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HRM-BUHIVERCOS 24 € Dr. Victor Clube Dr. Bill Napier
Hiver
Cosmique
Traduit de l'anglais par Michel Cabar
Le jardin des Livres
Paris
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Cosmic Winter - Hiver Cosmique
© Victor Clube & Bill Napier
Traduction française © 2006 Le jardin des Livres
Éditions Le jardin des Livres ®
14 rue de Naples, Paris 75008
Toute reproduction, même partielle par quelque procédé que ce soit, est interdite sans autorisation préalable. Une copie par Xérographie, photographie, support magnétique, électronique ou autre constitue une contrefaçon passible des peines prévues par la loi du 11 mars 1957 et du 3 juillet 1995, sur la protection des droits d'auteur.
« Nous baignons dans l'illusion d'une vaste paix cosmique dont les états, les églises et les universités ne font rien pour nous détromper, alors qu'observer les cieux suffirait à nous dessiller les yeux.
Notre myopie fait de nous une espèce un peu plus évoluée que l'autruche, et qui attend le sort des dinosaures ».
« Les prêtres des Mystères nous racontent ce que leur ont enseigné les dieux ou des démons puissants, tandis que les astronomes tirent, de l'harmonie qu'ils observent dans les sphères visibles des hypothèses plausibles ».
Empereur Julien
361-363
Remerciements :
La mémoire nous manque pour évoquer tous les collègues chercheurs qui, consciemment ou non, ont contribué, au fil de nos discussions, au développement des idées exprimées dans ce livre. Parmi eux, notre dette n'est pas moins grande envers ceux dont la spécialité est éloignée de la nôtre.
Nous remercions tout particulièrement Maurice Pope pour avoir revu la totalité du manuscrit, et Peter James pour l'attention sans failles qu'il nous a accordée. Nos remerciements vont aussi à Angus Macdonald, qui nous a apporté une aide bibliographique considérable et a en outre traduit intégralement de l'allemand le livre de Radlof ( cf. planche 12 ), à Ruth Cannell qui a effectué d'autres traductions de l'allemand, ainsi qu'à Marjorie Fretwell qui a dessiné un grand nombre des schémas. Brian Warner, qui nous a aidé à obtenir l'illustration de la lumière zodiacale de Piazzi Smith ( planche 6 ), et H. U. Keller, qui nous a fourni la photographie du noyau de la comète d'Halley ( planche 9-c ), méritent eux aussi une mention particulière. Enfin, c'est pour nous un plaisir de dire notre gratitude envers l'équipe éditoriale de Basil Blackwell  Romesh Vaitilingam et Mark Allin, jamais las de répondre à nos lubies  ont mis tant de soin et de patience dans l'élaboration des illustrations  Graeme Leonard, qui ont su transformer un manuscrit quelque peu échevelé en un livre rigoureusement ordonné. Que dire enfin de Moira Clube et Nancy Napier, nos épouses, sinon qu'elles ont été pour nous, tout au long de notre travail, des sources permanentes d'inspiration et d'encouragement ?
~ Prologue ~
( ce qui pourrait se passer )
Il est 7h17, en ce 30 juin 2020. Soudain, le courant s'arrête. Le centre de communication militaire attenant à la Maison Blanche plonge dans l'obscurité. Seule la rumeur lointaine de la circulation matinale rappelle à l'officier de permanence qu'une nouvelle journée vient de commencer. Rien ne sert de s'alarmer, cependant  ce n'est pas la première fois qu'une panne de courant se produit.
Presque aussitôt, un commutateur automatique lance l'alimentation de secours. Mais quelque chose cloche, l'officier de permanence s'en rend compte à présent. Les liaisons téléphoniques vers l'extérieur ne fonctionnent plus, notamment les lignes sur réseau public reliant le bunker du NORAD1, enfoui à 300 mètres sous le mont Cheyenne ( Colorado ) et le poste de commandement de l'Offutt2, près d'Omaha.
Quelques secondes suffisent pour constater que le président et le vice-président, en déplacement, sont injoignables : les communications radios sont coupées sur toutes les fréquences. Et comme le téléphone est hors service, il est inutile d'espérer que l'un des remplaçants du président dispersés sur le territoire appelle comme le veut la procédure en cas d'urgence nationale. Heureusement, le ministre de la Défense, troisième dans la chaîne de commandement, se trouve justement à la Maison Blanche, en train de déjeuner.
Il a fallu 45 secondes pour confirmer la panne générale des communications. Il faut 45 secondes de plus pour localiser le ministre de la Défense. Et 90 secondes s'écoulent encore avant que le ministre, flanqué de ses conseillers, arrive dans la salle des Crises, pièce exiguë située au sous-sol. Le ministre sait qu'un missile tiré de la côte atlantique serait sur Washington en quinze minutes. Trois de ces minutes sont déjà passées.
Dans le cadre de la procédure d'urgence, l'autorité suprême est alors transférée au ministre de la Défense, qui fait désormais fonction de président. On lui remet les « codes d'or » permettant de déclencher une riposte nucléaire, ainsi que les livres noirs du SIOP3 où sont décrits les différents scénarios possibles. On active les systèmes de communications Mystique et National, qui utilisent des câbles protégés enfouis en profondeur. Le voilà maître du National Command Authority, canal de communication de la guerre nucléaire. Deux nouvelles minutes viennent de passer.
Les liaisons souterraines avec Cheyenne, Offutt et d'autres bases aériennes stratégiques sont maintenant actives, et reliées par connexion protégée aux radars surveillant le nord. Mais aucun de ceux-ci, qu'il s'agisse de Dew Line, de 55e Parallèle ou de Pine Tree, ne fonctionne correctement. Les écrans sont fortement perturbés par de nombreux signaux parasites, dus apparemment à d'intenses phénomènes de dispersion dans l'ionosphère. Les communications satellitaires avec les forces militaires stationnées à l'étranger sont dégradées. On ne reçoit rien des gros satellites DSP4 stationnés au-dessus de l'Amérique du Sud, et pas davantage des relais d'Aurora ( Colorado ) et de Pine Gap ( Australie ). Rien à attendre non plus de la ligne directe, coupée elle aussi. Pourtant, dans les minutes ayant précédé la confusion, personne n'a signalé d'émission infrarouge anormale pouvant trahir le départ d'un missile. Tout ce qu'on peut dire, pour le moment, c'est que l'atmosphère présente une perturbation exceptionnelle, que les lignes téléphoniques sont coupées et qu'il y a des pannes de courant à grande échelle. La perturbation de l'atmosphère pourrait à la rigueur être due à un phénomène insolite de type tache solaire, mais les coupures de courant et de téléphone sont de mauvais augure. A pareille échelle, la seule explication plausible est celle d'une impulsion électromagnétique créée par une boule de feu nucléaire.
Huit minutes après le début de la crise si c'en est une le ministre prend quelques mesures de précaution. Son adjoint monte attendre l'hélicoptère qui doit arriver de la base maritime de Quantico, éloignée d'une cinquantaine de kilomètres, à bord duquel il se rendra au Nightwatch un Boeing 747 faisant office de poste de commandement aérien où il est attendu. Un autre hélicoptère part à la recherche du président.
Une « alerte éclair » est envoyée à Hawaï pour faire décoller un second PC, message qui restera toutefois sans réponse.
Neuf minutes. Les données commencent à affluer depuis les capteurs et antennes situés dans l'espace, en mer et tout autour de la terre. Beaucoup sont rassurantes : sur terre, en mer comme dans les airs, aucune activité hostile ne se dessine, aucun départ de troupes n'est à remarquer. Mais voici qu'arrive, envoyée par un des satellites DSP, une information autrement inquiétante. Un écran affiche une tache brillante sur le sud-est du Nevada, une tache d'un tel éclat qu'elle sature les cellules au sulfure de plomb du satellite : une zone de quelque 10.000 km², là-bas, est le siège d'une chaleur intense. Parallèlement, des capteurs terrestres distants signalent de fortes secousses en provenance de la même zone, ce qui n'a rien de très surprenant car la salle des Crises elle-même, à présent, commence à bouger et vibrer, et de sourds grondements montent des profondeurs. Une nouvelle fracassante arrive alors d'Offutt. Des pilotes de l'armée de l'Air signalent une énorme explosion dans la zone désertique proche de Boulder City  la ville a disparu, n'est plus que décombres. A 150 kilomètres à la ronde, d'autres villes, dont Las Vegas, sont prises dans des tempêtes de flammes. Le barrage Hoover est désintégré. Une colonne de poussière et de débris se rue vers les hauteurs tandis que s'étale un nuage en forme de champignon. D'immenses fumées couvrent l'Arizona et débordent maintenant sur le Nouveau-Mexique et même le Mexique. Voilà ce que voient, sur leurs écrans, le ministre et ses conseillers.
Le ministre ne dispose plus que de cinq minutes, au maximum, pour analyser, soupeser, décider, mettre en oeuvre. Les dégâts, lui dit-on, correspondent à des explosions d'au moins vingt mégatonnes, impliquant certainement plusieurs bombes. La possibilité de détonations accidentelles est à rejeter, compte tenu de l'improbabilité technique et de l'ampleur des explosions, lesquelles ont d'ailleurs dû être terrestres et aériennes pour réussir à couper à la fois les communications filaires et ionosphériques. La conclusion paraît incontournable : pour quelque raison, les Russes ont largué des bombes sur le territoire américain et ont déjoué, Dieu sait comment, les radars. Ont-ils utilisé des satellites armés équipés de radars à faisceau étroit ? tiré des missiles sous-marins de croisière ? fait sauter des bombes préalablement dissimulées dans la zone ? De toute façon, la question est : dans quel but ? Quelle idée de viser le désert, de s'en prendre à des cibles sans valeur stratégique comme Boulder, Las Vegas et le barrage Hoover... Cette attaque n'a aucun sens. Quelqu'un suggère que la raison du choix pourrait être précisément là, et que l'attaque serait le prélude à une opération militaire d'envergure, un avertissement suffisamment faible pour minimiser le risque de riposte et suffisamment fort pour faire vraiment mal. A moins qu'il s'agisse, pour une raison qui échappe, de mettre hors de service les radars et les communications ?
Quoi
qu'il en soit de ces spéculations, le ministre ne peut
exclure la possibilité que de nouvelles bombes suivent,
annihilant définitivement tout contrôle sur l'armement
nucléaire, ou que Washington soit la prochaine cible, dont la
destruction n'attendrait que le positionnement d'un
satellite armé déjà en orbite au-dessus de la
ville ou l'arrivée de missiles de croisières.
Douze minutes après le début de la crise, l'adjoint
du ministre attend toujours son hélicoptère sur la
pelouse de la Maison Blanche, on reste sans nouvelles du président
et les seules informations disponibles confirment que des villes
couvrant des milliers de kilomètres carrés ont péri
dans des explosions nucléaires. Il n'y a plus de temps à
perdre 
Une
possibilité serait de déclencher le redoutable plan
« Attaque majeure ». Le ministre l'écarte
aussitôt : le seul résultat serait l'anéantissement
mutuel. Ne rien faire ? Ce serait risquer l'holocauste.
