tempêtes de flammes. Le barrage Hoover est désintégré. Une colonne de poussière et de débris se rue vers les hauteurs tandis que s'étale un nuage en forme de champignon. D'immenses fumées couvrent l'Arizona et débordent maintenant sur le Nouveau-Mexique et même le Mexique. Voilà ce que voient, sur leurs écrans, le ministre et ses conseillers.

Le ministre ne dispose plus que de cinq minutes, au maximum, pour analyser, soupeser, décider, mettre en oeuvre. Les dégâts, lui dit-on, correspondent à des explosions d'au moins vingt mégatonnes, impliquant certainement plusieurs bombes. La possibilité de détonations accidentelles est à rejeter, compte tenu de l'improbabilité technique et de l'ampleur des explosions, lesquelles ont d'ailleurs dû être terrestres et aériennes pour réussir à couper à la fois les communications filaires et ionosphériques. La conclusion paraît incontournable : pour quelque raison, les Russes ont largué des bombes sur le territoire américain et ont déjoué, Dieu sait comment, les radars. Ont-ils utilisé des satellites armés équipés de radars à faisceau étroit ? tiré des missiles sous-marins de croisière ? fait sauter des bombes préalablement dissimulées dans la zone ? De toute façon, la question est : dans quel but ? Quelle idée de viser le désert, de s'en prendre à des cibles sans valeur stratégique comme Boulder, Las Vegas et le barrage Hoover... Cette attaque n'a aucun sens. Quelqu'un suggère que la raison du choix pourrait être précisément là, et que l'attaque serait le prélude à une opération militaire d'envergure, un avertissement suffisamment faible pour minimiser le risque de riposte et suffisamment fort pour faire vraiment mal. A moins qu'il s'agisse, pour une raison qui échappe, de mettre hors de service les radars et les communications ?

Quoi qu'il en soit de ces spéculations, le ministre ne peut exclure la possibilité que de nouvelles bombes suivent, annihilant définitivement tout contrôle sur l'armement nucléaire, ou que Washington soit la prochaine cible, dont la destruction n'attendrait que le positionnement d'un satellite armé déjà en orbite au-dessus de la ville ou l'arrivée de missiles de croisières. Douze minutes après le début de la crise, l'adjoint du ministre attend toujours son hélicoptère sur la pelouse de la Maison Blanche, on reste sans nouvelles du président et les seules informations disponibles confirment que des villes couvrant des milliers de kilomètres carrés ont péri dans des explosions nucléaires. Il n'y a plus de temps à perdre 

Une possibilité serait de déclencher le redoutable plan « Attaque majeure ». Le ministre l'écarte aussitôt : le seul résultat serait l'anéantissement mutuel. Ne rien faire ? Ce serait risquer l'holocauste. Car si d'autres missiles sont en route, le Commandement National sera décapité dans les quelques minutes à venir  contrôler les forces de contre-attaque, et de chaque sous-marin, de chaque PC aérien, le moindre chef d'unité, voyant tomber des bombes sur les Etats-Unis, lancera une riposte maximum sur les Russes. Il est donc vital de bloquer toute nouvelle agression, et pour cela, il faut répondre du tac au tac, ni plus ni moins fort que l'ennemi. Toutes les options sont dangereuses mais la moins dangereuse est une « réponse contrôlée » immédiate.

La discussion s'interrompt car on apprend qu'une cataracte de missiles serait en train de s'abattre sur les états de la côte ouest et le Canada. Mais les rapports, confus, ne seront pas confirmés  nouveau coupées sur les Etats-Unis.

Il est 7h30. Dans la base radar de Gomel, en Biélorussie, des officiers voient avec horreur apparaître sur leurs écrans une douzaine de traces de missiles. Les gardiens de la paix viennent de s'élever au-dessus des plaines du Kansas...


Cependant, un autre missile vient d'entrer incognito dans l'atmosphère au-dessus des Alpes bernoises. Survolant Interlaken à 100 kilomètres d'altitude, il file à 100.000 km/h, enrobé d'une fine pellicule d'air comprimé chauffé à 500.000 degrés. Cet air surchauffé se change en un plasma où les atomes, circulant à haute vitesse, entrent en collision et perdent leurs électrons qui, violemment accélérés, émettent une énergie intense sur toutes les longueurs d'onde. Ce rayonnement, situé dans le spectre des UV et des rayons X, reste toutefois essentiellement invisible et se dilue dans l'atmosphère. Une infime fraction seulement parvient au sol sous forme de lumière visible. Elle suffit toutefois pour illuminer l'Europe comme d'un coup de flash. De l'Irlande à l'Autriche, du Danemark à l'Italie, les survivants diront avoir vu « une lumière d'un blanc bleuâtre, insupportable à l'oeil nu », « un feu plus brillant que le soleil », « un éclair aveuglant ». Remontant du sud-est, le missile passe la Jungfrau, Berne et Bâle dans un cortège d'ombres fugaces, suivi d'une traînée lumineuse d'air et de débris enveloppée d'une queue rouge qui grossit rapidement. Dix secondes après son entrée dans l'atmosphère, le missile pénètre dans l'ionosphère, traverse la stratosphère et se retrouve dans la basse atmosphère.

A cette altitude, entre 10 et 15 kilomètres, le missile rencontre un air beaucoup plus dense et se désintègre, libérant ses deux cents mégatonnes d'énergie au-dessus de la ville belge de Louvain. En un tiers de seconde, il se vaporise en un cylindre incandescent de quelques kilomètres de long et quelques centaines de mètres de diamètre, où la température intérieure dépasse 100.000 °C et la pression dépasse 100.000 tonnes/cm². Le cylindre se change en une boule de feu émettant des rayons X ultra-puissants. Absorbés par l'air dès les premiers mètres, ces rayons créent une enveloppe de gaz à haute énergie que le matériau brûlant et comprimé, en se dispersant rapidement depuis le centre de désintégration, chasse brutalement devant lui. L'onde de choc se développe et la boule de feu se dilate. Moins de onze secondes se sont écoulées depuis l'apparition de la queue incandescente au-dessus d'Interlaken.

Quand la boule de feu atteint six kilomètres de diamètre, l'onde de choc s'en détache et prend de l'avance, suscitant des vents de plus de 1500 km/h. Dans cette zone, la survie est impossible  feu, disparaît en moins d'une seconde. La boule de feu, continuant d'enfler, s'élève rapidement jusqu'à la stratosphère où elle s'aplatit en un champignon visible de Copenhague à Florence et d'Edimbourg à Budapest. Dans toute l'Europe, le sol tremble et les immeubles bougent dangereusement. Des trains déraillent dans le sud de l'Angleterre et sous la Manche. Le champignon nuageux est bientôt déchiqueté par les courants-jets soufflant à 60 kilomètres d'altitude et se disperse autour du globe.

Dans un rayon de 25 km autour de Louvain, tous les édifices sont anéantis. Quelques ponts à poutres survivent fortuitement, certaines ondes de choc s'étant mutuellement annulées. A Bruxelles et Liège, les immeubles s'effondrent comme des dominos sur le passage de l'onde, noyant les rues sous leurs décombres. Au-delà, quelques structures survivent mais peu de maisons restent intactes. A Anvers, par exemple, à 50 km de là, les tuiles sont arrachées, les fenêtres et les portes implosent. Plus loin, les dégâts diminuent.

A 25 km autour de Louvain, les gens à l'extérieur sont projetés sur une dizaine de mètres et généralement tués. Le plus grand danger, cependant, vient des éclats de verre. A 50 km alentour, les centres commerciaux et les immeubles de bureaux sont envahis sans crier gare par un blizzard mortel de fragments de verre, poignards volants qui vont causer l'essentiel des pertes en vies humaines. A 100 km de l'épicentre, l'explosion réussit encore à coucher les forêts.

Les réacteurs nucléaires proches sont endommagés  les conduites de refroidissement claquent, les enceintes de confinement se fissurent. Certains réacteurs entrent en fusion et diffusent bientôt dans les airs des volutes radioactives qui, se mêlant aux épaisses vapeurs chimiques, flottent vers l'Allemagne et s'apprêtent à gagner la Pologne et la Scandinavie.

Les ravages du feu ne le cèdent en rien à ceux de l'explosion. Une bouffée ardente a balayé des milliers de km², occasionnant d'innombrables brûlures au 3e degré. Des soins intensifs sont indispensables mais les services de secours, à supposer qu'ils puissent faire quelque chose, mettent trop de temps à arriver des régions avoisinantes et nombre de brûlés meurent dans les douze heures. Ce n'est pas tout. La chaleur intense de la boule de feu a allumé des feux dans un rayon de 70 km ou plus. Attisés par l'appel d'air créé par la boule de feu qui s'élève, ces feux s'agrègent en un gigantesque incendie. Les unités de pompiers qui ont survécu sont bloquées dans un océan de décombres, démunies d'eau, assommées par ce feu démesuré. Quand le soleil se couche enfin, cela fait longtemps que l'Europe est dans l'obscurité, noyée sous une fumée que seuls transpercent les éclairs rageurs de l'incendie.

Seize heures après l'événement, le soleil se lève de nouveau mais ses rayons rebondissent sur le brouillard dense et suffocant produit par les villes en flammes. Tout survol aérien est impossible. Dans un rayon de 50 km, le nombre des morts dépasse largement celui des vivants. Même si l'incendie s'arrêtait, pénétrer dans la zone serait impossible car les routes sont jonchées de décombres et de carcasses de véhicules. Il faudra plusieurs jours avant que le feu n'ait plus rien à brûler et que le brouillard se disperse assez pour laisser voir les villes, villages et hameaux rasés. Et plusieurs semaines avant que Français, Allemands et Néerlandais puissent dégager les routes, secourir les vivants et enterrer les morts. Une attente trop longue pour la Belgique, purement et simplement effacée de la surface de la terre...


Ce qui se passe, c'est que la terre vient de croiser un essaim cosmique. Douze heures plus tard, l'autre côté de la planète reçoit sa part de mitraille. Le bombardement va continuer pendant un jour et une nuit au cours desquels la terre, en tournant, offre aux coups tantôt une face, tantôt une autre, puis finit par traverser l'essaim. La boule de feu de Boulder a été mille fois plus puissante que la bombe de Hiroshima, celle de Louvain dix fois plus. Ce ne sont pourtant que deux grains, parmi des centaines, de la grappe que traverse la terre, et encore sont-ils modestes par rapport aux boulets les plus gros  dont chacun véhicule autant d'énergie qu'une guerre nucléaire générale et ne se laisse guère arrêter par l'atmosphère. Contrairement aux petits fragments, les gros parviennent jusqu'à la surface de la terre, créant un raz-de-marée quand ils touchent l'océan, un cratère quand ils touchent le sol. Autre différence : la boule de feu qu'ils engendrent contient trop d'énergie pour se propager sans heurt dans l'atmosphère. Comme précédemment, elle se charge de poussière et monte, mais ce faisant elle fore littéralement l'atmosphère, créant derrière elle un vide qui produit un intense appel d'air. Dans son sillage se développe alors un ouragan qui aspire la poussière de l'impact. En quelques minutes, la boule de feu se trouve dans la haute stratosphère, à plusieurs centaines de kilomètres d'altitude, et la poussière commence alors à s'étaler en largeur.

Près du sol, la chaleur causée par l'impact d'un de ces gros boulets donne naissance à des centaines de feux couvrant une surface grande comme la France. Pratiquement tout ce qui peut brûler est en feu. La mort était déjà partout sous le double effet de l'explosion et de la chaleur  elle devient quasi générale quand les feux fusionnent en une conflagration unique. Cinquante millions de tonnes de fumée envahissent l'atmosphère en denses panaches de 10 km de hauteur.

En quelques jours, les incendies prennent une extension quasi mondiale. Les dizaines de millions de tonnes de poussières qui se sont logées dans la stratosphère, et les fumées, en aussi grand nombre, qui ont rejoint la basse atmosphère, se sont répandues sur l'hémisphère nord et commencent à glisser vers le sud. Le sol est inaccessible aux rayons du soleil et un brouillard noir et suffocant enveloppe tout. Il ne saurait être question d'envoyer du secours aux zones dévastées car les dégâts sont si étendus que les systèmes de communication ne sont plus qu'un souvenir. Des régions entières sont isolées. Les populations touchées ne peuvent compter que sur leurs propres ressources. Des dizaines de villes ne sont plus que décombres fumantes. Les cours d'eau sont infestés de pollution. Les forêts du monde entier sont en flammes. La vie, telle que nous la connaissons, touche à sa fin.

La rencontre cosmique est terminée. Notre planète s'est enfin extirpée de l'essaim. L'un et l'autre vont poursuivre leur destin, l'essaim amputé de quelques missiles, la terre carbonisée et engoncée dans une tunique collante de poussière et de fumée. Privée de ses villes, la civilisation a perdu son infrastructure. Privées de lumière solaire, les régions continentales voient leur température plonger à des niveaux sibériens et une glace épaisse recouvrir lacs et rivières. Sur les marges continentales, des tempêtes d'une violence inconnue font rage. L'effondrement de la vie animale et végétale entraîne celui de l'agriculture et de l'élevage. Au bout de quelques mois, le soleil commence à traverser le couvercle de brumes et révèle, sous la poussière enfin dissipée, un hémisphère nord dont les masses continentales sont enfouies sous la neige une neige qui renvoie la lumière solaire vers l'espace et, augmentant chaque année de quelques centimètres, devient permanente.

Pendant mille ans, l'Amérique du Nord et l'Europe vont rester couvertes de glaciers épais de centaines de mètres, cependant que le niveau de l'océan baissera de cinquante mètres. Prise dans un nouvel âge glaciaire, l'humanité survit, décimée et réduite à des bandes de maraudeurs affamés. Un nouvel équilibre écologique se construit. La lutte pour la vie ne fait que commencer.




« La science n'a pas de réponse à ces questions,

qui n'intéressent d'ailleurs pas ceux mêmes qui

pourraient essayer d'y répondre. »



Que penser d'un tel futur ? A supposer que notre pronostic soit fondé, au moins dans ses grandes lignes ce qu'il faut bien sûr commencer par vérifier, reconnaissons que nous ne pouvons pas grand-chose pour nous en prémunir, sinon en nous bardant de stoïcisme contre le malheur qui nous guette. Qu'adviendrait-il alors de notre civilisation ? Nous consolerons-nous en pensant que des archéologues, dans des milliers d'années, la redécouvriront envasée sous le lit de la Seine, ou que notre espèce est assez forte pour que des ingénieurs, dans quelques millénaires, réinventent le moteur à explosion ? Plus pessimistes, au contraire, croirons-nous que le monde sera alors peuplé de monstres frankensteiniens, et qu'un essaim céleste pourrait être porteur d'éléments cosmiques susceptibles de changer la vie et de démarrer une nouvelle branche de l'évolution ? En somme, notre civilisation pourrait-elle n'être qu'un essai avorté avant l'émergence d'une nouvelle espèce, sorte d'homo insapiens ?

La science n'a pas de réponse à ces questions, qui n'intéressent d'ailleurs pas ceux mêmes qui pourraient essayer d'y répondre. L'espace où se meut notre planète est supposé vide et relativement peu menaçant. Mais nous allons voir que la réalité est tout autre : l'environnement de la terre recèle des dangers méconnus et pourrait, en un coup unique, plonger notre civilisation dans les ténèbres.

Ces coups dont nous menace le futur, ce sont des découvertes récentes qui nous les dévoilent. Nous avons abordé ce sujet une première fois dans The Cosmic Serpent. Les importantes avancées réalisées depuis justifient ce nouvel ouvrage, plus complet également en ce qu'il inclut une analyse prospective des conséquences. Sans surprise, certaines « sommités » ont poussé les hauts cris en le lisant. Nous tenons donc à prévenir le lecteur d'emblée : bien des choses qu'il prend pour des vérités établies ne sont, il va s'en rendre compte, que poudre aux yeux.

En juin 793, « de grands présages passèrent sur le pays, causant au peuple une terreur pitoyable » et suivis, dit-on, d'une grande famine. Le 25 juin 1178, la lune fut apparemment frappée par un missile dont l'énergie était dix fois celle de l'arsenal nucléaire mondial. Le 30 juin 1908, un objet venu de l'espace explosa sur une région reculée de la Sibérie en dégageant l'énergie d'une puissante bombe à hydrogène. Plus récemment, fin juin 1975, la lune a été bombardée pendant cinq jours par un essaim de rochers gros comme des voitures filant à 107.000 km/h. Le 30 juin 2020, nouvelle explosion imprévue, d'une puissance de 20 mégatonnes cette fois...

Pourquoi fin juin ? Quelle est la nature de ces événements ? En quoi menacent-ils l'humanité ? Voilà les questions posées par ce livre. On a en effet découvert, ces dernières années, qu'un gros essaim de débris cosmiques circule sur une orbite potentiellement dangereuse coupant celle de la terre en juin et novembre à intervalles de quelques millénaires  ces faits ont été délibérément dissimulés. Quand les orbites se coupent exactement, le risque de pénétrer au coeur de l'essaim augmente considérablement, tout comme augmentent le flux de boules de feu touchant la terre et, parallèlement, le sentiment que la fin du monde est proche. Ce genre de pénétration profonde s'est produit au 4e millénaire av. JC et au 1er millénaire av. JC ( à l'époque du Christ )  se reproduire au cours du millénaire qui commence.

La religion chrétienne est donc née avec une vision apocalyptique du passé. Une fois le danger passé, toutefois, l'Eglise devint révisionniste et transforma la vérité en mythes. Les connaissances sur l'existence de l'essaim, dont nous trouvons l'écho chez Platon et d'autres, furent systématiquement étouffées. La vision chrétienne d'une terre éternellement paisible ne faisait nullement consensus à l'origine  c'est par apports successifs de « lumières » que s'est construite la version actuelle de l'histoire, à laquelle la science elle-même souscrit, selon laquelle le ciel recèle peu, ou pas, de danger. Cosmic Winter se présente donc comme un kaléidoscope d'histoire et de science et veut réhabiliter une vue païenne du monde, antique et largement incomprise.

L'idée qu'un châtiment terrible serait suspendu au-dessus de l'humanité n'est pas neuve. Les hommes d'autrefois avaient la hantise de l'Harmaguédon, supposée arriver avec le millénaire suivant. L'Église nouvelle a entretenu ce flambeau au cours du millénaire passé. Mais l'idée a de tous temps suscité une opposition farouche. Ses tenants ont à l'occasion émigré vers des terres nouvelles, mais ce fut pour y voir se lever, avec le temps, d'autres adversaires. Aux États-Unis par exemple, où la parole est libre, de vieilles traditions de catastrophe cosmique resurgissent de temps à autre, même aujourd'hui, vite brisées par le tir de barrage des experts. Il n'en est que plus troublant de voir que les élections s'y déroulent généralement en novembre, conformément à une ancienne tradition appelant au rassemblement des tribus à cette époque, sans doute enracinée dans la crainte de la fin du monde que pouvait amener le passage de l'essaim.

En Europe, les idées millénaristes finirent par s'estomper devant une conception « providentielle » du monde développée pour contrecarrer la Réforme5. Soutenir une vue contraire fut assimilé à une hérésie et les fomentateurs de troubles millénaristes furent rondement condamnés. Hiver Cosmique et Harmaguédon ayant plus d'un point commun, l'attitude des autorités n'est pas pour surprendre. Plus étonnant est le fait que le fonctionnement du parlement britannique semble lié à la condamnation de cette hérésie6. Cette institution, en effet, s'attaqua dès ses débuts aux Ranters, secte apparue après l'exécution du roi anglais Charles I et la création du Protectorat de Cromwell. Les Ranters s'étaient donné pour chef un certain Gerrard Winstanley qui se disait conduit par des « illuminations surnaturelles » en relation avec le prochain millénaire. Mais « l'ange destructeur » ne se matérialisa pas et les parlementaires ranters, ridiculisés, perdirent le pouvoir au profit de personnages mus par des « Lumières » plus en phase avec les principes d'aujourd'hui. Les Lumières avaient une vue plus providentielle des choses et considéraient le monde comme le décor inoffensif des affaires humaines. Cette vue fut soutenue activement par l'Université, et la contre-réforme comme l'Etat y souscrivirent sans réserve. Il apparaît, en définitive, que les angoisses cosmiques récurrentes ont été délibérément évacuées de la théologie chrétienne et de la science moderne, les deux plus grands contributeurs à la civilisation occidentale moderne.

Le résultat est que nous pensons aujourd'hui qu'une catastrophe mondiale ne saurait être que de notre fait : guerre nucléaire, trous d'ozone, gaz à effet de serre... Et cela joint au fait que les « autorités » ne voient pas plus loin que le bout de leur nez explique pourquoi les scénarios d'impact cosmique sont quasiment absents de nos plans de sécurité.

Nous baignons dans l'illusion d'une vaste paix cosmique dont les états, les églises et les universités ne font rien pour nous détromper, alors qu'observer les cieux suffirait à nous dessiller les yeux.

Notre myopie fait de nous une espèce un peu plus évoluée que l'autruche, et qui attend le sort des dinosaures.




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Les Cataractes de Feu






Athéna-Pallas se précipita des sommets de l'Olympe comme un signe lumineux que le fils du subtil Kronos envoie aux marins et aux peuples nombreux, et d'où jaillissent mille étincelles.

Homère, Iliade7.


Le vieillard avait à peine prononcé ces paroles que, sur la gauche, le tonnerre retentit soudain à grand fracas et qu'une étoile glissa du ciel et traversa les ténèbres, entraînant un flambeau d'une grande clarté. Nous la voyons glisser par-dessus le toit, éclatante, puis se cacher dans la forêt de l'Ida, traçant une route. Elle laisse derrière elle un long sillon de lumière, et ses abords répandent au loin une fumée de soufre. Alors mon père, convaincu, se lève et se tourne vers le ciel, s'adressant aux dieux et adorant l'astre sacré.

Virgile, Énéide8.


En outre, s'il n'y a pas eu de commencement pour la terre et le ciel, s'ils ont existé de toute éternité, d'où vient qu'au-delà de la guerre des Sept Chefs contre Thèbes et de la mort de Troie, on ne connaisse point d'autres événements chantés par d'autres poètes? Où se sont donc engloutis tant de fois les exploits de tant de héros, et pourquoi les monuments éternels de la renommée n'ont-ils pas recueilli et fait fleurir leur gloire? Mais, je le pense, l'ensemble du monde est dans sa fraîche nouveauté, il ne fait guère que de naître. C'est pourquoi certains arts se polissent encore aujourd'hui, vont encore progressant... Peut-être penses-tu que les âges antérieurs ont connu toutes ces mêmes choses, mais que des générations humaines ont péri consumées par des feux dévorants, que des villes tombèrent renversées par quelque gigantesque ébranlement du monde... Ce serait une raison de plus pour que tu avoues ta défaite et reconnaisses que la terre et le ciel sont eux-mêmes destinés à périr. En effet, quand le monde souffrait de tant de maux et supportait l'épreuve de si graves périls, il n'eût fallu que l'invasion d'un flot plus funeste encore pour lui infliger un désastre décisif et n'y laisser que ruines... Il ne manque pas de corps qui puissent, arrivant en masse des profondeurs de l'infini, renverser dans leur violent tourbillon son assemblage ou lui infliger quelque autre destruction...

La porte de la mort n'est donc fermée ni au ciel, ni au soleil, ni à la terre... Il y eut un jour, selon la légende, où le feu l'emporta... Le feu fut victorieux, en effet, et consuma une partie du monde dans ses flammes, lorsque les ardents chevaux du soleil, détournant Phaéton de la bonne route, l'emportèrent à travers toute l'étendue aérienne et terrestre. Mais le père tout-puissant, saisi d'une violente colère, frappa soudain de sa foudre l'orgueilleux Phaéton et, de son char, le précipita sur la terre. Le soleil, qui vint le recueillir dans sa chute, reprit l'éternel flambeau du monde, ramena les chevaux épars, les attela de nouveau encore tout frémissants, puis leur faisant reprendre la route accoutumée, rétablit l'ordre universel. Voilà ce qu'ont chanté les anciens poètes de la Grèce, mais une telle fable s'égare trop loin de la raison. Le feu peut triompher sans doute, mais c'est quand l'infini en a fourni une trop grande masse de principes. Puis sa force tombe, si quelque autre cause la surmonte ; ou bien tout périt, consumé par le souffle brillant.