Car si d'autres missiles sont en route, le Commandement
National sera décapité dans les quelques minutes à
venir 
contrôler les forces de contre-attaque, et de chaque
sous-marin, de chaque PC aérien, le moindre chef d'unité,
voyant tomber des bombes sur les Etats-Unis, lancera une riposte
maximum sur les Russes. Il est donc vital de bloquer toute nouvelle
agression, et pour cela, il faut répondre du tac au tac, ni
plus ni moins fort que l'ennemi. Toutes les options sont
dangereuses mais la moins dangereuse est une « réponse
contrôlée » immédiate.
La
discussion s'interrompt car on apprend qu'une cataracte
de missiles serait en train de s'abattre sur les états
de la côte ouest et le Canada. Mais les rapports, confus, ne
seront pas confirmés 
nouveau coupées sur les Etats-Unis.
Il
est 7h30. Dans la base radar de Gomel, en Biélorussie, des
officiers voient avec horreur apparaître sur leurs écrans
une douzaine de traces de missiles. Les gardiens de la paix viennent
de s'élever au-dessus des plaines du Kansas...
Cependant,
un autre missile vient d'entrer incognito dans l'atmosphère
au-dessus des Alpes bernoises. Survolant Interlaken à 100
kilomètres d'altitude, il file à 100.000 km/h,
enrobé d'une fine pellicule d'air comprimé
chauffé à 500.000 degrés. Cet air surchauffé
se change en un plasma où les atomes, circulant à haute
vitesse, entrent en collision et perdent leurs électrons qui,
violemment accélérés, émettent une
énergie intense sur toutes les longueurs d'onde. Ce
rayonnement, situé dans le spectre des UV et des rayons X,
reste toutefois essentiellement invisible et se dilue dans
l'atmosphère. Une infime fraction seulement parvient au
sol sous forme de lumière visible. Elle suffit toutefois pour
illuminer l'Europe comme d'un coup de flash. De l'Irlande
à l'Autriche, du Danemark à l'Italie, les
survivants diront avoir vu « une lumière d'un
blanc bleuâtre, insupportable à l'oeil nu »,
« un feu plus brillant que le soleil »,
« un éclair aveuglant ».
Remontant du sud-est, le missile passe la Jungfrau, Berne et Bâle
dans un cortège d'ombres fugaces, suivi d'une
traînée lumineuse d'air et de débris
enveloppée d'une queue rouge qui grossit rapidement. Dix
secondes après son entrée dans l'atmosphère,
le missile pénètre dans l'ionosphère,
traverse la stratosphère et se retrouve dans la basse
atmosphère.
A
cette altitude, entre 10 et 15 kilomètres, le missile
rencontre un air beaucoup plus dense et se désintègre,
libérant ses deux cents mégatonnes d'énergie
au-dessus de la ville belge de Louvain. En un tiers de seconde, il se
vaporise en un cylindre incandescent de quelques kilomètres de
long et quelques centaines de mètres de diamètre, où
la température intérieure dépasse 100.000 °C
et la pression dépasse 100.000 tonnes/cm². Le cylindre se
change en une boule de feu émettant des rayons X
ultra-puissants. Absorbés par l'air dès les
premiers mètres, ces rayons créent une enveloppe de gaz
à haute énergie que le matériau brûlant et
comprimé, en se dispersant rapidement depuis le centre de
désintégration, chasse brutalement devant lui. L'onde
de choc se développe et la boule de feu se dilate. Moins de
onze secondes se sont écoulées depuis l'apparition
de la queue incandescente au-dessus d'Interlaken.
Quand
la boule de feu atteint six kilomètres de diamètre,
l'onde de choc s'en détache et prend de l'avance,
suscitant des vents de plus de 1500 km/h. Dans cette zone, la survie
est impossible 
feu, disparaît en moins d'une seconde. La boule de feu,
continuant d'enfler, s'élève rapidement
jusqu'à la stratosphère où elle s'aplatit
en un champignon visible de Copenhague à Florence et
d'Edimbourg à Budapest. Dans toute l'Europe, le
sol tremble et les immeubles bougent dangereusement. Des trains
déraillent dans le sud de l'Angleterre et sous la
Manche. Le champignon nuageux est bientôt déchiqueté
par les courants-jets soufflant à 60 kilomètres
d'altitude et se disperse autour du globe.
Dans
un rayon de 25 km autour de Louvain, tous les édifices sont
anéantis. Quelques ponts à poutres survivent
fortuitement, certaines ondes de choc s'étant
mutuellement annulées. A Bruxelles et Liège, les
immeubles s'effondrent comme des dominos sur le passage de
l'onde, noyant les rues sous leurs décombres. Au-delà,
quelques structures survivent mais peu de maisons restent intactes. A
Anvers, par exemple, à 50 km de là, les tuiles sont
arrachées, les fenêtres et les portes implosent. Plus
loin, les dégâts diminuent.
A
25 km autour de Louvain, les gens à l'extérieur
sont projetés sur une dizaine de mètres et généralement
tués. Le plus grand danger, cependant, vient des éclats
de verre. A 50 km alentour, les centres commerciaux et les immeubles
de bureaux sont envahis sans crier gare par un blizzard mortel de
fragments de verre, poignards volants qui vont causer l'essentiel
des pertes en vies humaines. A 100 km de l'épicentre,
l'explosion réussit encore à coucher les forêts.
Les
réacteurs nucléaires proches sont endommagés 
les conduites de refroidissement claquent, les enceintes de
confinement se fissurent. Certains réacteurs entrent en fusion
et diffusent bientôt dans les airs des volutes radioactives
qui, se mêlant aux épaisses vapeurs chimiques, flottent
vers l'Allemagne et s'apprêtent à gagner la
Pologne et la Scandinavie.
Les
ravages du feu ne le cèdent en rien à ceux de
l'explosion. Une bouffée ardente a balayé des
milliers de km², occasionnant d'innombrables brûlures
au 3e degré. Des soins intensifs sont
indispensables mais les services de secours, à supposer qu'ils
puissent faire quelque chose, mettent trop de temps à arriver
des régions avoisinantes et nombre de brûlés
meurent dans les douze heures. Ce n'est pas tout. La chaleur
intense de la boule de feu a allumé des feux dans un rayon de
70 km ou plus. Attisés par l'appel d'air créé
par la boule de feu qui s'élève, ces feux
s'agrègent en un gigantesque incendie. Les unités
de pompiers qui ont survécu sont bloquées dans un océan
de décombres, démunies d'eau, assommées
par ce feu démesuré. Quand le soleil se couche enfin,
cela fait longtemps que l'Europe est dans l'obscurité,
noyée sous une fumée que seuls transpercent les éclairs
rageurs de l'incendie.
Seize
heures après l'événement, le soleil se
lève de nouveau mais ses rayons rebondissent sur le brouillard
dense et suffocant produit par les villes en flammes. Tout survol
aérien est impossible. Dans un rayon de 50 km, le nombre des
morts dépasse largement celui des vivants. Même si
l'incendie s'arrêtait, pénétrer dans
la zone serait impossible car les routes sont jonchées de
décombres et de carcasses de véhicules. Il faudra
plusieurs jours avant que le feu n'ait plus rien à
brûler et que le brouillard se disperse assez pour laisser voir
les villes, villages et hameaux rasés. Et plusieurs semaines
avant que Français, Allemands et Néerlandais puissent
dégager les routes, secourir les vivants et enterrer les
morts. Une attente trop longue pour la Belgique, purement et
simplement effacée de la surface de la terre...
Ce
qui se passe, c'est que la terre vient de croiser un essaim
cosmique. Douze heures plus tard, l'autre côté de
la planète reçoit sa part de mitraille. Le bombardement
va continuer pendant un jour et une nuit au cours desquels la terre,
en tournant, offre aux coups tantôt une face, tantôt une
autre, puis finit par traverser l'essaim. La boule de feu de
Boulder a été mille fois plus puissante que la bombe de
Hiroshima, celle de Louvain dix fois plus. Ce ne sont pourtant que
deux grains, parmi des centaines, de la grappe que traverse la terre,
et encore sont-ils modestes par rapport aux boulets les plus gros
dont chacun véhicule autant d'énergie
qu'une guerre nucléaire générale et ne se
laisse guère arrêter par l'atmosphère.
Contrairement aux petits fragments, les gros parviennent jusqu'à
la surface de la terre, créant un raz-de-marée quand
ils touchent l'océan, un cratère quand ils
touchent le sol. Autre différence : la boule de feu
qu'ils engendrent contient trop d'énergie pour se
propager sans heurt dans l'atmosphère. Comme
précédemment, elle se charge de poussière et
monte, mais ce faisant elle fore littéralement l'atmosphère,
créant derrière elle un vide qui produit un intense
appel d'air. Dans son sillage se développe alors un
ouragan qui aspire la poussière de l'impact. En quelques
minutes, la boule de feu se trouve dans la haute stratosphère,
à plusieurs centaines de kilomètres d'altitude,
et la poussière commence alors à s'étaler
en largeur.
Près
du sol, la chaleur causée par l'impact d'un de ces
gros boulets donne naissance à des centaines de feux couvrant
une surface grande comme la France. Pratiquement tout ce qui peut
brûler est en feu. La mort était déjà
partout sous le double effet de l'explosion et de la chaleur 
elle devient quasi générale quand les feux fusionnent
en une conflagration unique. Cinquante millions de tonnes de fumée
envahissent l'atmosphère en denses panaches de 10 km de
hauteur.
En
quelques jours, les incendies prennent une extension quasi mondiale.
Les dizaines de millions de tonnes de poussières qui se sont
logées dans la stratosphère, et les fumées, en
aussi grand nombre, qui ont rejoint la basse atmosphère, se
sont répandues sur l'hémisphère nord et
commencent à glisser vers le sud. Le sol est inaccessible aux
rayons du soleil et un brouillard noir et suffocant enveloppe tout.
Il ne saurait être question d'envoyer du secours aux
zones dévastées car les dégâts sont si
étendus que les systèmes de communication ne sont plus
qu'un souvenir. Des régions entières sont
isolées. Les populations touchées ne peuvent compter
que sur leurs propres ressources. Des dizaines de villes ne sont plus
que décombres fumantes. Les cours d'eau sont infestés
de pollution. Les forêts du monde entier sont en flammes. La
vie, telle que nous la connaissons, touche à sa fin.
La
rencontre cosmique est terminée. Notre planète s'est
enfin extirpée de l'essaim. L'un et l'autre
vont poursuivre leur destin, l'essaim amputé de quelques
missiles, la terre carbonisée et engoncée dans une
tunique collante de poussière et de fumée. Privée
de ses villes, la civilisation a perdu son infrastructure. Privées
de lumière solaire, les régions continentales voient
leur température plonger à des niveaux sibériens
et une glace épaisse recouvrir lacs et rivières. Sur
les marges continentales, des tempêtes d'une violence
inconnue font rage. L'effondrement de la vie animale et
végétale entraîne celui de l'agriculture et
de l'élevage. Au bout de quelques mois, le soleil
commence à traverser le couvercle de brumes et révèle,
sous la poussière enfin dissipée, un hémisphère
nord dont les masses continentales sont enfouies sous la neige une
neige qui renvoie la lumière solaire vers l'espace et,
augmentant chaque année de quelques centimètres,
devient permanente.