Lucrèce, De rerum natura9.


Dieu, qui demeure au ciel, déroulera les cieux comme on déroule un livre, et le firmament entier, sous ses diverses formes, tombera sur la terre divine et sur la mer  rugissante de feu coulera sans fin, brûlant la terre et la mer, et le firmament, les étoiles et la création ne seront qu'une masse fondue et se dissoudront. Il n'y aura plus d'astres, de globes scintillants, d'aurore... plus de printemps, d'été, d'hiver, d'automne.

Oracles sibyllins10.


A l'ouest brillera une étoile, de celles qu'on appelle comètes, et qui annoncent aux hommes l'épée, la famine et la mort.

Oracles sibyllins6.



Notre vue n'est pas capable de traverser un corps céleste pour voir ce qui est de l'autre côté. Mais on peut voir, à travers une comète, ce qui est au-delà... Par conséquent, il est évident qu'une comète n'est pas un corps céleste. Zénon estime que des étoiles se rencontrent et que ce rassemblement de lumière produit l'image d'une étoile allongée. Aussi, certains supposent que les comètes n'existent pas et que l'apparence des comètes provient de... la conjonction d'étoiles accrochées les unes aux autres... Certains disent que les comètes ont une orbite propre et qu'au bout d'un temps déterminé, elles se manifestent à la vue des hommes. D'autres disent qu'il ne faut pas les appeler des corps célestes car elles ne durent pas longtemps et se dissipent en peu de temps... Il se forme dans les hauteurs toutes sortes de feu  ce sont les cieux qui s'embrasent, tantôt l'on voit « de longs traits de flammes blanchissantes » ou de grands bolides ardents... Chacun s'étonne de ces phénomènes qui font soudain descendre le feu d'en haut, soit que l'on voie quelque chose lancer un éclair et disparaître, soit que l'atmosphère soit comprimée au point de se mettre à briller et de faire crier au miracle... Parfois [les étoiles], sans attendre la nuit, éclatent de lumière bien avant la fin du jour... Pourquoi paraissent-elles aux moments qui ne leur sont pas impartis ? On admet généralement que les étoiles existent même quand elles sont cachées.

Sénèque, Naturales quaestiones11.


Dynastie Han, règne de Yuan-yan, jour Ding-you du 4e mois de l'an I. À l'heure rifu, le ciel était sans nuage. Il y eut un grondement pareil à celui du tonnerre. Venu de dessous le soleil, un météore aussi gros qu'un fou et long de dix zhang au moins, d'un rouge et d'un blanc vifs, se dirigea vers le sud-est. De brillants météores, dont certains étaient gros comme des bols et d'autres comme des oeufs de poule, se mirent à pleuvoir dans toutes les directions. Cela ne cessa qu'à la nuit tombante.

Anciennes observations chinoises de pluies de météores12.


De grands présages passèrent sur le pays de Northumbrie, causant au peuple des terreurs pitoyables. Il y eut des tourbillons prodigieux et l'on vit voler dans le ciel des orages et des dragons ardents.

Ces signes furent suivis d'une grande famine...

Chronique anglo-saxonne de juin 79313.


Le milieu du 14e siècle fut une période de terreur et de désastre extraordinaires en Europe. De nombreux présages vinrent effrayer les gens et furent suivis d'une peste qui menaça de changer le continent en désert. Année après année, il y eut des signes dans le ciel et sur la terre, qui annonçaient, pensait-on, quelque terrible événement. En 1337 parut dans les cieux une grande comète dont la longue queue terrorisa profondément les masses ignorantes. Au cours des trois années suivantes, le pays reçut la visite d'énormes escadrilles de sauterelles, qui descendirent en myriades sur les champs, laissant derrière elles le spectre de la famine... Avec la famine, les inondations, le brouillard, les nuages de sauterelles, les tremblements de terre et tout le reste, il n'est pas surprenant que beaucoup aient pensé que la coupe des péchés du monde était pleine et que le règne de l'homme touchait à sa fin... Un événement survint alors, qui sembla confirmer cette vue. La peste éclata, avec une violence si effrayante qu'on put croire que l'homme allait être balayé de la terre. Les hommes moururent par centaines, par milliers, par dizaines de milliers. Dans certains endroits, les survivants n'étaient plus assez nombreux pour enterrer les morts. Ceux qui en étaient encore capables s'enfuirent, malades de peur, laissant déserts derrière eux leurs maisons, leurs villages et leurs villes hantés seulement par les morts et les moribonds. La « peste noire » fut la plus terrible que l'Europe eût connue... Londres perdit cent mille habitants et l'Angleterre mit au tombeau entre le tiers et la moitié de sa population, alors comprise entre 3 et 5 millions d'habitants. Sur l'ensemble de l'Europe, on pense qu'un bon quart des habitants fut emporté. La peste fit rage pendant les deux années 1348-1349. Elle éclata de nouveau en 1361-62, puis encore en 1369. L'épidémie ne fit pas que tuer. Les liens de la société se distendirent  les amis se séparèrent, les mères fuirent leurs enfants... D'autres, ne voyant aucun espoir dans les hommes, prirent refuge auprès de Dieu et crurent pouvoir l'apaiser par des sacrifices et mortifications extraordinaires. La flamme du fanatisme, une fois allumée, se répandit rapidement et largement. Des centaines d'hommes, parfois de jeunes garçons, se regroupaient en bandes qui parcouraient routes et rues, torche à la main, se flagellant leurs épaules nues avec des fouets à noeuds souvent bardés de fer ou de plomb, chantant des hymnes de pénitence, arborant des bannières et portant des chapeaux blancs à croix rouge. Des femmes participaient également à ces pratiques fanatiques, demi-nues, se donnant l'une à l'autre d'atroces coups de fouet, se jetant à terre sur les places publiques...

The Romance of Reality14.

Bien sûr, les modes et les préjugés d'une époque colorent sa perception du passé. Les lumières dont nous nous croyons aujourd'hui pourvus nous font estimer que l'Harmaguédon divine n'est qu'une fadaise. Mais nous ne pouvons rien au fait que la crainte du feu céleste soit partie intégrante de notre héritage intellectuel ( cf. planches 1 & 2 ). Cette crainte paraît en fait aussi ancienne que la civilisation. Dans un livre consacré à la période il y a 5000 ans où la grande aventure intellectuelle de l'homme semble avoir commencé, un historien moderne15 a écrit que la civilisation mésopotamienne se développa dans un environnement bien différent du nôtre. Il y avait, comme en Égypte, les grands rythmes cosmiques, les changements de saisons, le glissement régulier du soleil, de la lune et des étoiles  le ciel un élément inhabituel de force et de violence ». Comme pour souligner que cet élément était peut-être absent d'Égypte ce qui est discutable, nous le verrons , cet historien opposait d'un côté le comportement erratique du Tigre et de l'Euphrate, de l'autre le comportement supposé plus prévisible du Nil. Il notait en outre les brûlants vents de poussière qui suffoquent les hommes, et aussi les pluies torrentielles qui changent la terre ferme en une mer de boue et ôtent toute liberté de mouvement. Pris au milieu de ces énormes puissances, l'homme se sentait faible, se voyait avec terreur prisonnier des forces gigantesques de la nature. Il était donc inquiet et avait un sens aigu des catastrophes possibles. La pluie venait-elle à succéder à la sécheresse ? Aux yeux des Sumériens et des Babyloniens, nous explique-t-on, c'était parce que l'Imdougoud un oiseau géant était venu à leur secours :


« Il couvrit le ciel des noirs nuages de ses ailes et dévora le Taureau du Ciel dont le souffle brûlant avait consumé les récoltes ».


En contant ce mythe, les anciens ne tentaient ni de distraire, ni de présenter une explication détachée et intelligible des phénomènes naturels. Ils relataient les événements qui conditionnaient leur existence. Ils étaient directement touchés par la lutte entre plusieurs puissances, dont l'une hostile à la récolte nécessaire à leur survie, et l'autre effrayante mais favorable : l'orage qui, en terrassant et anéantissant la sécheresse16, leur offrait un répit immédiat. Ainsi, c'est en supposant que les anciens dramatisaient leur quotidien que l'historien arrive à rendre compte de l'intensité des phénomènes naturels rapportés par les anciens Mésopotamiens, et par là, de leur mentalité et de leur troublante conception du cosmos : un cosmos relativement prévisible, semble-t-il, mais ni sûr ni rassurant. L'étude détaillée des textes et inscriptions anciens des Sumériens et Babyloniens fait ainsi ressortir qu'ils avaient à l'égard de la nature une attitude mêlant pressentiment et quasi-incapacité à agir, ce qui expliquerait la prolifération des devins, augures, exorcistes et astrologues qui finirent par peupler les grands temples de Babylonie.

D'anciennes références indiquent que le plus vieux manuel babylonien d'astrologie, un recueil de présages intitulé Enouma Anou Enlil ( Le Commencement d'Anou et Enlil ), remonte au moins au 3e millénaire av. JC. Il s'agit essentiellement de listes de phénomènes corrélés, rapportant les conséquences terrestres d'événements astronomiques récurrents attribués aux dieux : inondations, épidémies, sécheresses, famines, tout cela était imputé aux dieux, et il ne fait nul doute que les présages étaient utilisés pour comprendre les phénomènes naturels et prévoir le tour des événements. Des catastrophes comme le Déluge étaient clairement associées à des faits astronomiques apparemment réguliers. On lit en effet dans la version sumérienne du Déluge que Ziousoudra, l'homologue du Babylonien Out-Napishtim et du Noé biblique, pratiquait la divination et possédait un don de prédiction  qu'Enmedouranki, l'un des rois de Sippar, prévoyant certains événements, aurait obtenu des dieux le savoir-faire et les insignes de devin. Il est à peu près sûr, en fait, que la plus ancienne forme d'astronomie devait être basée sur l'interprétation de signes associés à des phénomènes récurrents, lesquels, à n'en pas douter, devaient concerner des manifestations célestes étranges, des conditions atmosphériques inhabituelles ou de violents orages, révélant les bonnes ou mauvaises intentions des dieux pour l'avenir. Il est possible, voire probable, que l'utilité de l'astronomie pour la vie quotidienne agriculture, calendrier, navigation... était également reconnue. Mais il est hors de doute que ce qui poussa l'homme à une observation vigilante du ciel, ce fut les signes mystérieux émanant du ciel et les redoutables conséquences censées en résulter. Par un chemin tortueux, cette pratique a conduit, en cinq mille ans, à notre connaissance « scientifique » de l'univers. Pour autant, notre vue de l'univers, et la science en général, semblent fondées sur des activités plus proches du désespoir que de la contemplation, de la peur que de la raison, et c'est un sujet de gêne pour les scientifiques.

Après tout, si, en d'autres temps, les hommes de l'élite ont pu bâtir leur cosmologie sur l'irrationalité, sur la peur née de l'imagination, pourquoi ferions-nous plus confiance à leurs homologues modernes ? Dans cet esprit, un savant contemporain17 estime que le lointain archéologue qui exhumera les journaux du 20e siècle ne pourra que conclure que nous réglions notre vie selon les prédictions des astrologues.

Ce qu'il veut dire, bien sûr, c'est que les couches instruites des sociétés anciennes ne devaient pas se soucier d'astrologie et que celle-ci a toujours été un outil permettant aux charlatans, et non aux vrais astronomes, de rouler les naïfs argentés. Idée séduisante, qui met la science hors de cause et renvoie l'astrologue ancien à ses inventions bizarres  fondement, et même totalement fausse. Le fait est que, dans l'ancienne Mésopotamie, souverains et sujets avaient une foi égale et absolue dans les astrologues, dont les avis comptaient par-dessus tout dans les affaires de l'état. Si nous laissons de côté nos préjugés modernes, il apparaît donc que les Babyloniens concevaient le ciel comme empli de dangers capables d'influer sur le destin des nations, et que cette idée était si ancrée dans les esprits que nul n'aurait songé à en débattre. Ce fait est proprement renversant et personne, à ce jour, n'a su expliquer comment des hommes intelligents nous ne parlons pas bien sûr de l'ensemble de la population pouvaient jadis se faire de l'univers une vue si menaçante et si éloignée de celle qui se présente au premier observateur venu à moins, bien sûr, de supposer que le bon sens et le courage sont des acquis récents. Deux réponses sont possibles. Soit le ciel antique se comportait d'une façon vraiment différente d'aujourd'hui, soit l'homme moderne est beaucoup plus concret et éclairé que son ancêtre.

C'est évidemment la seconde solution que retient notre époque. Notre savant, par exemple, affirme qu'avec le temps, « le concept d'une puissance extérieure exerçant un contrôle permanent sur l'univers fit place à celui, plus noble et plus haut, d'un ordre naturel inhérent. Une vue mécanistique de l'univers remplaça la vue fruste de jadis, qui reposait sur les actes vengeurs et arbitraires d'un souverain mesquin. L'astronome moderne base sa recherche sur l'inexistence de tels actes, seul gage de sa confiance ».


Cette phrase exprime avec une clarté exemplaire un principe fondamental et décrit fidèlement la tournure d'esprit que tant d'esprits cultivés affectionnent aujourd'hui. Mais comment être sûr qu'elle ne repose pas sur un préjugé, comment être sûr, autrement dit, que le ciel ne change jamais, qu'il ne produit jamais une cataracte de feu rugissant ? A première vue, la question peut paraître bizarre. Dans le passé, des observateurs professionnels ont scruté le ciel et nous ont laissé leurs comptes rendus. Il est inconcevable que les savants désintéressés qui les ont analysés aient laissé passer quelque chose d'aussi sérieux qu'une cataracte de feu rugissant. On pourrait même dire que le fait même que nous soyons conditionnés à penser que le ciel n'est pas dangereux prouve bien qu'il ne l'a jamais été  décortiqué les données ont dû parvenir à la même conclusion. En somme, il n'y a pas là matière à spéculation nouvelle car on est forcément dans le domaine des faits historiques établis.

Mais l'histoire n'est pas qu'un recueil de faits18. Comme la science, elle repose sur le raisonnement. Faute d'un tableau exact des faits décrits, les comptes rendus peuvent tromper. La question posée, par conséquent, est de savoir si les comptes rendus des observateurs antiques sont assez clairs pour rendre impossibles les erreurs d'interprétation. Est on absolument certain de ce que les astrologues babyloniens avaient en tête ?

Jusqu'il y a peu, cette question ne passionnait guère. On pensait généralement que les premières idées intéressantes sur l'univers nous venaient des Grecs. Mais ce postulat a été mis à mal par Otto Neugebauer19, distingué historien des mathématiques et de l'astronomie qui a conclu que l'observation babylonienne, même si elle finit par subir de profonds changements de nature et d'objet, n'était pas irrationnelle à l'origine. Neugebauer avance qu'une révolution scientifique importante fut réalisée par les Grecs au 4e siècle av. JC et qu'il est indispensable de connaître la nature de ce changement si l'on veut mieux comprendre l'histoire et la science des anciens. Par exemple, une méthodologie scientifique, mise au point plus de mille ans plus tôt sous le règne du Babylonien Hammourabi, fut alors délaissée au profit de nouvelles techniques d'analyse et d'une nouvelle interprétation de la nature : l' « astrologie des présages », dite aussi astrologie judiciaire, fit place, au moment précis du fondement de la civilisation occidentale, à l' « astrologie horoscopique » fraîchement née.

Nous y reviendrons plus tard mais signalons sans attendre un point important. Il apparaît qu'à cette époque, les Grecs prirent le relais des Babyloniens dans certains domaines mathématiques et que, par un développement inattendu, ils abandonnèrent alors les vues dominantes sur le cosmos au profit d'une interprétation toute nouvelle. Les Babyloniens, on le sait, avaient mis au point les techniques algébriques permettant de calculer comment se combinent les périodicités du mouvement des corps célestes, techniques essentielles pour déterminer la position apparente de la lune et créer un calendrier précis basé sur son mouvement20. Mais ils savaient aussi que leurs calculs ne reflétaient en rien un modèle physique du comportement de la lune et les aidaient simplement à projeter dans le futur, plus précisément que sans mathématiques, les tendances et corrélations observées dans le passé. Les Grecs, reprenant ces formules algébriques, les assemblèrent en modèles géométriques et posèrent que les positions des planètes s'expliquaient par la combinaison de mouvements circulaires, ce qui aboutit à la théorie des épicycles. Les philosophes grecs imaginèrent alors que les épicycles possédaient une existence réelle et que les planètes, le soleil et la lune étaient fixés sur des sphères cristallines invisibles reliées par un système compliqué, tout aussi invisible, d'engrenages tournants. Entraînés par leur propre logique, les Grecs se convainquirent ainsi que rien, dans le ciel, ne pouvait pénétrer ces sphères ni blesser la terre21.

Voilà beau temps que les scientifiques ont compris la fausseté du système des épicycles. Mais en rejetant ces concepts, on a eu tendance, au passage, à y associer les Grecs et leurs précurseurs babyloniens. Or, rien n'indique que ces derniers aient embrassé ces idées ni qu'elles aient affecté leur vue du cosmos. Tout montre au contraire, comme dit Neugebauer, que les Babyloniens avaient une approche très simple de l'astronomie et que, si effrayant que fût l'univers, ils s'efforçaient de le décrire comme ils le voyaient, en termes ordinaires. Ils ne voyaient rien d'étrange à ce que des choses pussent jaillir du ciel et frapper la terre. Si donc les astrologues babyloniens étaient à la fois concrets, simples et scientifiques, peut-on mettre fin au débat en étudiant leurs comptes rendus et en découvrant la nature exacte du ciel qu'ils décrivaient ? L'ancienne cité de Babylone prit son essor au 2e millénaire av. JC lorsque des immigrants sémitiques vinrent se mêler aux Sumériens indigènes, pour bientôt les supplanter22.

La culture sumérienne ne disparut pas pour autant et l'apparition de nouvelles langues et d'une nouvelle théologie créa un terreau savant d'où allaient naître les mathématiques. Un culte nouveau et vivace, celui de Mardouk, se développa aussi. Si Mardouk n'évinça pas Anou, chef du panthéon sumérien, il parvint à un rang élevé et élimina de grands dieux animaliers comme Enlil ( le taureau ) et Ea ( le bélier ). Les prêtres de Mardouk étaient également astronomes et il semble que ce soit eux qui créèrent l'astrologie des présages. Sous leur impulsion, on se mit à étudier les phénomènes célestes pour prédire le futur proche, celui du pays et celui du roi. De l'apparition ou de la non-apparition de corps « planétaires », on tirait des conclusions sur l'invasion des ennemis de l'est ou de l'ouest, l'arrivée d'inondations ou de tempêtes. En revanche, on n'a jamais rien trouvé qui évoque un horoscope basé sur les constellations de naissance. En somme, l'astrologie babylonienne visait essentiellement à prédire les perturbations futures en fonction des anomalies observées dans la nature, démarche finalement assez proche de celle de la science moderne.

Si les principes paraissent raisonnables, on ne peut en dire autant des observations elles-mêmes : les anomalies que les prêtres-astronomes de Mardouk s'attachaient à détecter concernaient surtout les agneaux nouveau-nés et l'apparence des viscères de moutons morts ! Des milliers de tablettes d'argile décrivent sans fin la naissance de ces animaux ou l'état de leur toison. L'image qui en ressort n'est ni convaincante ni ragoûtante, c'est celle d'astronomes plus à leur place sur les marchés et plus portés à des rites étranges qu'à la recherche du savoir. C'est oublier, cependant, que les prêtres-astronomes furent pendant des générations les porte-parole de chefs qui assuraient devoir leur statut à des dieux descendus du ciel, lors du Déluge, accompagnés de leurs troupeaux. On peut penser que le Déluge fut précédé de comportements anormaux chez le bétail, et ce n'est donc peut-être pas par hasard que l'on guettait le retour des catastrophes par de telles méthodes. Dès lors que le mouton, objet céleste, dépérissait ou donnait naissance à des rejetons particuliers en des temps dangereux pour la planète, l'habitude prise par les prêtres-astronomes de surveiller les naissances et d'examiner les viscères paraît moins curieuse. Le lecteur sera peut-être surpris d'apprendre que le terme babylonien désignant une étoile filante, lubat, signifie littéralement mouton égaré ! En outre, les observations font souvent référence à un certain anneau du ciel ( le zodiaque ) dont le sens littéral est celui d'une clôture, ou ruisseau, entourant un pacage. Les textes, en d'autres termes, ne distinguent pas entre moutons et étoiles ! L'imagerie exacte qu'ils véhiculent est celle de moutons courant dans un enclos céleste, et développant des maladies qui ont des conséquences néfastes sur notre vie ici-bas. Pourquoi donc cet entêtement des spécialistes à ne pas lire ces images avec leur sens premier ? Est-ce parce qu'ils n'ont trouvé aucun phénomène astronomique à mettre en rapport avec ce galop de moutons dans un ciel menaçant ?

On peut, heureusement, en savoir plus sur les pratiques des prêtres-astronomes en examinant le développement ultérieur de l'astrologie des présages. Si Babylone finit par être éclipsée sur le plan politique, elle réussit à conserver une tradition millénaire de culture et d'érudition qui, au 1er millénaire av. JC, allait susciter l'admiration de jeunes états. A partir du 7e siècle, Perses, Juifs et Grecs sont attirés par l'aimant de la science « chaldéenne » vers Babylone, dont l'atmosphère de communication et de compétition est le théâtre d'une sorte de révolution regain d'intérêt pour les choses du ciel qu'expliquent peut-être de nouveaux événements célestes. En tout cas, les mathématiques et l'astrologie babyloniennes connaissent alors un grand renouveau qui se poursuivra sous les Séleucides, et des visiteurs comme Zarathoustra et Pythagore, et plus tard Abraham, seront tour à tour proclamés inventeur des sciences, de l'astrologie et des nombres, et diront tous avoir été le premier instructeur de l'humanité23.

Dans les chapitres suivants, nous allons suivre le cheminement labyrinthique de la science, qui passe par la Grèce, la Macédoine et Rome, et conduit jusqu'à nous. Pline, par exemple, nous apprendra que le mot toison était encore couramment employé pour comète au commencement de notre ère ( chap. 6 ). Plus intéressant, nous verrons que les routes de l'est conduisirent l'astrologie babylonienne jusqu'en Perse, puis en Inde et en Chine, où elle connut une autre renaissance vers la fin du 1er millénaire24. Et là, il ne peut y avoir aucun doute sur ce que faisaient les astrologues25. Leur préoccupation première était de détecter les « étoiles invitées » et recenser les boules de feu  premières sont majoritairement des comètes et que les secondes sont majoritairement des météores ultra-brillants issus des comètes.

Comme dit Schafer : « alors que l'historien de la science chinoise s'intéresse surtout à l'exactitude de certains rapports et mesures, tels que l'obliquité de l'écliptique ou la durée de l'année, les astrologues des T'ang s'intéressaient surtout aux visions favorables ou alarmantes venues des voûtes noires du ciel ». Aujourd'hui encore, il y a des observateurs de par le monde qui, perpétuant les traditions babylonienne et chinoise, regardent s'évanouir la queue d'une comète et surveillent les étoiles filantes.

Ce qui est sûr, c'est qu'ils ne demandent pas à quoi s'occupaient les anciens en scrutant des entrailles ou en comptant les moutons anormaux. L'idée qu'une comète morte puisse se muer en un dangereux essaim d' « étoiles cachées » n'est pas de celles qu'autorise la pensée actuelle. La logique l'exige : les rois bergers sont un mythe et n'ont pas vocation à descendre du ciel !

Le problème est donc celui de l'interprétation. D'un côté, nous avons les astrologues babyloniens qui décrivaient des dangers célestes et, tout au long de l'histoire, ces observateurs qui ont tenté de faire le lien entre les dangers d'en haut et les catastrophes d'ici-bas  textes anciens qui jugent, in petto, bien difficile d'expliquer pourquoi les premiers observateurs du ciel étaient aussi des bergers, et qui se rassurent sans doute en se disant que le ciel ne recèle en fait aucun danger. Nous allons, dans les chapitres suivants, tenter de comprendre d'où est venue cette certitude et de déterminer si elle est fondée.