Pendant
mille ans, l'Amérique du Nord et l'Europe vont
rester couvertes de glaciers épais de centaines de mètres,
cependant que le niveau de l'océan baissera de cinquante
mètres. Prise dans un nouvel âge glaciaire, l'humanité
survit, décimée et réduite à des bandes
de maraudeurs affamés. Un nouvel équilibre écologique
se construit. La lutte pour la vie ne fait que commencer.
« La science
n'a pas de réponse à ces questions,
qui n'intéressent
d'ailleurs pas ceux mêmes qui
pourraient essayer d'y
répondre. »
Que
penser d'un tel futur ? A supposer que notre pronostic
soit fondé, au moins dans ses grandes lignes ce qu'il
faut bien sûr commencer par vérifier,
reconnaissons que nous ne pouvons pas grand-chose pour nous en
prémunir, sinon en nous bardant de stoïcisme contre le
malheur qui nous guette. Qu'adviendrait-il alors de notre
civilisation ? Nous consolerons-nous en pensant que des
archéologues, dans des milliers d'années, la
redécouvriront envasée sous le lit de la Seine, ou que
notre espèce est assez forte pour que des ingénieurs,
dans quelques millénaires, réinventent le moteur à
explosion ? Plus pessimistes, au contraire, croirons-nous que le
monde sera alors peuplé de monstres frankensteiniens, et qu'un
essaim céleste pourrait être porteur d'éléments
cosmiques susceptibles de changer la vie et de démarrer une
nouvelle branche de l'évolution ? En somme, notre
civilisation pourrait-elle n'être qu'un essai
avorté avant l'émergence d'une nouvelle
espèce, sorte d'homo insapiens ?
La
science n'a pas de réponse à ces questions, qui
n'intéressent d'ailleurs pas ceux mêmes qui
pourraient essayer d'y répondre. L'espace où
se meut notre planète est supposé vide et relativement
peu menaçant. Mais nous allons voir que la réalité
est tout autre : l'environnement de la terre recèle
des dangers méconnus et pourrait, en un coup unique, plonger
notre civilisation dans les ténèbres.
Ces
coups dont nous menace le futur, ce sont des découvertes
récentes qui nous les dévoilent. Nous avons abordé
ce sujet une première fois dans The Cosmic Serpent. Les
importantes avancées réalisées depuis justifient
ce nouvel ouvrage, plus complet également en ce qu'il
inclut une analyse prospective des conséquences. Sans
surprise, certaines « sommités » ont
poussé les hauts cris en le lisant. Nous tenons donc à
prévenir le lecteur d'emblée : bien des
choses qu'il prend pour des vérités établies
ne sont, il va s'en rendre compte, que poudre aux yeux.
En
juin 793, « de grands présages passèrent
sur le pays, causant au peuple une terreur pitoyable »
et suivis, dit-on, d'une grande famine. Le 25 juin 1178, la
lune fut apparemment frappée par un missile dont l'énergie
était dix fois celle de l'arsenal nucléaire
mondial. Le 30 juin 1908, un objet venu de l'espace explosa sur
une région reculée de la Sibérie en dégageant
l'énergie d'une puissante bombe à
hydrogène. Plus récemment, fin juin 1975, la lune a été
bombardée pendant cinq jours par un essaim de rochers gros
comme des voitures filant à 107.000 km/h. Le 30
juin 2020, nouvelle explosion imprévue, d'une
puissance de 20 mégatonnes cette fois...
Pourquoi
fin juin ? Quelle est la nature de ces événements ?
En quoi menacent-ils l'humanité ? Voilà les
questions posées par ce livre. On a en effet découvert,
ces dernières années, qu'un gros essaim de débris
cosmiques circule sur une orbite potentiellement dangereuse coupant
celle de la terre en juin et novembre à intervalles de
quelques millénaires 
ces faits ont été délibérément
dissimulés. Quand les orbites se coupent exactement, le risque
de pénétrer au coeur de l'essaim augmente
considérablement, tout comme augmentent le flux de boules de
feu touchant la terre et, parallèlement, le sentiment que la
fin du monde est proche. Ce genre de pénétration
profonde s'est produit au 4e millénaire av.
JC et au 1er millénaire av. JC ( à
l'époque du Christ ) 
se reproduire au cours du millénaire qui commence.
La
religion chrétienne est donc née avec une vision
apocalyptique du passé. Une fois le danger passé,
toutefois, l'Eglise devint révisionniste et transforma
la vérité en mythes. Les connaissances sur l'existence
de l'essaim, dont nous trouvons l'écho chez Platon
et d'autres, furent systématiquement étouffées.
La vision chrétienne d'une terre éternellement
paisible ne faisait nullement consensus à l'origine 
c'est par apports successifs de « lumières »
que s'est construite la version actuelle de l'histoire, à
laquelle la science elle-même souscrit, selon laquelle le ciel
recèle peu, ou pas, de danger. Cosmic Winter se
présente donc comme un kaléidoscope d'histoire et
de science et veut réhabiliter une vue païenne du monde,
antique et largement incomprise.
L'idée
qu'un châtiment terrible serait suspendu au-dessus de
l'humanité n'est pas neuve. Les hommes d'autrefois
avaient la hantise de l'Harmaguédon, supposée
arriver avec le millénaire suivant. L'Église
nouvelle a entretenu ce flambeau au cours du millénaire passé.
Mais l'idée a de tous temps suscité une
opposition farouche. Ses tenants ont à l'occasion émigré
vers des terres nouvelles, mais ce fut pour y voir se lever, avec le
temps, d'autres adversaires. Aux États-Unis par exemple,
où la parole est libre, de vieilles traditions de catastrophe
cosmique resurgissent de temps à autre, même
aujourd'hui, vite brisées par le tir de barrage des
experts. Il n'en est que plus troublant de voir que les
élections s'y déroulent généralement
en novembre, conformément à une ancienne tradition
appelant au rassemblement des tribus à cette époque,
sans doute enracinée dans la crainte de la fin du monde que
pouvait amener le passage de l'essaim.
En
Europe, les idées millénaristes finirent par s'estomper
devant une conception « providentielle » du
monde développée pour contrecarrer la Réforme5.
Soutenir une vue contraire fut assimilé à une hérésie
et les fomentateurs de troubles millénaristes furent rondement
condamnés. Hiver Cosmique et Harmaguédon ayant plus
d'un point commun, l'attitude des autorités n'est
pas pour surprendre. Plus étonnant est le fait que le
fonctionnement du parlement britannique semble lié à la
condamnation de cette hérésie6.
Cette institution, en effet, s'attaqua dès ses débuts
aux Ranters, secte apparue après l'exécution du
roi anglais Charles I et la création du Protectorat de
Cromwell. Les Ranters s'étaient donné pour chef
un certain Gerrard Winstanley qui se disait conduit par des
« illuminations surnaturelles » en
relation avec le prochain millénaire. Mais « l'ange
destructeur » ne se matérialisa pas et les
parlementaires ranters, ridiculisés, perdirent le pouvoir au
profit de personnages mus par des « Lumières »
plus en phase avec les principes d'aujourd'hui. Les
Lumières avaient une vue plus providentielle des choses et
considéraient le monde comme le décor inoffensif des
affaires humaines. Cette vue fut soutenue activement par
l'Université, et la contre-réforme comme l'Etat
y souscrivirent sans réserve. Il apparaît, en
définitive, que les angoisses cosmiques récurrentes ont
été délibérément évacuées
de la théologie chrétienne et de la science moderne,
les deux plus grands contributeurs à la civilisation
occidentale moderne.
Le
résultat est que nous pensons aujourd'hui qu'une
catastrophe mondiale ne saurait être que de notre fait :
guerre nucléaire, trous d'ozone, gaz à effet de
serre... Et cela joint au fait que les « autorités »
ne voient pas plus loin que le bout de leur nez explique
pourquoi les scénarios d'impact cosmique sont quasiment
absents de nos plans de sécurité.
Nous
baignons dans l'illusion d'une vaste paix cosmique dont
les états, les églises et les universités ne
font rien pour nous détromper, alors qu'observer les
cieux suffirait à nous dessiller les yeux.
Notre
myopie fait de nous une espèce un peu plus évoluée
que l'autruche, et qui attend le sort des dinosaures.
~ 1 ~
Les Cataractes de Feu
Athéna-Pallas
se précipita des sommets de l'Olympe comme un signe lumineux
que le fils du subtil Kronos envoie aux marins et aux peuples
nombreux, et d'où jaillissent mille étincelles.
Homère,
Iliade7.
Le vieillard avait à peine
prononcé ces paroles que, sur la gauche, le tonnerre retentit
soudain à grand fracas et qu'une étoile glissa du ciel
et traversa les ténèbres, entraînant un flambeau
d'une grande clarté. Nous la voyons glisser par-dessus le
toit, éclatante, puis se cacher dans la forêt de l'Ida,
traçant une route. Elle laisse derrière elle un long
sillon de lumière, et ses abords répandent au loin une
fumée de soufre. Alors mon père, convaincu, se lève
et se tourne vers le ciel, s'adressant aux dieux et adorant l'astre
sacré.
Virgile,
Énéide8.
En
outre, s'il n'y a pas eu de commencement pour la terre et le ciel,
s'ils ont existé de toute éternité, d'où
vient qu'au-delà de la guerre des Sept Chefs contre Thèbes
et de la mort de Troie, on ne connaisse point d'autres événements
chantés par d'autres poètes? Où se sont donc
engloutis tant de fois les exploits de tant de héros, et
pourquoi les monuments éternels de la renommée
n'ont-ils pas recueilli et fait fleurir leur gloire? Mais, je le
pense, l'ensemble du monde est dans sa fraîche nouveauté,
il ne fait guère que de naître. C'est pourquoi certains
arts se polissent encore aujourd'hui, vont encore progressant...
Peut-être penses-tu que les âges antérieurs ont
connu toutes ces mêmes choses, mais que des générations
humaines ont péri consumées par des feux dévorants,
que des villes tombèrent renversées par quelque
gigantesque ébranlement du monde... Ce serait une raison
de plus pour que tu avoues ta défaite et reconnaisses que la
terre et le ciel sont eux-mêmes destinés à périr.
En effet, quand le monde souffrait de tant de maux et supportait
l'épreuve de si graves périls, il n'eût fallu que
l'invasion d'un flot plus funeste encore pour lui infliger un
désastre décisif et n'y laisser que ruines... Il
ne manque pas de corps qui puissent, arrivant en masse des
profondeurs de l'infini, renverser dans leur violent tourbillon son
assemblage ou lui infliger quelque autre destruction...