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Les Forces du Mal











Notre tendance naturelle est de formuler nos connaissances par des modèles. Lorsque des faits nouveaux ne se conforment pas exactement à ces modèles, une légère modification de ces derniers suffit généralement à les préserver. Mais parfois, les faits récalcitrants s'accumulent au point que tout s'écroule et qu'une révolution intellectuelle s'avère nécessaire, après laquelle les anciens faits restent valides mais sont compris différemment, la perception de la vérité ayant changé26.

Il est difficile d'apprécier si les fissures apparues dans un édifice intellectuel sont réparables, ou sont au contraire le signe d'un effondrement  difficile que des réputations scientifiques s'y sont faites ou perdues. Après coup, il est aisé de gloser sur l'aveuglement des savants, mais sur le moment, les choses sont rarement claires et l'on peut dire que pour une révolution scientifique réussie, bien d'autres ont échoué. Ainsi, des modèles erronés de la réalité peuvent se maintenir longtemps avant de céder sous le poids des contre-preuves, et dans ce que nous tenons pour vrai aujourd'hui, des erreurs apparaîtront sans doute demain. De nombreux précédents historiques le géocentrisme ou le créationnisme biblique, par exemple montrent que l'humanité peut s'accrocher à des modèles faux pendant des milliers d'années et que le meilleur antidote est de les confronter sans relâche à de nouvelles expériences et observations, qui permettent de détruire les vieux préjugés mais obligent parfois à repenser les faits établis.

Une révolution est en route dans les sciences de la terre. Le catastrophisme terrestre, cette idée selon laquelle l'évolution de la vie et même les processus géologiques fondamentaux seraient contrôlés par des arrivées soudaines de matériaux spatiaux, est devenu au cours des dernières années un concept aussi important que controversé ( cf. chap. 14-15 ). Les preuves se trouvent non seulement dans les roches mais dans des observations astronomiques nouvelles. Le point de vue classique, défendu pendant un siècle ou plus par les géologues et biologistes, selon lequel la terre évoluerait dans un superbe isolement par rapport à son environnement, se révèle faux. La démarche suivie dans ce livre consiste à appliquer ces mêmes découvertes astronomiques aux périodes historiques, et non plus géologiques. Les données astronomiques qui nous enseignent une autre histoire de la terre, nous disent aussi que des cataractes de feu se sont produites au cours des derniers millénaires. Bref, nous reconsidérons les données historiques à la lumière de ce nouveau paradigme catastrophiste. Ce n'est pas tout, car nous examinerons également des questions qu'on range aujourd'hui dans d'autres domaines et que l'on croit comprendre.


Les cataractes de feu, pour le spécialiste, sont une absurdité, et la question que nous proposons au lecteur d'examiner est de savoir si les données peuvent encore entrer dans les modèles admis. Car, alors que les Babyloniens ont rapporté sans équivoque la peur que leur inspiraient les choses du ciel, et ont décrit ce qu'ils voyaient en des termes laissant peu de doute sur l'aspect du danger, les interprètes modernes choisissent de rejeter cette connaissance en disant que ces observations furent imaginées.

Or, nous montrerons que cet exemple n'est pas isolé et que de vastes pans de données écrites sont écartés d'un revers de main parce qu'ils ne cadrent pas avec nos schémas de pensée lesquels, rappelons-le, sont très antérieurs aux découvertes géologiques et astronomiques récentes. Cette analyse comporte une autre dimension. L'approche des savants, qui consiste à se cramponner à leurs points de vue jusqu'à ce que l'évidence leur fasse lâcher prise, est-elle moralement défendable ? Comment peut-on justifier d'entretenir des convictions inébranlables qui mettent la civilisation en péril ? Entre -5000 et -3000, le climat de la terre fut relativement doux, ce qui semble avoir contribué à l'apparition des premières sociétés urbaines ( fig. 1 ).


Dès -3000, de grandes civilisations assez semblables occupaient les zones alluviales de trois grands bassins hydrographiques : le Tigre et l'Euphrate en Mésopotamie, le Nil en Egypte, l'Indus en Inde. L'avance de ces civilisations est évidemment à mettre sur le compte d'une nourriture suffisante pour faire vivre, non seulement ceux qui la produisaient mais des artisans et des administrateurs. Les surplus nécessaires furent apparemment obtenus en déplaçant l'agriculture des zones montagneuses vers l'aval des fleuves, dont les plaines alluviales particulièrement vastes permettaient, par l'irrigation, de hauts rendements agricoles.

Vers -3000, cependant, le climat terrestre subit une détérioration marquée qui allait durer deux siècles27. Les pluies augmentèrent et la température moyenne baissa. Au Canada et au nord de l'Europe par exemple, la limite septentrionale des forêts recula de plusieurs centaines de kilomètres ( fig. 2 ), alors qu'ailleurs, la forêt progressait. Les glaciers de montagne s'étendirent. De grandes inondations se produisirent en Mésopotamie et en Egypte, reconnaissables dans le premier cas par le limon retrouvé sous les anciennes citadelles, dans le second par l'emplacement des temples par rapport au Nil. Ailleurs, des changements à grande échelle se produisirent dans la végétation et le sol, notamment d'importants feux de forêts qu'on pense dus au défrichage et qui laissent supposer une période de prospérité agricole28. Le paradoxe des récessions climatiques mondiales est qu'elles aggravent la situation de certaines zones tout en améliorant parfois celle d'autres zones29.

Ce qui est sûr, c'est qu'il y eut des changements, en mieux pour les uns, en pire pour d'autres. Fait remarquable, la même époque fournit des traces claires d'un essor de la civilisation : des savoir-faire nouveaux émergent, l'écriture apparaît, une classe professionnelle se développe, toutes choses marquant le début de la période historique.


En outre, de grands travaux comme la construction des pyramides ou la mise en place de vastes réseaux d'irrigation suggèrent qu'un dynamisme sans précédent s'empare alors de la population. Les efforts engagés sont sans commune mesure avec ceux consentis auparavant, et la question incontournable est de savoir si le changement climatique y fut pour quelque chose. Mais on peut aussi se demander si cette dynamique ne fut pas la conséquence obligée d'événements violents et imprévus, liés au changement climatique, qui auraient créé un sentiment d'urgence et d'appréhension intense.

Aucune de ces lignes de recherche ne semble avoir été sérieusement poursuivie par les archéologues et historiens modernes. La plupart des experts ne voient là que coïncidences et considèrent que le changement climatique survenu vers -3000 eut une incidence minime ou nulle sur le progrès de la civilisation. Il y a un siècle, dans le prolongement de la révolution industrielle, et avant qu'on ait mis en évidence les traces physiques des changements climatiques, il semblait naturel d'expliquer la montée parallèle des grands « empires hydrauliques » par la diffusion des connaissances et d'heureuses percées dans les savoir-faire.

La préhistoire fut ainsi envisagée comme une suite d'étapes technologiques d'une sophistication croissante ( la pierre, le bronze, le fer, etc. ), qui libéraient du temps pour penser aux prochaines avancées perspective dans laquelle on perçoit l'influence du darwinisme.

Le concept d'un progrès technologique indéfini, très en vogue aux 19e et 20e siècles, commença à se lézarder quand on réalisa que les Européens extrayaient et travaillaient le cuivre bien avant le 4e millénaire av. JC. Il devint clair que pour conserver le schéma évolutionniste de l'histoire, il fallait minorer le rôle de la technologie. Et l'on émit l'idée que le parallélisme observé dans l'évolution de communautés séparées tenait à quelque loi naturelle du comportement humain. Dans des conditions semblables, pensait-on, toutes les communautés développent des « tensions socio-économiques » identiques, qui les poussent vers des types comparables de civilisation  l'état sauvage primitif au pastoralisme nomade puis à l'agriculture et à la civilisation sédentaire. Les mêmes tensions feraient s'agréger les fermes en villages, s'assembler les villages en cités-états, grandir les sociétés urbaines et s'étendre les empires monolingues jusqu'à ce que l'espèce ait conquis la terre. Technologique au 19e siècle, l'approche de l'histoire est devenue sociologique au 20e 30.

Dans cette optique, le moteur ultime de l'histoire est la course de l'homme vers la civilisation. Mais en l'adoptant, l'archéologue et l'historien ont relégué les facteurs environnementaux au second plan. Quand on étudie l'âge de bronze ancien dans le Wessex, par exemple, c'est pour se demander si la civilisation s'est développée localement par le commerce avec le continent ou si elle fut imposée à une population vassale par des envahisseurs continentaux. La réponse éclaire peut-être les processus par lesquels des dominations s'installent entre les peuples et font évoluer les destins nationaux. Mais en attachant une importance si exclusive aux comportements humains, au détriment des circonstances physiques et des changements de l'environnement, le risque existe d'amputer l'histoire de ses causes profondes. En outre, les données sociologiques étant généralement limitées, et les problèmes par conséquent souvent insolubles, on peut chercher indéfiniment sans jamais se rendre compte qu'on s'est enferré dans une voie sans issue. Dans ce contexte, les chances sont donc minces de répondre à la question fondamentale suivante : existe-t-il des forces historiques plus profondes dont les symptômes de la civilisation, les réalisations techniques et sociologiques de l'homme, la montée et le déclin des nations, seraient les effets ?


Pour clarifier la question, nous n'avons d'autre ressource que d'étudier ce qu'ont dit les anciens eux-mêmes. Et un point frappe dès l'abord : c'est l'importance que ceux-ci accordaient aux dieux. C'était vrai en Mésopotamie, c'était vrai également en Egypte au début du 3e millénaire av. JC, où l'on attribuait la fortune aussi bien que le malheur à des êtres divins d'arrivée relativement récente. Il n'est donc peut-être pas inutile d'en apprendre davantage sur ces dieux. On pourrait concevoir, par exemple, que les changements climatiques de l'époque aient entraîné l'apparition de « dieux climatiques » dans le langage, simples expressions qui auraient ensuite disparu. Mais ce serait à l'évidence sous-estimer l'importance capitale que les dieux avaient pour les Egyptiens.

A partir de -3000, les pharaons se persuadèrent que résidait en eux le pouvoir divin de divinités ancestrales31. Les noms qu'ils se donnaient Scorpion, Poisson-chat, Combattant, Serpent, Tueur... montrent que les premiers rois paraient leurs dieux de vertus éminemment guerrières. Les chefs égyptiens et leurs rivalités finirent par s'effacer devant un pharaon omnipotent au style de vie royal. Horus, le dieu-faucon, devint le dieu du ciel et le symbole par excellence de la royauté : dieu bienveillant, il garantissait au nouvel état égyptien sa sécurité et sa continuité par rapport à ses origines. L'incidence des changements climatiques sur la lutte pour la vie ne semble pas avoir disparu pour autant  voir en suivant un moment les Egyptiens et en analysant le rôle d'Horus, dont ils faisaient leur sauveur.

Le caractère multiple de la mythologie égyptienne provient de ce que les cités-états se réclamaient de dieux différents. Les cités se regroupant, des identifications entre dieux s'opéraient. Chaque dieu possédait une famille et des relations bien à lui, souvent zoomorphes au départ mais tendant avec le temps à prendre figure humaine. Malgré ces caractéristiques particulières, on retrouve chez les Egyptiens le pendant du berger divin et de ses moutons, et un parfum monothéiste imprègne leur mythologie dès les débuts. Considérons par exemple le cas de Ptah. Ce très ancien dieu donna naissance à une lignée d'autres dieux. La première génération, disent les légendes cosmiques primitives, fut celle d'Osiris et Seth, dont l'importance sera considérable. Respectivement noir et rouge de peau, ils créèrent « deux terres » la Terre Noire et la Terre Rouge constituant apparemment les deux divisions principales d'un monde immense et plat. La Terre Noire était séparée de la Terre Rouge par une enceinte continue construite par Osiris  cette enceinte appartenait clairement au royaume cosmique car elle était aussi le chemin zodiacal qu'empruntaient, dans une barque céleste, le dieu-soleil et quelques autres dieux du ciel pour accomplir leur voyage quotidien.

Cette conception égyptienne primitive du monde reposait donc implicitement sur une terre plate bordée par un cosmos plat. Elle était présente dans la disposition même des temples égyptiens, où l'enceinte était représentée par un rectangle de colonnes et de murs dont la façade intérieure était décorée d'une rivière dominée par un ciel étoilé. Cette enceinte était synonyme de cours d'eau, de rivière, alors que la Terre Rouge qui s'étendait au-delà était fréquemment identifiée à un océan. Comme le montre cette imagerie, la Terre Noire et la Terre Rouge étaient issues des eaux primordiales du chaos, lesquelles étaient associées à la naissance d'Osiris et de Seth.

A l'intérieur de l'enceinte, à une extrémité, se trouvait l'Île de la Création ( peut-être lieu de conservation d'une pierre météoritique, comme la Mecque ). A l'autre extrémité se dressaient, de part et d'autre de la porte d'entrée, deux énormes pylônes qui représentaient, semble-t-il, quelque chose allant de l'enceinte vers l'espace cosmique, et dont la présence était apparemment si naturelle qu'ils seront plus tard symbolisés dans les lieux de culte par de simples paires de tours ou de minarets. Nous reviendrons sur cet aspect important de la structure cosmique. Ce qu'il importe pour le moment de noter, c'est qu'Osiris passait pour avoir été tué par Seth, lequel avait ensuite dispersé les fragments de son corps autour de l'enceinte. Isis, soeur et épouse d'Osiris, réussit à rassembler les fragments et à ressusciter son époux. Elle en conçut un fils posthume, Horus, qui vengea son père en battant Seth au cours de maintes batailles.

Les Egyptiens, ceux du Moyen-Empire notamment, voyaient dans ces conflits récurrents le triomphe passé et futur des forces du bien sur les forces du mal, et dans Horus le seigneur protecteur de l'Egypte, ce qui sous-entend que les forces du mal envahissaient parfois les territoires des forces du bien que protégeait Horus. De ces incursions, on trouve la trace dans les allusions qui émaillent toute l'histoire égyptienne aux menaces des peuples de la Mer, lesquels causèrent peut-être la chute du Moyen-Empire ( vers -1650 ). On lit ainsi qu'une « explosion venue de Dieu » laissa l'Egypte dans un état d'« affliction sévère » et sans souverain. Des « chefs de pays étrangers », appelés Hyksos, s'emparèrent alors du pays, sans coup férir dirait-on, et brûlèrent les cités et les temples de Dieu. Il est précisé qu'ils étaient conduits par Seth et qu'ils imposèrent une suzeraineté barbare et impitoyable, dont les archéologues et historiens peinent cependant à trouver la moindre trace et que l'on pourrait tout aussi bien croire tombée du ciel. Dans ce contexte, les affrontements entre Osiris et Seth prennent plus de sens et l'on comprend mieux pourquoi ils comptèrent tant, et si longtemps, pour les Egyptiens. Et cela nous amène à conclure que la menace cosmique, quelle qu'elle fût, qui pesait sur la Mésopotamie, s'observait également en Egypte.

De fait, où que l'on pose les yeux dans le monde antique d'alors, on rencontre des mythes créationnistes32 selon lesquels des géants célestes se seraient jadis livré bataille et auraient dominé la terre, bataille d'ailleurs récurrente et se terminant généralement par la victoire des forces du bien. A la victoire d'Horus sur Seth répondent ainsi celle du babylonien Mardouk sur Tiamat, des Titans grecs ( parmi lesquels Zeus finira par s'assurer la suprématie ) sur les Cyclopes, du Léviathan hébraïque sur Béhémoth, de saint Georges sur le dragon, de Yahvé sur Satan, et l'on peut continuer la liste ( voir tableau 1 ).


Dans tous ces mythes anciens, les forces du mal possèdent une connotation céleste marquée ( cf. chap. 13 )  la peur intense des Mésopotamiens envers le ciel n'a donc rien d'un cas isolé. On a en fait le sentiment que le ciel antique était peuplé d'entités spéciales, l'une considérée comme menaçante, l'autre comme protectrice. La question est donc la suivante : ce dualisme céleste repose-t-il sur une base matérielle réelle, qui comporterait un aspect inoffensif et un aspect dangereux ? Il est intéressant de noter, par exemple, qu'Osiris apparaît sur d'anciennes illustrations vêtu d'un long manteau blanc. Les Egyptiens disaient qu'il avait amené la civilisation et l'agriculture.

Sa gloire finit par s'affaiblir et il mourut, mais son esprit, rajeuni, survécut et passa chez son successeur. Dès lors, chaque pharaon était Horus pendant sa vie et devenait Osiris à sa mort. La descente d'Osiris dans l'inframonde et son voyage vers le Lieu de l'Ascension, ou Île de la Création, étaient symbolisés par une procession conduisant au séjour ultime : une pyramide qui représentait une demeure céleste aussi réelle que l'enceinte séparant la Terre Noire de la Terre Rouge. Il est difficile de distinguer où finit le symbole et commence la réalité mais tout cela n'est pas sans évoquer un objet qui apparaîtrait régulièrement dans le ciel, serait enveloppé d'un long manteau blanc et pourrait, perdant sa gloire, se fragmenter en formant dans l'espace une île temporaire et une ceinture temporaire, de l'extérieur de laquelle pourraient venir d'autres menaces.

Il faut observer à ce sujet que Typhon, l'homologue grec de Seth, présente lui aussi des caractéristiques indéniablement cosmiques. Plusieurs auteurs classiques parlèrent de lui comme d'une sorte de comète, et Plutarque, au 1er siècle, écrivit33 :


Quant à Typhon, dont la puissance est éteinte et brisée, et bien qu'il agonise et approche de son dernier souffle, les Egyptiens continuent de l'apaiser par des fêtes propitiatoires. Cela ne les empêche pas, lors de certaines fêtes, de l'humilier terriblement et de le traiter avec la dernière malice allant jusqu'à rouler des hommes à peau rouge dans la boue et à pousser un âne dans un précipice sous prétexte que Typhon avait la peau rouge et ressemblait à un âne.


Un dieu éteint, brisé, à peau rouge et ressemblant à un âne : autant dire, pour un esprit moderne, un fatras de symboles incompréhensibles et sans intérêt. Nous remarquerons quant à nous, anticipant sur les développements du chapitre 12, que nous avons là une description très fidèle d'une comète qui aurait jadis été grosse mais serait maintenant près de sa fin.

A supposer que ce genre de phénomène soit apparu effectivement dans le ciel, on comprend que, dans le monde entier, les anciens mythes à connotation cosmologique aient pu présenter des points communs.

A supposer, en outre, que ces phénomènes aient été suivis de cataractes de feu entraînant la fin de l'ordre et des lois, on peut raisonnablement s'attendre à trouver une cohérence générale dans les divers visages de l'histoire, et une certaine simultanéité dans la chute des empires, les mouvements de populations, les conflits et l'émergence des idées sur fond, sans doute, d'une crainte profonde de ce que le ciel tenait encore en réserve. Curieusement, tel est bien le tableau général de l'histoire du monde ( cf. tableau 2 ), et bien des savants ont ruiné leur réputation à tenter d'en comprendre la cause. Bien sûr, ces premiers éléments sont insuffisants pour conclure, mais reconnaissons qu'ils sont plus cohérents avec notre thèse qu'on n'aurait pu croire.

Si des cataractes de feu cométaire semèrent la terreur dans le passé, il est naturel de penser que les populations aux abois durent tenter d'apaiser ces forces cosmiques incontrôlables au moyen de rites, et aussi de s'attendre à trouver les caractéristiques orbitales des comètes inscrites dans des pratiques sociales anciennes dont la signification s'est aujourd'hui perdue. La panoplie des jeux et fêtes basés sur le feu, tels que feux d'artifice, processions ardentes, roues de feu, lancers de disques allumés et autres, est répandue dans le monde entier et on remarquera que ces jeux se pratiquent surtout à mi-juin et au début de novembre ( Halloween ) cette dernière période ayant d'ailleurs été souvent considérée comme le début de l'année calendaire dans le passé. Si aucune de ces dates n'a d'importance particulière pour l'agriculture, il se trouve en revanche qu'à ces moments-là la terre coupe l'orbite d'une comète particulièrement importante. Nous reparlerons de cette comète plus loin ( notamment au chap. 13 ), mais notons encore une fois des rapprochements plus directs qu'on ne l'aurait cru.


Ainsi, les mythes et rites anciens, qu'ils soient égyptiens, mésopotamiens ou d'autres que nous n'examinons pas ici, parlent avec force d'un conflit persistant avec le ciel et dans le ciel. Les historiens et archéologues modernes optent presque tous pour une interprétation figurée car ils pensent que les allusions à des divinités sont symboliques. Nous arrêterons là le débat pour le moment, car les raisons qui ont fait s'effondrer des empires à l'époque moderne sont clairement plus politiques que cosmiques, et il serait donc absurde de tout ramener à une explication unique  simplement de démontrer qu'il existe des motifs raisonnables de douter.


Si le tableau alternatif que nous proposons est correct, les périodes de stabilité dans l'histoire, qui habituellement retiennent davantage l'attention, voient leur signification diminuer quelque peu, et ce sont les moments de chaos et de ruine qui marquent les vrais tournants de la civilisation. Entre les crises, un semblant d'ordre peut s'installer, au bout, peut-être, d'un siècle ou deux  ciel, même pour dix ans seulement, même jamais réalisée, peut suffire à détruire définitivement un équilibre social délicat.

L'histoire égyptienne, par exemple, est marquée par des périodes de conflits entre cités-états et d'absence d'organisation centrale, parfois même de chaos et de récession, entre lesquelles s'étalent de longues périodes de stabilité sous la domination de royaumes puissants et magnifiques. Ces royaumes, auxquels font pendant en Mésopotamie des périodes de haute civilisation ( tableau 3 ), paraissent s'être effondrés brutalement dans des circonstances qu'on ne comprend pas vraiment et qui inaugurèrent chaque fois une ère nouvelle. Les dates ( -3100, -2200, -1650 et -125034, selon la chronologie conventionnelle ) correspondent respectivement à la fin de la préhistoire, à la fin de l'Ancien Empire, à la fin du Moyen Empire ( envahisseurs Hyksos ) et à la période, après Ramsès II, où l'Égypte succomba aux Peuples de la Mer.

La civilisation, même diminuée, survécut mais, dans le dernier exemple, la chute fut si dévastatrice que l'Égypte ne retrouva jamais son éclat antérieur  devait pas passer inaperçue.

~ 3 ~

Les Héraclides










L'essor de la civilisation ne s'est pas fait seulement dans les vallées et deltas de grands fleuves comme le Tigre, l'Euphrate, l'Indus ou le Nil. Parallèlement aux grands centres urbains du début du 3e millénaire av. JC qui focalisent généralement l'attention, les habitants des régions égéennes sortaient eux aussi, à la même époque, de l'âge de pierre. Moins impressionnants peut-être à première vue, mais non moins accomplis, ces peuples allaient atteindre un haut niveau artistique et technologique  du 2e millénaire av. JC, la civilisation minoenne centrée sur la Crète avait non seulement développé des relations commerciales et culturelles avec les autres grandes civilisations, mais exerçait une influence prédominante sur le bassin méditerranéen.

On sait relativement peu de choses sur les contacts éventuels des Minoens avec d'autres aires culturelles, même si l'on sait que des immigrants indo-européens venus du nord et de l'est arrivaient déjà en Grèce continentale. On pensait naguère que ces immigrants parlaient la langue aryenne dont sont issus le latin, le sanskrit, le celte et le teuton, mais les éléments disponibles montrent seulement que dès -1600, ces arrivants étaient intégrés aux populations locales et avaient créé, sur le continent, une société mycénienne grécophone qui semblait coexister paisiblement avec ses puissants voisins minoens.

On pense que les Grecs de l'époque classique avaient une double origine35 : d'une part, une population indigène antérieure peut-être sémitophone, de l'autre une vague d'immigrants indo-européens venus du nord et de l'est. Les légendes semblent parler de deux anciennes provinces grecques, nommées Achaïe et Doride, où les immigrants se seraient mélangés aux Égéens déjà présents. Les données archéologiques suggèrent toutefois que ces derniers ne se seraient installés que vers -1100, et pas nécessairement en grand nombre. On considère généralement aujourd'hui que la poussée indo-européenne apparut vers -2000 au moins, et que le sentiment d'unité ethnique qui naquit chez les groupes inorganisés peuplant les étroites vallées de l'archipel grec dut autant aux populations maritimes indigènes qu'à une caste supérieure d'envahisseurs guerriers. Il est possible, bien sûr, que les envahisseurs indo-européens aient créé cette cohésion en imposant à une population asservie leur mode de vie féodal et aristocratique  aussi clair que la langue grecque possède une origine locale et que le sens de la nation pourrait donc remonter à une époque très ancienne.