La
porte de la mort n'est donc fermée ni au ciel, ni au soleil,
ni à la terre... Il y eut un jour, selon la légende,
où le feu l'emporta... Le feu fut victorieux, en effet,
et consuma une partie du monde dans ses flammes, lorsque les ardents
chevaux du soleil, détournant Phaéton de la bonne
route, l'emportèrent à travers toute l'étendue
aérienne et terrestre. Mais le père tout-puissant,
saisi d'une violente colère, frappa soudain de sa foudre
l'orgueilleux Phaéton et, de son char, le précipita sur
la terre. Le soleil, qui vint le recueillir dans sa chute, reprit
l'éternel flambeau du monde, ramena les chevaux épars,
les attela de nouveau encore tout frémissants, puis leur
faisant reprendre la route accoutumée, rétablit l'ordre
universel. Voilà ce qu'ont chanté les anciens poètes
de la Grèce, mais une telle fable s'égare trop loin de
la raison. Le feu peut triompher sans doute, mais c'est quand
l'infini en a fourni une trop grande masse de principes. Puis sa
force tombe, si quelque autre cause la surmonte ; ou bien tout périt,
consumé par le souffle brillant.
Lucrèce,
De rerum natura9.
Dieu,
qui demeure au ciel, déroulera les cieux comme on déroule
un livre, et le firmament entier, sous ses diverses formes, tombera
sur la terre divine et sur la mer 
rugissante de feu coulera sans fin, brûlant la terre et la mer,
et le firmament, les étoiles et la création ne seront
qu'une masse fondue et se dissoudront. Il n'y aura plus
d'astres, de globes scintillants, d'aurore... plus
de printemps, d'été, d'hiver, d'automne.
Oracles
sibyllins10.
A
l'ouest brillera une étoile, de celles qu'on
appelle comètes, et qui annoncent aux hommes l'épée,
la famine et la mort.
Oracles
sibyllins6.
Notre
vue n'est pas capable de traverser un corps céleste pour
voir ce qui est de l'autre côté. Mais on peut
voir, à travers une comète, ce qui est au-delà...
Par conséquent, il est évident qu'une comète
n'est pas un corps céleste. Zénon estime que des
étoiles se rencontrent et que ce rassemblement de lumière
produit l'image d'une étoile allongée.
Aussi, certains supposent que les comètes n'existent pas
et que l'apparence des comètes provient de... la
conjonction d'étoiles accrochées les unes aux
autres... Certains disent que les comètes ont une
orbite propre et qu'au bout d'un temps déterminé,
elles se manifestent à la vue des hommes. D'autres
disent qu'il ne faut pas les appeler des corps célestes
car elles ne durent pas longtemps et se dissipent en peu de temps...
Il se forme dans les hauteurs toutes sortes de feu 
ce sont les cieux qui s'embrasent, tantôt l'on voit
« de longs traits de flammes blanchissantes »
ou de grands bolides ardents... Chacun s'étonne de
ces phénomènes qui font soudain descendre le feu d'en
haut, soit que l'on voie quelque chose lancer un éclair
et disparaître, soit que l'atmosphère soit
comprimée au point de se mettre à briller et de faire
crier au miracle... Parfois [les étoiles], sans attendre
la nuit, éclatent de lumière bien avant la fin du jour...
Pourquoi paraissent-elles aux moments qui ne leur sont pas impartis ?
On admet généralement que les étoiles
existent même quand elles sont cachées.
Sénèque,
Naturales quaestiones11.
Dynastie
Han, règne de Yuan-yan, jour Ding-you du 4e mois de
l'an I. À l'heure rifu, le ciel était
sans nuage. Il y eut un grondement pareil à celui du tonnerre.
Venu de dessous le soleil, un météore aussi gros qu'un
fou et long de dix zhang au moins, d'un rouge et
d'un blanc vifs, se dirigea vers le sud-est. De brillants
météores, dont certains étaient gros comme des
bols et d'autres comme des oeufs de poule, se mirent à
pleuvoir dans toutes les directions. Cela ne cessa qu'à
la nuit tombante.
Anciennes
observations chinoises de pluies de météores12.
De
grands présages passèrent sur le pays de Northumbrie,
causant au peuple des terreurs pitoyables. Il y eut des tourbillons
prodigieux et l'on vit voler dans le ciel des orages et des
dragons ardents.
Ces
signes furent suivis d'une grande famine...
Chronique
anglo-saxonne de juin 79313.
Le
milieu du 14e siècle fut une période de
terreur et de désastre extraordinaires en Europe. De nombreux
présages vinrent effrayer les gens et furent suivis d'une
peste qui menaça de changer le continent en désert.
Année après année, il y eut des signes dans le
ciel et sur la terre, qui annonçaient, pensait-on, quelque
terrible événement. En 1337 parut dans les cieux une
grande comète dont la longue queue terrorisa profondément
les masses ignorantes. Au cours des trois années suivantes, le
pays reçut la visite d'énormes escadrilles de
sauterelles, qui descendirent en myriades sur les champs, laissant
derrière elles le spectre de la famine... Avec la famine,
les inondations, le brouillard, les nuages de sauterelles, les
tremblements de terre et tout le reste, il n'est pas surprenant
que beaucoup aient pensé que la coupe des péchés
du monde était pleine et que le règne de l'homme
touchait à sa fin... Un événement survint
alors, qui sembla confirmer cette vue. La peste éclata, avec
une violence si effrayante qu'on put croire que l'homme
allait être balayé de la terre. Les hommes moururent par
centaines, par milliers, par dizaines de milliers. Dans certains
endroits, les survivants n'étaient plus assez nombreux
pour enterrer les morts. Ceux qui en étaient encore capables
s'enfuirent, malades de peur, laissant déserts derrière
eux leurs maisons, leurs villages et leurs villes hantés
seulement par les morts et les moribonds. La « peste
noire » fut la plus terrible que l'Europe eût
connue... Londres perdit cent mille habitants et l'Angleterre
mit au tombeau entre le tiers et la moitié de sa population,
alors comprise entre 3 et 5 millions d'habitants. Sur
l'ensemble de l'Europe, on pense qu'un bon quart
des habitants fut emporté. La peste fit rage pendant les deux
années 1348-1349. Elle éclata de nouveau en 1361-62,
puis encore en 1369. L'épidémie ne fit pas que
tuer. Les liens de la société se distendirent 
les amis se séparèrent, les mères fuirent leurs
enfants... D'autres, ne voyant aucun espoir dans les
hommes, prirent refuge auprès de Dieu et crurent pouvoir
l'apaiser par des sacrifices et mortifications extraordinaires.
La flamme du fanatisme, une fois allumée, se répandit
rapidement et largement. Des centaines d'hommes, parfois de
jeunes garçons, se regroupaient en bandes qui parcouraient
routes et rues, torche à la main, se flagellant leurs épaules
nues avec des fouets à noeuds souvent bardés de
fer ou de plomb, chantant des hymnes de pénitence, arborant
des bannières et portant des chapeaux blancs à croix
rouge. Des femmes participaient également à ces
pratiques fanatiques, demi-nues, se donnant l'une à
l'autre d'atroces coups de fouet, se jetant à
terre sur les places publiques...
The
Romance of Reality14.
Bien
sûr, les modes et les préjugés d'une époque
colorent sa perception du passé. Les lumières dont nous
nous croyons aujourd'hui pourvus nous font estimer que
l'Harmaguédon divine n'est qu'une fadaise.
Mais nous ne pouvons rien au fait que la crainte du feu céleste
soit partie intégrante de notre héritage intellectuel
( cf. planches 1 & 2 ). Cette crainte paraît en
fait aussi ancienne que la civilisation. Dans un livre consacré
à la période il y a 5000 ans où la
grande aventure intellectuelle de l'homme semble avoir
commencé, un historien moderne15
a écrit que la civilisation mésopotamienne se développa
dans un environnement bien différent du nôtre. Il y
avait, comme en Égypte, les grands rythmes cosmiques, les
changements de saisons, le glissement régulier du soleil, de
la lune et des étoiles 
le ciel un élément inhabituel de force et de
violence ». Comme pour souligner que cet élément
était peut-être absent d'Égypte ce
qui est discutable, nous le verrons , cet historien opposait
d'un côté le comportement erratique du Tigre et de
l'Euphrate, de l'autre le comportement supposé
plus prévisible du Nil. Il notait en outre les brûlants
vents de poussière qui suffoquent les hommes, et aussi les
pluies torrentielles qui changent la terre ferme en une mer de boue
et ôtent toute liberté de mouvement. Pris au milieu de
ces énormes puissances, l'homme se sentait faible, se
voyait avec terreur prisonnier des forces gigantesques de la nature.
Il était donc inquiet et avait un sens aigu des catastrophes
possibles. La pluie venait-elle à succéder à la
sécheresse ? Aux yeux des Sumériens et des
Babyloniens, nous explique-t-on, c'était parce que
l'Imdougoud un oiseau géant était
venu à leur secours :
« Il
couvrit le ciel des noirs nuages de ses ailes et dévora le
Taureau du Ciel dont le souffle brûlant avait consumé
les récoltes ».
En
contant ce mythe, les anciens ne tentaient ni de distraire, ni de
présenter une explication détachée et
intelligible des phénomènes naturels. Ils relataient
les événements qui conditionnaient leur existence. Ils
étaient directement touchés par la lutte entre
plusieurs puissances, dont l'une hostile à la récolte
nécessaire à leur survie, et l'autre effrayante
mais favorable : l'orage qui, en terrassant et
anéantissant la sécheresse16,
leur offrait un répit immédiat. Ainsi, c'est en
supposant que les anciens dramatisaient leur quotidien que
l'historien arrive à rendre compte de l'intensité
des phénomènes naturels rapportés par les
anciens Mésopotamiens, et par là, de leur mentalité
et de leur troublante conception du cosmos : un cosmos
relativement prévisible, semble-t-il, mais ni sûr ni
rassurant. L'étude détaillée des textes et
inscriptions anciens des Sumériens et Babyloniens fait ainsi
ressortir qu'ils avaient à l'égard de la
nature une attitude mêlant pressentiment et quasi-incapacité
à agir, ce qui expliquerait la prolifération des
devins, augures, exorcistes et astrologues qui finirent par peupler
les grands temples de Babylonie.
D'anciennes
références indiquent que le plus vieux manuel
babylonien d'astrologie, un recueil de présages intitulé
Enouma Anou Enlil ( Le Commencement d'Anou et
Enlil ), remonte au moins au 3e millénaire av.