On sait par exemple que le linéaire B, variante d'écriture minoenne utilisée dans la capitale crétoise Cnossos dans ses derniers temps de prospérité, était un ancien dialecte grec identique à celui dont usait la Grèce mycénienne à la même époque. Le grec et le linéaire B semblent donc refléter une langue déjà bien implantée en mer Égée au milieu du 2e millénaire av. JC. On connaît aussi le linéaire A, précurseur possible du linéaire B apparu vers -1800 et indéchiffré à ce jour. En usage à l'époque du deuxième palais de Cnossos ( 1625-1450 av. JC ), il coexista auparavant, au temps du premier palais de Cnossos ( 1800-1625 av. JC ), avec l'écriture hiéroglyphique crétoise, ainsi nommée par référence aux hiéroglyphes égyptiens. Un autre surgeon du linéaire A, le chypro-minoen, se développa au 16e siècle av. JC dans des circonstances non élucidées. Ce que les données mettent en évidence, en tout cas, c'est l'existence d'une civilisation minoenne puissante, dont les origines pourraient remonter au 3e millénaire av. JC et qui s'éteignit vers la fin du 2e millénaire.

Sur ces bases, archéologues et historiens ont réussi à recomposer un tableau assez intelligible de cette zone avant -1500. Mais ce tableau n'a fait qu'épaissir l'énigme de l'histoire ultérieure des Minoens et Mycéniens. Car en un temps relativement bref quelques siècles au plus, ces sociétés parvenues au faîte de l'abondance et de l'organisation subirent un effondrement spectaculaire, et ce, dans des circonstances curieusement semblables. La civilisation insulaire minoenne, et tous ses satellites égéens, disparurent vers -1450  vers -1200.

On a avancé que la civilisation minoenne aurait été détruite par l'éruption du volcan de Théra, île située à moins de 150 km au nord de la Crète. Ce fut effectivement un événement de première grandeur. Des cendres furent dispersées au-dessus d'une vaste zone de Méditerranée orientale couvrant les Cyclades et l'essentiel de la Crète. On peut se faire une idée de la violence de l'éruption en constatant que la caldera de Théra est six fois plus vaste que celle du Krakatoa ( 1883 ), laquelle fut pourtant capable de lancer, dans le mince détroit séparant Java et Sumatra, un énorme raz-de-marée qui noya 36.000 personnes et détruisit pas moins de 200 villages. Cependant, compte tenu de différences de topographie, il n'est pas certain que l'explosion de Théra anéantit la civilisation minoenne, car celle-ci semble avoir survécu après l'événement ( vers  1500, d'après la radiodatation ) et s'être terminée dans de tout autres circonstances.

La datation relative étayant cette conclusion se base sur les styles des poteries trouvées à Théra au-dessus et au-dessous des couches de cendres, et est relativement sûre. La datation absolue offre en revanche moins de certitude. Le repère chronologique auquel on rapporte le plus souvent les anciens événements du Proche-Orient est le calendrier sothiaque de l'Égypte ancienne, établi d'après quelques bribes d'observations astronomiques figurant dans les listes de rois issues de Manéthon36. Or nous allons voir que l'effondrement final de la civilisation égéenne s'étendit à tout le Proche-Orient et créa un hiatus culturel qui dura peut-être cinq siècles. Dans cet intermède purent se produire des partitions d'états, et par conséquent des confusions entre dynasties, d'où un risque d'erreur dans la chronologie absolue  quant aux dates où les empires minoen et mycénien disparurent37. Mais cela ne change rien à la matérialité des événements.

En ces deux occasions, les villes et les campagnes semblent avoir été dévastées. Pour autant qu'on sache, le déclin de la civilisation et la dégradation de l'environnement furent à peu près simultanés. La plupart des régions méditerranéennes étaient nettement plus boisées et fertiles à l'âge de Bronze qu'aujourd'hui  semi-désertification actuelle témoigne que des facteurs destructeurs provoquèrent une déforestation massive et une quasi-annihilation du couvert végétal, créant les conditions d'une érosion ultérieure implacable. Il est même probable que les campagnes et les villes furent détruites à si grande échelle que beaucoup de gens furent obligés de partir, ne laissant derrière eux, après -1100, qu'une maigre souche d'habitants pour repeupler et recultiver le pays.

Villes sans protection comme Cnossos, Phaïstos ou Gournia en Crète, ou citadelles massives comme Pylos, Mycènes ou Tirynthe en Grèce continentale, les cités furent dévastées aussi complètement que par un tremblement de terre ou un incendie, en deux épisodes qui n'excédèrent probablement pas cinquante ans mais laissèrent les habitants gravement affaiblis et diminués. Le premier événement, probablement le moins important, couvrit la totalité de la Crète, abattant la civilisation minoenne et fournissant aux Mycéniens une occasion majeure de s'étendre sur mer : au bout de deux siècles et demi, ceux-ci disposaient de comptoirs à Chypre et Troie, en Égypte, Palestine, Syrie, Cilicie, Sicile et Crète, dans le sud de l'Italie et les îles égéennes. Pourtant, leur civilisation fut à son tour ravagée. Mais cette fois, la région entière fut comme vidée de culture pendant cinq cents ans et une véritable récession s'installa. Très peu de choses survécurent et la nation mycénienne tomba dans la pauvreté, l'analphabétisme et l'ignorance. Non seulement la population diminua sévèrement, mais elle s'enfonça dans une existence si primitive que l'écriture et l'architecture cessèrent d'être pratiquées et tombèrent dans un quasi-oubli. La poterie, toutefois, se maintint en de nombreux endroits, bien qu'à un niveau primitif, de même que les légendes et les cultes. Au total, il est clair que nous sommes là en présence de désastres d'une ampleur presque sans précédent, et l'on ne peut que s'interroger sur les facteurs naturels ou humains capables d'une dévastation aussi immense.

La fascination persistante qu'exerce sur nous la catastrophe mycénienne ne réside pas que dans cette récession ni dans la destruction vaste et définitive qui la précéda38, mais aussi dans le mystère de sa cause. L'intérêt des historiens pour ce sujet, d'ailleurs, ne se limite pas au seul cas mycénien. Tout au long de l'histoire, des périodes de splendeur et de puissance ont été suivies de dépressions et d'effondrements, et des états prospères et puissants ont été balayés qu'on pense, par exemple, aux royaumes combattants chinois, à la civilisation maya, à l'empire romain. Dans bien des cas, les causes de déclin demeurent obscures. Comme nous l'avons déjà dit, on ignore s'il faut accuser une loi générale des sociétés humaines, qui conduirait à l'autodestruction, ou une cause externe qui nous aurait jusqu'ici échappé. Toute avancée dans la compréhension d'un de ces événements peut donc nous éclairer sur le phénomène général, et par conséquent sur l'avenir de notre propre civilisation. Voilà pourquoi toutes sortes de causes ont été imaginées au déclin mycénien : pertes de récoltes et famines, séismes gigantesques, invasions, révolution prolétarienne, guerres de chefs, entre autres. Mais bien que certaines aient pu jouer, le sentiment dominant, aujourd'hui, est qu'il dut se passer quelque chose de radicalement étranger à notre compréhension ordinaire.

Étrangement, les Mycéniens semblent avoir reconnu les forces qui devaient les anéantir, et tenté de prendre les devants. Alors qu'ils avaient évincé les Minoens en Méditerranée depuis -1400, et qu'ils étaient au plus fort de leur domination, les chefs mycéniens furent apparemment gagnés par une inquiétude croissante sur la protection de leurs cités. À l'évidence, ils sentaient venir une menace de siège, car ils postaient des guetteurs et mobilisaient fréquemment les défenseurs pour parer à toute attaque. On est allé jusqu'à comparer cette fébrilité à celle que connut l'Europe au temps des Vikings 2000 ans plus tard. En un temps où l'économie mycénienne était florissante et où l'on construisait des palais élaborés à Pylos, Mycènes, Tirynthe, Iolcos, Gla, Orchomène, Thèbes et Athènes, on bardait également ces édifices de murailles cyclopéennes protectrices. Simultanément, on remettait à l'honneur l'antique habitude de construire au sein du palais une petite enceinte couverte appelée mégaron, où l'on accédait par une antichambre basse  mégaron, qui évoque singulièrement un abri anti-aérien ( planche 3-a ). Tous ces préparatifs furent vains  toutes ces citadelles, sauf Athènes, étaient détruites et abandonnées. À quelles forces les Grecs de l'époque classique attribuaient-ils cette destruction ? On le sait ici sans ambiguïté : à des envahisseurs appelés Héraclides !

Quand on examine les références aux Héraclides, on s'aperçoit qu'elles ne possèdent pas la moindre connotation figurée ou métaphorique. On peut donc exclure que soient ici visés des rébellions ou des soulèvements paysans dus à des problèmes économiques. Mais l'archéologie n'a rien trouvé non plus, malgré ce que disent les traditions, qu'on puisse sans hésiter attribuer à des forces d'invasion. Aucun changement n'apparaît, par exemple, dans les tenues mortuaires ni dans l'armement. Aucune nouveauté linguistique ne manifeste non plus la présence de conquérants, et les données mettent plutôt en évidence la continuité d'une évolution entamée vers -2000 avec l'arrivée des locuteurs indo-européens. Les Héraclides donnent l'impression d'agresseurs fantomatiques qui seraient venus du nord mais ne seraient pas restés sur les terres qu'ils traversaient.

En réalité, c'est la totalité des régions de Méditerranée orientale qui fut envahie et dévastée à cette époque. Le puissant voisin des Mycéniens, l'empire anatolien des Hittites, s'effondra lui aussi. Sa capitale Hattoussa périt dans les flammes, et d'autres cités anatoliennes comme Troie, Milet ou Tarse, eurent le même sort. Les grandes cités levantines d'Alalakh, Karkemich, Kadesh, Qatna, Ougarit brûlèrent pareillement, tout comme de nombreux centres urbains palestiniens. Ainsi, c'est une zone bien plus large que la seule région égéenne, et relativement sans rapport avec elle, qui vit anéantir sa prospérité et sa stabilité entre -1230 et -1180. Et c'est l'ensemble de cette zone qui va tomber dans un déclin et un isolement quasi complets, dont on peine à saisir l'intensité. En mer Égée, la récession durera jusqu'au 8e siècle av. JC  quoique réel, sera moins prononcé, tandis qu'en Canaan, les forteresses tomberont aux mains des Philistins, Araméens et Israélites. Comme l'a dit un auteur connu : « les traces de cités pillées, de murs écroulés, de communications coupées, de dépeuplement et de privations, ne sont que trop claires ».

Seule l'Égypte, un moment affaiblie, réussira à survivre et à conserver un semblant de civilisation, et ne connaîtra qu'un interrègne qu'on situe avant -1200. Un résumé posthume du règne de Ramsès III ( 1194-1162 av. JC ) débute sur un rappel de l'époque précédente, d'où il ressort que l'Égypte subit un coup d'arrêt si total qu'on cessa de tenir les archives et le compte des années :


La terre d'Égypte fut abandonnée et chacun ne connut que sa propre loi. Durant de longues années, il n'y eut aucun chef reconnu. Le gouvernement central sombra  dignitaires et chefs subalternes s'emparèrent du pays tout entier. Grand ou petit, chacun tuait ses voisins. Dans la détresse et le vide qui s'ensuivirent, il vint un Syrien, un étranger qui se dressa contre tout le pays. Des bandes de pillards alors se formèrent, qui, sans plus d'égards pour les dieux que pour les hommes, ôtaient aux temples leurs revenus.

À l'évidence, il y eut un effondrement général qui laissa la société sans défense contre les incursions de l'étranger. Même après le redressement de la situation, Ramsès III devait continuer, de  1190 à  1180, à se protéger contre « le Grand Pays et les agresseurs de la mer ».

Tout à coup, le pays fut en mouvement, jeté dans la guerre. Aucune contrée ne résistait à leurs armes. Hatti, Kobe, Kizzuwaka, Karkemish, Arzawa, Alishaya, tous furent isolés... Ils décimaient la population, et les terres étaient rendues au néant. Ils avançaient sur l'Égypte, précédés par les flammes.

Et un peu plus loin : « quant à ceux qui s'assemblèrent sur la mer, la flamme entière était devant eux dans l'embouchure des fleuves ».

Ainsi, les archives égyptiennes complètent et confirment remarquablement les données archéologiques. Elles semblent distinguer trois phases. D'abord apparurent des forces qui étaient armées d'une grande flamme menaçante et dont on peut penser qu'il s'agissait des envahisseurs qui causaient tant de dégâts. Puis vinrent, des pays dévastés du nord, d'importuns réfugiés. Et c'est dans un troisième temps seulement que le pharaon put penser avoir réglé ces deux problèmes. On peut en déduire que les Égyptiens surent tenir en respect les maraudeurs qui ruinèrent les empires mycénien et hittite.

Malgré des confirmations venues de toute la Méditerranée, malgré des destructions très réelles, les chercheurs sont à ce jour incapables de dire qui étaient les envahisseurs incendiaires. L'identité des Héraclides est un mystère absolu. SUITE DANS LE LIVRE

HRM-BUHIVERCOS
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~ Table des Matières ~


Prologue 11


I Le Labyrinthe de l'Histoire


1 Les Cataractes de Feu..... 25

2 Les Forces du Mal..... 39

3 Les Héraclides..... 53

4 Les Dieux du Ciel..... 61

5 Renaissance..... 75

6 Les Lumières..... 83

7 Jour d'Apocalypse..... 103

8 Crime aggravé..... 119

II Le Taureau du Ciel


9 Mécanique Céleste..... 135

10 Essaims Cosmiques..... 151

11 Contacts rapprochés..... 159

12 Échos des Temps Anciens..... 169

13 Fins du Monde..... 187


III Le fil d'Ariane de la Science


14 Empreintes galactiques..... 211

15 Catastrophisme Terrestre..... 223

16 Le Singe Nu..... 243

17 Que risquons-nous ?..... 251

Fréquence d'impact..... 252

L'Erreur nucléaire..... 255

Impact dans une zone urbaine..... 260

Essaims cosmiques..... 261

L'hiver cosmique..... 265

Poussières cosmiques..... 274

En résumé..... 278

Epilogue..... 281

Bibliographie..... 285



1 North American Aerospace Defense Command ( Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord ) : organisme créé en 1958 par le Canada et les États-Unis pour protéger l'espace aérien de l'Amérique du Nord.

2 Base aérienne hébergeant la 55e escadre de l'armée de l'air américaine.

3 Single Integrated Operation Plan ( Plan opérationnel intégré )

4 Defense Support Program : satellites militaires de détection de missiles.

5 Thomas, Religion and the Decline of Magic.

6 Cohn, The Pursuit of the Millenium

7 Homère, Iliade, Traduction Leconte de Lisle.

8 Virgile, Énéide, Traduction Anne-Marie Boxus et Jacques Poucet.

9 Lucrèce, De Rerum Natura, Traduction Henri Clouard. Les italiques sont de notre fait. Elles soulignent certains aspects du monde réel qui paraissent avoir été reconnus à l'époque classique et que la science, nous le verrons, confirme.

10 Oracles sibyllins.

11 Sénèque, Naturales quaestiones.

12 Tian-Shan, ‘Ancient Chinese Observations', entrée n°39. La date semble être le 22 mai de l'an  12, et l'heure 15 à 17H. Le fou est un pot en terre, le zhang vaut 12 degrés.

13 Savage, The Anglo-Saxon Chronicles.

14 Morris, Historical Tales : the Romance of Reality. Cet extrait impressionnant est cité à titre posthume par Velikovsky ( 1982 ), qui soutient que l'humanité, traumatisée à son insu par des événements passés, tend à minimiser ou banaliser les dangers célestes. L'alternative que nous explorons ici, à savoir que les dangers célestes ont été évacués de notre conscience pour des raisons intellectuelles infondées, a les mêmes conséquences.

15 Jacobsen, « Mesopotamia ».

16 Frankfort, H. et Frankfort, H. A., Myth and Reality.

17 Davidson, The Stars and the Mind.

18 Butterfield, The Origins of History. Cette étude a également été publiée à titre posthume mais elle est incomplète et ne permet donc pas de connaître la conclusion de l'auteur. Néanmoins, les éclairages qu'elle fournit, indépendamment de toute référence aux récentes découvertes astronomiques, laissent penser une certaine convergence de vue avec nous-mêmes.

19 Neugebauer, The history of ancient astronomy

20 Van der Waerden, Science Awakening II.

21 Cette vision de l'univers fut perfectionnée au cours du demi-millénaire suivant et devait trouver son expression la plus aboutie avec l'Almageste de Ptolémée, qu'on ne comprend bien, toutefois, qu'en le rapprochant de la Tétrabible du même Ptolémée.

22 Bien qu'on puisse soutenir que l'interpénétration des civilisationsconséquence, notamment, des migrations de massesoit le processus qui influa le plus sur le cours de l'histoire ( cf. Darlington, The Evolution of Man ), nous considérons que certaines conditions environnementales pourraient être plus fondamentales encore.

23 Oates, Babylon.

24 Cf. par exemple Needham, The Grand Tradition.

25 Les annales astrologiques des Chinois, comme celles de leurs devanciers babyloniens, couvrent une période de près de 2000 ans et ne furent connues en Occident qu'après leur traduction par le physicien français Biot ( Catalogue général des étoiles filantes ). Les archives des « étoiles hôtes » observées ont été récemment révisées et mises à jour par Ho ( Ancient and medieval observations ) mais aucune étude comparable des anciennes observations de météores n'existe encore. Pacing the Void, de Schafer, apporte un éclairage remarquable sur l'esprit de l'astrologie chinoise.

26 Kuhn, La structure des révolutions scientifiques. Cet auteur affirme non seulement que la science suit en gros la progression que nous décrivons, mais en outre que le choix des hypothèses fondamentales à une époque donnée répond à des motivations sociales.

27 Sur l'histoire du climat, Climate : Present, Past and Future de Lamb constitue une somme incontournable. On trouvera dans The Little Ice Age de Grove une étude détaillée des données concernant les récessions climatiques récentes.

28 Cf. par exemple Simmons et Tooley, The Environment of British Prehistory. Pour une approche plus large, voir Goudie, Environmental Change. Le climat postglaciaire qui s'améliorait à un rythme plus ou moins régulier se remit soudain à décliner vers 3500-3000 av. JC, avec une série de redressements et de rechutes d'intensité variable. Ce net déclin fut marqué en Grande-Bretagne par une diminution soudaine de la couverture arborée, des changements dans la végétation, des traces de feu à grande échelle révélées par des particules microscopiques de carbone, et la formation ultérieure de tourbières, schéma qui réapparaît avec force vers  1200. L'idée que ces dévastations seraient dues à l'homme est défendue par des experts qui ignorent l'existence de facteurs naturels capables de provoquer des feux.

29 Ces difficultés d'interprétation sont en voie de résolution rapide, grâce à des mesures basées sur certains isotopes ( ²H, 10Be, 14C, 18O par exemple ). Les fluctuations de concentration de ces isotopes sont en corrélation évidente avec le climat mondial. Outre qu'elles révèlent la survenue de grands âges glaciaires tous les 100.000 ans environ, ces mesures signalent l'apparition de forts reculs climatiques dont la durée avoisine un siècle et espacées d'un millénaire au maximum. Les fluctuations relevées sur les 10.000 dernières années montrent en outre l'existence de divers cycles courts sous-jacents, qui semblent se manifester également dans le comportement du soleil. Il existe malheureusement plusieurs processus physiques susceptibles de produire ces fluctuations, et il reste à déterminer le facteur principal : le soleil, un réservoir terrestre comme l'océan, ou encore une source de poussière périodique de l'espace interplanétaire. Néanmoins, ces cycles et leur explication constituent à l'évidence une clé des mystères climatiques et devraient porter leurs fruits dans un avenir peu éloigné. Les actes d'une réunion de la Royal Society, tenue à Londres en février 1989, fournissent l'état actuel de la recherche sur ce sujet.

30 Renfrew, Before Civilization. L'archéologue McKie ( The Megalith Builders ) propose une vision opposée attribuant le rôle principal, dans la préhistoire, aux facteurs astronomiques et environnementaux plutôt qu'aux facteurs sociologiques. On trouvera un commentaire bien argumenté sur l'approche « sociologique » de nombreux archéologues chez Bradley ( The Social Foundations of Prehistoric Britain ) qui conclue par cette remarque : « il serait temps que les archéologues acceptent de reconnaître des schémas auxquels ils ne s'attendent pas ».

31 Wilson, « Egypt ». Pour une étude définitive de la royauté sacrée, voir Frankfort, Kingship and the Gods. Autres textes utiles sur l'Égypte ancienne : Gardiner, Egypt of the Pharaohs, David, Cult of the Sun et Rundle-Clark, Myth and Symbol.

32 Cf. par exemple Fraser, The Golden Bough, et la New Larousse Encyclopedia of Mythology. Dans l'introduction de ce dernier livre, Robert Graves écrit que « la mythologie est l'étude de récits religieux ou héroïques si étrangers à notre expérience qu'il nous est impossible d'y ajouter foi. Voilà pourquoi l'adjectif mythique est parfois pris au sens de incroyable, et aussi pourquoi l'on ne trouve pas, dans les mythologies européennes standard comme celle-ci, de récits bibliques, même quand ils ressemblent de près à des mythes perses, babyloniens, égyptiens et grecs ». Nous considérons que la plupart des éléments cosmiques des récits et mythes bibliques ( mythes de la création et de combats ) dérivent de phénomènes astronomiques réels mais parfois incompris. Cette vue a été professée avant nous par Bellamy ( Moons, Myths and Man ) et Velikovsky ( Mondes en collision ), qui n'ont pu toutefois en donner de raison scientifique valable. On lira une excellente introduction aux mythes de la création et de combats dans Blacker and Loewe, Ancient Cosmologies, et Forsyth, The Old Enemy.

33 Plutarque, Isis et Osiris. Typhon était explicitement reconnu comme une comète à la fin de l'antiquité : des astrologues comme Lydus ( 3e s. ) distinguaient neuf types de comètes, dont les typhoniques.

34 L'établissement d'une chronologie absolue pour l'ère préchrétienne repose sur un vaste ensemble d'études que nous ne pouvons aborder ici. Disons simplement que l'essentiel de la chronologie du Proche-Orient avant le Christ se base actuellement sur des synchronisations culturelles et historiques précises par rapport aux décomptes d'années fournis par les listes égyptiennes de rois et le calendrier sothiaque. La chronologie du centre de l'Europe, elle, s'appuie sur des synchronisations intrinsèquement moins précises entre les datations du carbone 14 et de la dendrochronologie. Ces échelles indépendantes se recoupent à quelques pour-cent près sur une durée de 5000 ans ( Mellart, Egyptian and Near Eastern Chronology ) mais des écarts plus grands ne peuvent être exclus sur des périodes plus longues, notamment quand les listes égyptiennes de rois contiennent des ambigüités ( cf. Gardiner, Egypt of the Pharaohs, Annexe ). De sévères reculs climatiques à l'échelle planétaire ( révélés par des cernes extrêmement étroits sur des périodes de moins de 20 ans, et par des pics simultanés d'acidité dus à des voiles de poussière atmosphérique ) semblent s'être produits en  4375,  3195,  1626,  1150 et 540  50, époques sans activité volcanique connue ( cf. Baillie et Munro, « Irish Tree Rings » )  la corrélation négative entre les périodes de haute civilisation protohistorique et les problèmes de climat souligne le rôle joué par celui-ci dans le cours de l'histoire.

35 Kitto, The Greeks. Un aperçu archéologique vivant figure chez Wood, In Search of the Trojan War.

36 Waddell, Manetho.

37 Des recherches récentes sembleraient indiquer que l'époque de la récession climatique ( env.  1625, cf. note 30 ) coïncide avec la chute de la civilisation minoenne et est liée au Second Palais crétois, et non au Premier Palais  toutes les dates minoennes antérieures à  1400.

38 Sandars, The Sea Peoples.

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