JC. Il s'agit essentiellement de listes de phénomènes
corrélés, rapportant les conséquences terrestres
d'événements astronomiques récurrents
attribués aux dieux : inondations, épidémies,
sécheresses, famines, tout cela était imputé aux
dieux, et il ne fait nul doute que les présages étaient
utilisés pour comprendre les phénomènes naturels
et prévoir le tour des événements. Des
catastrophes comme le Déluge étaient clairement
associées à des faits astronomiques apparemment
réguliers. On lit en effet dans la version sumérienne
du Déluge que Ziousoudra, l'homologue du Babylonien
Out-Napishtim et du Noé biblique, pratiquait la divination et
possédait un don de prédiction 
qu'Enmedouranki, l'un des rois de Sippar, prévoyant
certains événements, aurait obtenu des dieux le
savoir-faire et les insignes de devin. Il est à peu près
sûr, en fait, que la plus ancienne forme d'astronomie
devait être basée sur l'interprétation de
signes associés à des phénomènes
récurrents, lesquels, à n'en pas douter, devaient
concerner des manifestations célestes étranges, des
conditions atmosphériques inhabituelles ou de violents orages,
révélant les bonnes ou mauvaises intentions des dieux
pour l'avenir. Il est possible, voire probable, que l'utilité
de l'astronomie pour la vie quotidienne agriculture,
calendrier, navigation... était également
reconnue. Mais il est hors de doute que ce qui poussa l'homme à
une observation vigilante du ciel, ce fut les signes mystérieux
émanant du ciel et les redoutables conséquences censées
en résulter. Par un chemin tortueux, cette pratique a conduit,
en cinq mille ans, à notre connaissance « scientifique »
de l'univers. Pour autant, notre vue de l'univers, et la
science en général, semblent fondées sur des
activités plus proches du désespoir que de la
contemplation, de la peur que de la raison, et c'est un sujet
de gêne pour les scientifiques.
Après
tout, si, en d'autres temps, les hommes de l'élite
ont pu bâtir leur cosmologie sur l'irrationalité,
sur la peur née de l'imagination, pourquoi ferions-nous
plus confiance à leurs homologues modernes ? Dans cet
esprit, un savant contemporain17
estime que le lointain archéologue qui exhumera les journaux
du 20e siècle ne pourra que conclure que nous
réglions notre vie selon les prédictions des
astrologues.
Ce
qu'il veut dire, bien sûr, c'est que les couches
instruites des sociétés anciennes ne devaient pas se
soucier d'astrologie et que celle-ci a toujours été
un outil permettant aux charlatans, et non aux vrais astronomes, de
rouler les naïfs argentés. Idée séduisante,
qui met la science hors de cause et renvoie l'astrologue ancien
à ses inventions bizarres 
fondement, et même totalement fausse. Le fait est que, dans
l'ancienne Mésopotamie, souverains et sujets avaient une
foi égale et absolue dans les astrologues, dont les avis
comptaient par-dessus tout dans les affaires de l'état.
Si nous laissons de côté nos préjugés
modernes, il apparaît donc que les Babyloniens concevaient le
ciel comme empli de dangers capables d'influer sur le destin
des nations, et que cette idée était si ancrée
dans les esprits que nul n'aurait songé à en
débattre. Ce fait est proprement renversant et personne, à
ce jour, n'a su expliquer comment des hommes intelligents nous
ne parlons pas bien sûr de l'ensemble de la population
pouvaient jadis se faire de l'univers une vue si menaçante
et si éloignée de celle qui se présente au
premier observateur venu à moins, bien sûr, de
supposer que le bon sens et le courage sont des acquis récents.
Deux réponses sont possibles. Soit le ciel antique se
comportait d'une façon vraiment différente
d'aujourd'hui, soit l'homme moderne est beaucoup
plus concret et éclairé que son ancêtre.
C'est
évidemment la seconde solution que retient notre époque.
Notre savant, par exemple, affirme qu'avec le temps, « le
concept d'une puissance extérieure exerçant un
contrôle permanent sur l'univers fit place à
celui, plus noble et plus haut, d'un ordre naturel inhérent.
Une vue mécanistique de l'univers remplaça la vue
fruste de jadis, qui reposait sur les actes vengeurs et arbitraires
d'un souverain mesquin. L'astronome moderne base sa
recherche sur l'inexistence de tels actes, seul gage de sa
confiance ».
Cette
phrase exprime avec une clarté exemplaire un principe
fondamental et décrit fidèlement la tournure d'esprit
que tant d'esprits cultivés affectionnent aujourd'hui.
Mais comment être sûr qu'elle ne repose pas sur un
préjugé, comment être sûr, autrement dit,
que le ciel ne change jamais, qu'il ne produit jamais une
cataracte de feu rugissant ? A première vue, la question
peut paraître bizarre. Dans le passé, des observateurs
professionnels ont scruté le ciel et nous ont laissé
leurs comptes rendus. Il est inconcevable que les savants
désintéressés qui les ont analysés aient
laissé passer quelque chose d'aussi sérieux
qu'une cataracte de feu rugissant. On pourrait même dire
que le fait même que nous soyons conditionnés à
penser que le ciel n'est pas dangereux prouve bien qu'il
ne l'a jamais été 
décortiqué les données ont dû parvenir à
la même conclusion. En somme, il n'y a pas là
matière à spéculation nouvelle car on est
forcément dans le domaine des faits historiques établis.
Mais
l'histoire n'est pas qu'un recueil de faits18.
Comme la science, elle repose sur le raisonnement. Faute d'un
tableau exact des faits décrits, les comptes rendus peuvent
tromper. La question posée, par conséquent, est de
savoir si les comptes rendus des observateurs antiques sont assez
clairs pour rendre impossibles les erreurs d'interprétation.
Est on absolument certain de ce que les astrologues babyloniens
avaient en tête ?
Jusqu'il
y a peu, cette question ne passionnait guère. On pensait
généralement que les premières idées
intéressantes sur l'univers nous venaient des Grecs.
Mais ce postulat a été mis à mal par Otto
Neugebauer19,
distingué historien des mathématiques et de
l'astronomie qui a conclu que l'observation babylonienne,
même si elle finit par subir de profonds changements de nature
et d'objet, n'était pas irrationnelle à
l'origine. Neugebauer avance qu'une révolution
scientifique importante fut réalisée par les Grecs au
4e siècle av. JC et qu'il est indispensable
de connaître la nature de ce changement si l'on veut
mieux comprendre l'histoire et la science des anciens. Par
exemple, une méthodologie scientifique, mise au point plus de
mille ans plus tôt sous le règne du Babylonien
Hammourabi, fut alors délaissée au profit de nouvelles
techniques d'analyse et d'une nouvelle interprétation
de la nature : l' « astrologie des
présages », dite aussi astrologie judiciaire,
fit place, au moment précis du fondement de la civilisation
occidentale, à l' « astrologie
horoscopique » fraîchement née.
Nous
y reviendrons plus tard mais signalons sans attendre un point
important. Il apparaît qu'à cette époque,
les Grecs prirent le relais des Babyloniens dans certains domaines
mathématiques et que, par un développement inattendu,
ils abandonnèrent alors les vues dominantes sur le cosmos au
profit d'une interprétation toute nouvelle. Les
Babyloniens, on le sait, avaient mis au point les techniques
algébriques permettant de calculer comment se combinent les
périodicités du mouvement des corps célestes,
techniques essentielles pour déterminer la position apparente
de la lune et créer un calendrier précis basé
sur son mouvement20.
Mais ils savaient aussi que leurs calculs ne reflétaient en
rien un modèle physique du comportement de la lune et les
aidaient simplement à projeter dans le futur, plus précisément
que sans mathématiques, les tendances et corrélations
observées dans le passé. Les Grecs, reprenant ces
formules algébriques, les assemblèrent en modèles
géométriques et posèrent que les positions des
planètes s'expliquaient par la combinaison de mouvements
circulaires, ce qui aboutit à la théorie des épicycles.
Les philosophes grecs imaginèrent alors que les épicycles
possédaient une existence réelle et que les planètes,
le soleil et la lune étaient fixés sur des sphères
cristallines invisibles reliées par un système
compliqué, tout aussi invisible, d'engrenages tournants.
Entraînés par leur propre logique, les Grecs se
convainquirent ainsi que rien, dans le ciel, ne pouvait pénétrer
ces sphères ni blesser la terre21.
Voilà
beau temps que les scientifiques ont compris la fausseté du
système des épicycles. Mais en rejetant ces concepts,
on a eu tendance, au passage, à y associer les Grecs et leurs
précurseurs babyloniens. Or, rien n'indique que ces
derniers aient embrassé ces idées ni qu'elles
aient affecté leur vue du cosmos. Tout montre au contraire,
comme dit Neugebauer, que les Babyloniens avaient une approche très
simple de l'astronomie et que, si effrayant que fût
l'univers, ils s'efforçaient de le décrire
comme ils le voyaient, en termes ordinaires. Ils ne voyaient rien
d'étrange à ce que des choses pussent jaillir du
ciel et frapper la terre. Si donc les astrologues babyloniens étaient
à la fois concrets, simples et scientifiques, peut-on mettre
fin au débat en étudiant leurs comptes rendus et en
découvrant la nature exacte du ciel qu'ils décrivaient ?
L'ancienne cité de Babylone prit son essor au 2e
millénaire av. JC lorsque des immigrants sémitiques
vinrent se mêler aux Sumériens indigènes, pour
bientôt les supplanter22.
La
culture sumérienne ne disparut pas pour autant et l'apparition
de nouvelles langues et d'une nouvelle théologie créa
un terreau savant d'où allaient naître les
mathématiques. Un culte nouveau et vivace, celui de Mardouk,
se développa aussi. Si Mardouk n'évinça
pas Anou, chef du panthéon sumérien, il parvint à
un rang élevé et élimina de grands dieux
animaliers comme Enlil ( le taureau ) et Ea ( le
bélier ). Les prêtres de Mardouk étaient
également astronomes et il semble que ce soit eux qui créèrent
l'astrologie des présages. Sous leur impulsion, on se
mit à étudier les phénomènes célestes
pour prédire le futur proche, celui du pays et celui du roi.
De l'apparition ou de la non-apparition de corps
« planétaires », on tirait des
conclusions sur l'invasion des ennemis de l'est ou de
l'ouest, l'arrivée d'inondations ou de
tempêtes. En revanche, on n'a jamais rien trouvé
qui évoque un horoscope basé sur les constellations de
naissance. En somme, l'astrologie babylonienne visait
essentiellement à prédire les perturbations futures en
fonction des anomalies observées dans la nature, démarche
finalement assez proche de celle de la science moderne.
Si
les principes paraissent raisonnables, on ne peut en dire autant des
observations elles-mêmes : les anomalies que les
prêtres-astronomes de Mardouk s'attachaient à
détecter concernaient surtout les agneaux nouveau-nés
et l'apparence des viscères de moutons morts ! Des
milliers de tablettes d'argile décrivent sans fin la
naissance de ces animaux ou l'état de leur toison.
L'image qui en ressort n'est ni convaincante ni
ragoûtante, c'est celle d'astronomes plus à
leur place sur les marchés et plus portés à des
rites étranges qu'à la recherche du savoir. C'est
oublier, cependant, que les prêtres-astronomes furent pendant
des générations les porte-parole de chefs qui
assuraient devoir leur statut à des dieux descendus du ciel,
lors du Déluge, accompagnés de leurs troupeaux. On peut
penser que le Déluge fut précédé de
comportements anormaux chez le bétail, et ce n'est donc
peut-être pas par hasard que l'on guettait le retour des
catastrophes par de telles méthodes. Dès lors que le
mouton, objet céleste, dépérissait ou
donnait naissance à des rejetons particuliers en des temps
dangereux pour la planète, l'habitude prise par les
prêtres-astronomes de surveiller les naissances et d'examiner
les viscères paraît moins curieuse. Le lecteur sera
peut-être surpris d'apprendre que le terme babylonien
désignant une étoile filante, lubat, signifie
littéralement mouton égaré ! En outre, les
observations font souvent référence à un certain
anneau du ciel ( le zodiaque ) dont le sens littéral
est celui d'une clôture, ou ruisseau, entourant un
pacage. Les textes, en d'autres termes, ne distinguent pas
entre moutons et étoiles ! L'imagerie exacte qu'ils
véhiculent est celle de moutons courant dans un enclos
céleste, et développant des maladies qui ont des
conséquences néfastes sur notre vie ici-bas. Pourquoi
donc cet entêtement des spécialistes à ne pas
lire ces images avec leur sens premier ? Est-ce parce qu'ils
n'ont trouvé aucun phénomène astronomique
à mettre en rapport avec ce galop de moutons dans un ciel
menaçant ?
On
peut, heureusement, en savoir plus sur les pratiques des
prêtres-astronomes en examinant le développement
ultérieur de l'astrologie des présages. Si
Babylone finit par être éclipsée sur le plan
politique, elle réussit à conserver une tradition
millénaire de culture et d'érudition qui, au 1er
millénaire av. JC, allait susciter l'admiration de
jeunes états. A partir du 7e siècle, Perses,
Juifs et Grecs sont attirés par l'aimant de la science
« chaldéenne » vers Babylone, dont
l'atmosphère de communication et de compétition
est le théâtre d'une sorte de révolution
regain d'intérêt pour les choses du ciel
qu'expliquent peut-être de nouveaux événements
célestes. En tout cas, les mathématiques et
l'astrologie babyloniennes connaissent alors un grand renouveau
qui se poursuivra sous les Séleucides, et des visiteurs comme
Zarathoustra et Pythagore, et plus tard Abraham, seront tour à
tour proclamés inventeur des sciences, de l'astrologie
et des nombres, et diront tous avoir été le premier
instructeur de l'humanité23.
Dans
les chapitres suivants, nous allons suivre le cheminement
labyrinthique de la science, qui passe par la Grèce, la
Macédoine et Rome, et conduit jusqu'à nous.
Pline, par exemple, nous apprendra que le mot toison était
encore couramment employé pour comète au
commencement de notre ère ( chap. 6 ). Plus
intéressant, nous verrons que les routes de l'est
conduisirent l'astrologie babylonienne jusqu'en Perse,
puis en Inde et en Chine, où elle connut une autre renaissance
vers la fin du 1er millénaire24.
Et là, il ne peut y avoir aucun doute sur ce que faisaient les
astrologues25.
Leur préoccupation première était de détecter
les « étoiles invitées » et
recenser les boules de feu 
premières sont majoritairement des comètes et que les
secondes sont majoritairement des météores
ultra-brillants issus des comètes.
Comme
dit Schafer : « alors que l'historien de la
science chinoise s'intéresse surtout à
l'exactitude de certains rapports et mesures, tels que
l'obliquité de l'écliptique ou la durée
de l'année, les astrologues des T'ang
s'intéressaient surtout aux visions favorables ou
alarmantes venues des voûtes noires du ciel ».
Aujourd'hui encore, il y a des observateurs de par le monde
qui, perpétuant les traditions babylonienne et chinoise,
regardent s'évanouir la queue d'une comète
et surveillent les étoiles filantes.
Ce
qui est sûr, c'est qu'ils ne demandent pas à
quoi s'occupaient les anciens en scrutant des entrailles ou en
comptant les moutons anormaux. L'idée qu'une
comète morte puisse se muer en un dangereux essaim
d' « étoiles cachées »
n'est pas de celles qu'autorise la pensée
actuelle. La logique l'exige : les rois bergers sont un
mythe et n'ont pas vocation à descendre du ciel !
Le
problème est donc celui de l'interprétation. D'un
côté, nous avons les astrologues babyloniens qui
décrivaient des dangers célestes et, tout au long de
l'histoire, ces observateurs qui ont tenté de faire le
lien entre les dangers d'en haut et les catastrophes
d'ici-bas 
textes anciens qui jugent, in petto, bien difficile d'expliquer
pourquoi les premiers observateurs du ciel étaient aussi des
bergers, et qui se rassurent sans doute en se disant que le ciel ne
recèle en fait aucun danger. Nous allons, dans les chapitres
suivants, tenter de comprendre d'où est venue cette
certitude et de déterminer si elle est fondée.
~ 2 ~
Les Forces du Mal
Notre
tendance naturelle est de formuler nos connaissances par des modèles.
Lorsque des faits nouveaux ne se conforment pas exactement à
ces modèles, une légère modification de ces
derniers suffit généralement à les préserver.
Mais parfois, les faits récalcitrants s'accumulent au
point que tout s'écroule et qu'une révolution
intellectuelle s'avère nécessaire, après
laquelle les anciens faits restent valides mais sont compris
différemment, la perception de la vérité ayant
changé26.
Il
est difficile d'apprécier si les fissures apparues dans
un édifice intellectuel sont réparables, ou sont au
contraire le signe d'un effondrement 
difficile que des réputations scientifiques s'y sont
faites ou perdues. Après coup, il est aisé de gloser
sur l'aveuglement des savants, mais sur le moment, les choses
sont rarement claires et l'on peut dire que pour une révolution
scientifique réussie, bien d'autres ont échoué.
Ainsi, des modèles erronés de la réalité
peuvent se maintenir longtemps avant de céder sous le poids
des contre-preuves, et dans ce que nous tenons pour vrai aujourd'hui,
des erreurs apparaîtront sans doute demain. De nombreux
précédents historiques le géocentrisme ou
le créationnisme biblique, par exemple montrent que
l'humanité peut s'accrocher à des modèles
faux pendant des milliers d'années et que le meilleur
antidote est de les confronter sans relâche à de
nouvelles expériences et observations, qui permettent de
détruire les vieux préjugés mais obligent
parfois à repenser les faits établis.
Une
révolution est en route dans les sciences de la terre. Le
catastrophisme terrestre, cette idée selon laquelle
l'évolution de la vie et même les processus
géologiques fondamentaux seraient contrôlés par
des arrivées soudaines de matériaux spatiaux, est
devenu au cours des dernières années un concept aussi
important que controversé ( cf. chap. 14-15 ). Les
preuves se trouvent non seulement dans les roches mais dans des
observations astronomiques nouvelles. Le point de vue classique,
défendu pendant un siècle ou plus par les géologues
et biologistes, selon lequel la terre évoluerait dans un
superbe isolement par rapport à son environnement, se révèle
faux. La démarche suivie dans ce livre consiste à
appliquer ces mêmes découvertes astronomiques aux
périodes historiques, et non plus géologiques. Les
données astronomiques qui nous enseignent une autre histoire
de la terre, nous disent aussi que des cataractes de feu se sont
produites au cours des derniers millénaires. Bref, nous
reconsidérons les données historiques à la
lumière de ce nouveau paradigme catastrophiste. Ce n'est
pas tout, car nous examinerons également des questions qu'on
range aujourd'hui dans d'autres domaines et que l'on
croit comprendre.
Les
cataractes de feu, pour le spécialiste, sont une absurdité,
et la question que nous proposons au lecteur d'examiner est de
savoir si les données peuvent encore entrer dans les modèles
admis. Car, alors que les Babyloniens ont rapporté sans
équivoque la peur que leur inspiraient les choses du ciel, et
ont décrit ce qu'ils voyaient en des termes laissant peu
de doute sur l'aspect du danger, les interprètes
modernes choisissent de rejeter cette connaissance en disant que ces
observations furent imaginées.
Or,
nous montrerons que cet exemple n'est pas isolé et que
de vastes pans de données écrites sont écartés
d'un revers de main parce qu'ils ne cadrent pas avec nos
schémas de pensée lesquels, rappelons-le, sont
très antérieurs aux découvertes géologiques
et astronomiques récentes. Cette analyse comporte une autre
dimension. L'approche des savants, qui consiste à se
cramponner à leurs points de vue jusqu'à ce que
l'évidence leur fasse lâcher prise, est-elle
moralement défendable ? Comment peut-on justifier
d'entretenir des convictions inébranlables qui mettent
la civilisation en péril ? Entre -5000 et -3000, le
climat de la terre fut relativement doux, ce qui semble avoir
contribué à l'apparition des premières
sociétés urbaines ( fig. 1 ).
Dès
-3000, de grandes civilisations assez semblables occupaient les zones
alluviales de trois grands bassins hydrographiques : le Tigre et
l'Euphrate en Mésopotamie, le Nil en Egypte, l'Indus
en Inde. L'avance de ces civilisations est évidemment à
mettre sur le compte d'une nourriture suffisante pour faire
vivre, non seulement ceux qui la produisaient mais des artisans et
des administrateurs. Les surplus nécessaires furent
apparemment obtenus en déplaçant l'agriculture
des zones montagneuses vers l'aval des fleuves, dont les
plaines alluviales particulièrement vastes permettaient, par
l'irrigation, de hauts rendements agricoles.
Vers
-3000, cependant, le climat terrestre subit une détérioration
marquée qui allait durer deux siècles27.
Les pluies augmentèrent et la température moyenne
baissa. Au Canada et au nord de l'Europe par exemple, la limite
septentrionale des forêts recula de plusieurs centaines de
kilomètres ( fig. 2 ), alors qu'ailleurs, la
forêt progressait. Les glaciers de montagne s'étendirent.
De grandes inondations se produisirent en Mésopotamie et en
Egypte, reconnaissables dans le premier cas par le limon retrouvé
sous les anciennes citadelles, dans le second par l'emplacement
des temples par rapport au Nil. Ailleurs, des changements à
grande échelle se produisirent dans la végétation
et le sol, notamment d'importants feux de forêts qu'on
pense dus au défrichage et qui laissent supposer une période
de prospérité agricole28.
Le paradoxe des récessions climatiques mondiales est qu'elles
aggravent la situation de certaines zones tout en améliorant
parfois celle d'autres zones29.
Ce
qui est sûr, c'est qu'il y eut des changements, en
mieux pour les uns, en pire pour d'autres. Fait remarquable, la
même époque fournit des traces claires d'un essor
de la civilisation : des savoir-faire nouveaux émergent,
l'écriture apparaît, une classe professionnelle se
développe, toutes choses marquant le début de la
période historique.
En
outre, de grands travaux comme la construction des pyramides ou la
mise en place de vastes réseaux d'irrigation suggèrent
qu'un dynamisme sans précédent s'empare
alors de la population. Les efforts engagés sont sans commune
mesure avec ceux consentis auparavant, et la question incontournable
est de savoir si le changement climatique y fut pour quelque chose.
Mais on peut aussi se demander si cette dynamique ne fut pas la
conséquence obligée d'événements
violents et imprévus, liés au changement climatique,
qui auraient créé un sentiment d'urgence et
d'appréhension intense.
Aucune
de ces lignes de recherche ne semble avoir été
sérieusement poursuivie par les archéologues et
historiens modernes. La plupart des experts ne voient là que
coïncidences et considèrent que le changement climatique
survenu vers -3000 eut une incidence minime ou nulle sur le progrès
de la civilisation. Il y a un siècle, dans le prolongement de
la révolution industrielle, et avant qu'on ait mis en
évidence les traces physiques des changements climatiques, il
semblait naturel d'expliquer la montée parallèle
des grands « empires hydrauliques » par la
diffusion des connaissances et d'heureuses percées dans
les savoir-faire.
La
préhistoire fut ainsi envisagée comme une suite
d'étapes technologiques d'une sophistication
croissante ( la pierre, le bronze, le fer, etc. ), qui
libéraient du temps pour penser aux prochaines avancées
perspective dans laquelle on perçoit l'influence
du darwinisme.
Le
concept d'un progrès technologique indéfini, très
en vogue aux 19e et 20e siècles,
commença à se lézarder quand on réalisa
que les Européens extrayaient et travaillaient le cuivre bien
avant le 4e millénaire av. JC. Il devint clair que
pour conserver le schéma évolutionniste de l'histoire,
il fallait minorer le rôle de la technologie. Et l'on
émit l'idée que le parallélisme observé
dans l'évolution de communautés séparées
tenait à quelque loi naturelle du comportement humain. Dans
des conditions semblables, pensait-on, toutes les communautés
développent des « tensions socio-économiques »
identiques, qui les poussent vers des types comparables de
civilisation 
l'état sauvage primitif au pastoralisme nomade puis à
l'agriculture et à la civilisation sédentaire.
Les mêmes tensions feraient s'agréger les fermes
en villages, s'assembler les villages en cités-états,
grandir les sociétés urbaines et s'étendre
les empires monolingues jusqu'à ce que l'espèce
ait conquis la terre. Technologique au 19e siècle,
l'approche de l'histoire est devenue sociologique au 20e
30.
Dans
cette optique, le moteur ultime de l'histoire est la course de
l'homme vers la civilisation. Mais en l'adoptant,
l'archéologue et l'historien ont relégué
les facteurs environnementaux au second plan. Quand on étudie
l'âge de bronze ancien dans le Wessex, par exemple, c'est
pour se demander si la civilisation s'est développée
localement par le commerce avec le continent ou si elle fut imposée
à une population vassale par des envahisseurs continentaux. La
réponse éclaire peut-être les processus par
lesquels des dominations s'installent entre les peuples et font
évoluer les destins nationaux. Mais en attachant une
importance si exclusive aux comportements humains, au détriment
des circonstances physiques et des changements de l'environnement,
le risque existe d'amputer l'histoire de ses causes
profondes. En outre, les données sociologiques étant
généralement limitées, et les problèmes
par conséquent souvent insolubles, on peut chercher
indéfiniment sans jamais se rendre compte qu'on s'est
enferré dans une voie sans issue. Dans ce contexte, les
chances sont donc minces de répondre à la question
fondamentale suivante : existe-t-il des forces historiques plus
profondes dont les symptômes de la civilisation, les
réalisations techniques et sociologiques de l'homme, la
montée et le déclin des nations, seraient les effets ?
Pour
clarifier la question, nous n'avons d'autre ressource que
d'étudier ce qu'ont dit les anciens eux-mêmes.
Et un point frappe dès l'abord : c'est
l'importance que ceux-ci accordaient aux dieux. C'était
vrai en Mésopotamie, c'était vrai également
en Egypte au début du 3e millénaire av. JC,
où l'on attribuait la fortune aussi bien que le malheur
à des êtres divins d'arrivée relativement
récente. Il n'est donc peut-être pas inutile d'en
apprendre davantage sur ces dieux. On pourrait concevoir, par
exemple, que les changements climatiques de l'époque
aient entraîné l'apparition de « dieux
climatiques » dans le langage, simples expressions qui
auraient ensuite disparu. Mais ce serait à l'évidence
sous-estimer l'importance capitale que les dieux avaient pour
les Egyptiens.
A
partir de -3000, les pharaons se persuadèrent que résidait
en eux le pouvoir divin de divinités ancestrales31.
Les noms qu'ils se donnaient Scorpion, Poisson-chat,
Combattant, Serpent, Tueur... montrent que les premiers
rois paraient leurs dieux de vertus éminemment guerrières.
Les chefs égyptiens et leurs rivalités finirent par
s'effacer devant un pharaon omnipotent au style de vie royal.
Horus, le dieu-faucon, devint le dieu du ciel et le symbole par
excellence de la royauté : dieu bienveillant, il
garantissait au nouvel état égyptien sa sécurité
et sa continuité par rapport à ses origines.
L'incidence des changements climatiques sur la lutte pour la
vie ne semble pas avoir disparu pour autant 
voir en suivant un moment les Egyptiens et en analysant le rôle
d'Horus, dont ils faisaient leur sauveur.
Le
caractère multiple de la mythologie égyptienne provient
de ce que les cités-états se réclamaient de
dieux différents. Les cités se regroupant, des
identifications entre dieux s'opéraient. Chaque dieu
possédait une famille et des relations bien à lui,
souvent zoomorphes au départ mais tendant avec le temps à
prendre figure humaine. Malgré ces caractéristiques
particulières, on retrouve chez les Egyptiens le pendant du
berger divin et de ses moutons, et un parfum monothéiste
imprègne leur mythologie dès les débuts.
Considérons par exemple le cas de Ptah. Ce très ancien
dieu donna naissance à une lignée d'autres dieux.
La première génération, disent les légendes
cosmiques primitives, fut celle d'Osiris et Seth, dont
l'importance sera considérable. Respectivement noir et
rouge de peau, ils créèrent « deux terres »
la Terre Noire et la Terre Rouge constituant
apparemment les deux divisions principales d'un monde immense
et plat. La Terre Noire était séparée de la
Terre Rouge par une enceinte continue construite par Osiris 
cette enceinte appartenait clairement au royaume cosmique car elle
était aussi le chemin zodiacal qu'empruntaient, dans une
barque céleste, le dieu-soleil et quelques autres dieux du
ciel pour accomplir leur voyage quotidien.
Cette
conception égyptienne primitive du monde reposait donc
implicitement sur une terre plate bordée par un cosmos plat.
Elle était présente dans la disposition même des
temples égyptiens, où l'enceinte était
représentée par un rectangle de colonnes et de murs
dont la façade intérieure était décorée
d'une rivière dominée par un ciel étoilé.
Cette enceinte était synonyme de cours d'eau, de
rivière, alors que la Terre Rouge qui s'étendait
au-delà était fréquemment identifiée à
un océan. Comme le montre cette imagerie, la Terre Noire et la
Terre Rouge étaient issues des eaux primordiales du chaos,
lesquelles étaient associées à la naissance
d'Osiris et de Seth.
A
l'intérieur de l'enceinte, à une extrémité,
se trouvait l'Île de la Création ( peut-être
lieu de conservation d'une pierre météoritique,
comme la Mecque ). A l'autre extrémité se
dressaient, de part et d'autre de la porte d'entrée,
deux énormes pylônes qui représentaient,
semble-t-il, quelque chose allant de l'enceinte vers l'espace
cosmique, et dont la présence était apparemment si
naturelle qu'ils seront plus tard symbolisés dans les
lieux de culte par de simples paires de tours ou de minarets. Nous
reviendrons sur cet aspect important de la structure cosmique. Ce
qu'il importe pour le moment de noter, c'est qu'Osiris
passait pour avoir été tué par Seth, lequel
avait ensuite dispersé les fragments de son corps autour de
l'enceinte. Isis, soeur et épouse d'Osiris,
réussit à rassembler les fragments et à
ressusciter son époux. Elle en conçut un fils posthume,
Horus, qui vengea son père en battant Seth au cours de maintes
batailles.
Les
Egyptiens, ceux du Moyen-Empire notamment, voyaient dans ces conflits
récurrents le triomphe passé et futur des forces du
bien sur les forces du mal, et dans Horus le seigneur protecteur de
l'Egypte, ce qui sous-entend que les forces du mal
envahissaient parfois les territoires des forces du bien que
protégeait Horus. De ces incursions, on trouve la trace dans
les allusions qui émaillent toute l'histoire
égyptienne aux menaces des peuples de la Mer, lesquels
causèrent peut-être la chute du Moyen-Empire ( vers
-1650 ). On lit ainsi qu'une « explosion
venue de Dieu » laissa l'Egypte dans un état
d'« affliction sévère »
et sans souverain. Des « chefs de pays étrangers »,
appelés Hyksos, s'emparèrent alors du pays, sans
coup férir dirait-on, et brûlèrent les cités
et les temples de Dieu. Il est précisé qu'ils
étaient conduits par Seth et qu'ils imposèrent
une suzeraineté barbare et impitoyable, dont les archéologues
et historiens peinent cependant à trouver la moindre trace et
que l'on pourrait tout aussi bien croire tombée du ciel.
Dans ce contexte, les affrontements entre Osiris et Seth prennent
plus de sens et l'on comprend mieux pourquoi ils comptèrent
tant, et si longtemps, pour les Egyptiens. Et cela nous amène
à conclure que la menace cosmique, quelle qu'elle fût,
qui pesait sur la Mésopotamie, s'observait également
en Egypte.
De
fait, où que l'on pose les yeux dans le monde antique
d'alors, on rencontre des mythes créationnistes32
selon lesquels des géants célestes se seraient jadis
livré bataille et auraient dominé la terre, bataille
d'ailleurs récurrente et se terminant généralement
par la victoire des forces du bien. A la victoire d'Horus sur
Seth répondent ainsi celle du babylonien Mardouk sur Tiamat,
des Titans grecs ( parmi lesquels Zeus finira par s'assurer
la suprématie ) sur les Cyclopes, du Léviathan
hébraïque sur Béhémoth, de saint Georges
sur le dragon, de Yahvé sur Satan, et l'on peut
continuer la liste ( voir tableau 1 ).
Dans
tous ces mythes anciens, les forces du mal possèdent une
connotation céleste marquée ( cf. chap. 13 ) 
la peur intense des Mésopotamiens envers le ciel n'a
donc rien d'un cas isolé. On a en fait le sentiment que
le ciel antique était peuplé d'entités
spéciales, l'une considérée comme
menaçante, l'autre comme protectrice. La question est
donc la suivante : ce dualisme céleste repose-t-il sur
une base matérielle réelle, qui comporterait un aspect
inoffensif et un aspect dangereux ? Il est intéressant de
noter, par exemple, qu'Osiris apparaît sur d'anciennes
illustrations vêtu d'un long manteau blanc. Les Egyptiens
disaient qu'il avait amené la civilisation et
l'agriculture.
Sa
gloire finit par s'affaiblir et il mourut, mais son esprit,
rajeuni, survécut et passa chez son successeur. Dès
lors, chaque pharaon était Horus pendant sa vie et devenait
Osiris à sa mort. La descente d'Osiris dans l'inframonde
et son voyage vers le Lieu de l'Ascension, ou Île de la
Création, étaient symbolisés par une procession
conduisant au séjour ultime : une pyramide qui
représentait une demeure céleste aussi réelle
que l'enceinte séparant la Terre Noire de la Terre
Rouge. Il est difficile de distinguer où finit le symbole et
commence la réalité mais tout cela n'est pas sans
évoquer un objet qui apparaîtrait régulièrement
dans le ciel, serait enveloppé d'un long manteau blanc
et pourrait, perdant sa gloire, se fragmenter en formant dans
l'espace une île temporaire et une ceinture temporaire,
de l'extérieur de laquelle pourraient venir d'autres
menaces.
Il
faut observer à ce sujet que Typhon, l'homologue grec de
Seth, présente lui aussi des caractéristiques
indéniablement cosmiques. Plusieurs auteurs classiques
parlèrent de lui comme d'une sorte de comète, et
Plutarque, au 1er siècle, écrivit33 :
Quant
à Typhon, dont la puissance est éteinte et brisée,
et bien qu'il agonise et approche de son dernier souffle, les
Egyptiens continuent de l'apaiser par des fêtes
propitiatoires. Cela ne les empêche pas, lors de certaines
fêtes, de l'humilier terriblement et de le traiter avec
la dernière malice allant jusqu'à rouler
des hommes à peau rouge dans la boue et à pousser un
âne dans un précipice sous prétexte que
Typhon avait la peau rouge et ressemblait à un âne.
Un
dieu éteint, brisé, à peau rouge et ressemblant
à un âne : autant dire, pour un esprit moderne, un
fatras de symboles incompréhensibles et sans intérêt.
Nous remarquerons quant à nous, anticipant sur les
développements du chapitre 12, que nous avons là une
description très fidèle d'une comète qui
aurait jadis été grosse mais serait maintenant près
de sa fin.
A
supposer que ce genre de phénomène soit apparu
effectivement dans le ciel, on comprend que, dans le monde entier,
les anciens mythes à connotation cosmologique aient pu
présenter des points communs.
A
supposer, en outre, que ces phénomènes aient été
suivis de cataractes de feu entraînant la fin de l'ordre
et des lois, on peut raisonnablement s'attendre à
trouver une cohérence générale dans les divers
visages de l'histoire, et une certaine simultanéité
dans la chute des empires, les mouvements de populations, les
conflits et l'émergence des idées sur
fond, sans doute, d'une crainte profonde de ce que le ciel
tenait encore en réserve. Curieusement, tel est bien le
tableau général de l'histoire du monde ( cf.
tableau 2 ), et bien des savants ont ruiné leur
réputation à tenter d'en comprendre la cause.
Bien sûr, ces premiers éléments sont insuffisants
pour conclure, mais reconnaissons qu'ils sont plus cohérents
avec notre thèse qu'on n'aurait pu croire.
Si
des cataractes de feu cométaire semèrent la terreur
dans le passé, il est naturel de penser que les populations
aux abois durent tenter d'apaiser ces forces cosmiques
incontrôlables au moyen de rites, et aussi de s'attendre
à trouver les caractéristiques orbitales des comètes
inscrites dans des pratiques sociales anciennes dont la signification
s'est aujourd'hui perdue. La panoplie des jeux et fêtes
basés sur le feu, tels que feux d'artifice, processions
ardentes, roues de feu, lancers de disques allumés et autres,
est répandue dans le monde entier et on remarquera que ces
jeux se pratiquent surtout à mi-juin et au début de
novembre ( Halloween ) cette dernière période
ayant d'ailleurs été souvent considérée
comme le début de l'année calendaire dans le
passé. Si aucune de ces dates n'a d'importance
particulière pour l'agriculture, il se trouve en
revanche qu'à ces moments-là la terre coupe
l'orbite d'une comète particulièrement
importante. Nous reparlerons de cette comète plus loin
( notamment au chap. 13 ), mais notons encore une fois des
rapprochements plus directs qu'on ne l'aurait cru.
Ainsi,
les mythes et rites anciens, qu'ils soient égyptiens,
mésopotamiens ou d'autres que nous n'examinons pas
ici, parlent avec force d'un conflit persistant avec le ciel et
dans le ciel. Les historiens et archéologues modernes optent
presque tous pour une interprétation figurée car ils
pensent que les allusions à des divinités sont
symboliques. Nous arrêterons là le débat pour le
moment, car les raisons qui ont fait s'effondrer des empires à
l'époque moderne sont clairement plus politiques que
cosmiques, et il serait donc absurde de tout ramener à une
explication unique 
simplement de démontrer qu'il existe des motifs
raisonnables de douter.
Si
le tableau alternatif que nous proposons est correct, les périodes
de stabilité dans l'histoire, qui habituellement
retiennent davantage l'attention, voient leur signification
diminuer quelque peu, et ce sont les moments de chaos et de ruine qui
marquent les vrais tournants de la civilisation. Entre les crises, un
semblant d'ordre peut s'installer, au bout, peut-être,
d'un siècle ou deux 
ciel, même pour dix ans seulement, même jamais réalisée,
peut suffire à détruire définitivement un
équilibre social délicat.
L'histoire
égyptienne, par exemple, est marquée par des périodes
de conflits entre cités-états et d'absence
d'organisation centrale, parfois même de chaos et de
récession, entre lesquelles s'étalent de longues
périodes de stabilité sous la domination de royaumes
puissants et magnifiques. Ces royaumes, auxquels font pendant en
Mésopotamie des périodes de haute civilisation
( tableau 3 ), paraissent s'être effondrés
brutalement dans des circonstances qu'on ne comprend pas
vraiment et qui inaugurèrent chaque fois une ère
nouvelle. Les dates ( -3100, -2200, -1650 et -125034,
selon la chronologie conventionnelle ) correspondent
respectivement à la fin de la préhistoire, à la
fin de l'Ancien Empire, à la fin du Moyen Empire
( envahisseurs Hyksos ) et à la période,
après Ramsès II, où l'Égypte
succomba aux Peuples de la Mer.
La
civilisation, même diminuée, survécut mais, dans
le dernier exemple, la chute fut si dévastatrice que l'Égypte
ne retrouva jamais son éclat antérieur 
devait pas passer inaperçue.
~ 3 ~
Les Héraclides
L'essor
de la civilisation ne s'est pas fait seulement dans les vallées
et deltas de grands fleuves comme le Tigre, l'Euphrate, l'Indus
ou le Nil. Parallèlement aux grands centres urbains du début
du 3e millénaire av. JC qui focalisent généralement
l'attention, les habitants des régions égéennes
sortaient eux aussi, à la même époque, de l'âge
de pierre. Moins impressionnants peut-être à première
vue, mais non moins accomplis, ces peuples allaient atteindre un haut
niveau artistique et technologique 
du 2e millénaire av. JC, la civilisation minoenne
centrée sur la Crète avait non seulement développé
des relations commerciales et culturelles avec les autres grandes
civilisations, mais exerçait une influence prédominante
sur le bassin méditerranéen.
On
sait relativement peu de choses sur les contacts éventuels des
Minoens avec d'autres aires culturelles, même si l'on
sait que des immigrants indo-européens venus du nord et de
l'est arrivaient déjà en Grèce
continentale. On pensait naguère que ces immigrants parlaient
la langue aryenne dont sont issus le latin, le sanskrit, le celte et
le teuton, mais les éléments disponibles montrent
seulement que dès -1600, ces arrivants étaient intégrés
aux populations locales et avaient créé, sur le
continent, une société mycénienne grécophone
qui semblait coexister paisiblement avec ses puissants voisins
minoens.
On
pense que les Grecs de l'époque classique avaient une
double origine35 :
d'une part, une population indigène antérieure
peut-être sémitophone, de l'autre une vague
d'immigrants indo-européens venus du nord et de l'est.
Les légendes semblent parler de deux anciennes provinces
grecques, nommées Achaïe et Doride, où les
immigrants se seraient mélangés aux Égéens
déjà présents. Les données archéologiques
suggèrent toutefois que ces derniers ne se seraient installés
que vers -1100, et pas nécessairement en grand nombre. On
considère généralement aujourd'hui que la
poussée indo-européenne apparut vers -2000 au moins, et
que le sentiment d'unité ethnique qui naquit chez les
groupes inorganisés peuplant les étroites vallées
de l'archipel grec dut autant aux populations maritimes
indigènes qu'à une caste supérieure
d'envahisseurs guerriers. Il est possible, bien sûr, que
les envahisseurs indo-européens aient créé cette
cohésion en imposant à une population asservie leur
mode de vie féodal et aristocratique 
aussi clair que la langue grecque possède une origine locale
et que le sens de la nation pourrait donc remonter à une
époque très ancienne.
On
sait par exemple que le linéaire B, variante d'écriture
minoenne utilisée dans la capitale crétoise Cnossos
dans ses derniers temps de prospérité, était un
ancien dialecte grec identique à celui dont usait la Grèce
mycénienne à la même époque. Le grec et le
linéaire B semblent donc refléter une langue déjà
bien implantée en mer Égée au milieu du 2e
millénaire av. JC. On connaît aussi le linéaire
A, précurseur possible du linéaire B apparu vers -1800
et indéchiffré à ce jour. En usage à
l'époque du deuxième palais de Cnossos
( 1625-1450 av. JC ), il coexista auparavant, au temps du
premier palais de Cnossos ( 1800-1625 av. JC ), avec
l'écriture hiéroglyphique crétoise, ainsi
nommée par référence aux hiéroglyphes
égyptiens. Un autre surgeon du linéaire A, le
chypro-minoen, se développa au 16e siècle
av. JC dans des circonstances non élucidées. Ce que les
données mettent en évidence, en tout cas, c'est
l'existence d'une civilisation minoenne puissante, dont
les origines pourraient remonter au 3e millénaire
av. JC et qui s'éteignit vers la fin du 2e
millénaire.
Sur
ces bases, archéologues et historiens ont réussi à
recomposer un tableau assez intelligible de cette zone avant -1500.
Mais ce tableau n'a fait qu'épaissir l'énigme
de l'histoire ultérieure des Minoens et Mycéniens.
Car en un temps relativement bref quelques siècles au
plus, ces sociétés parvenues au faîte de
l'abondance et de l'organisation subirent un effondrement
spectaculaire, et ce, dans des circonstances curieusement semblables.
La civilisation insulaire minoenne, et tous ses satellites égéens,
disparurent vers -1450 
vers -1200.
On
a avancé que la civilisation minoenne aurait été
détruite par l'éruption du volcan de Théra,
île située à moins de 150 km au nord de la Crète.
Ce fut effectivement un événement de première
grandeur. Des cendres furent dispersées au-dessus d'une
vaste zone de Méditerranée orientale couvrant les
Cyclades et l'essentiel de la Crète. On peut se faire
une idée de la violence de l'éruption en
constatant que la caldera de Théra est six fois plus vaste que
celle du Krakatoa ( 1883 ), laquelle fut pourtant capable
de lancer, dans le mince détroit séparant Java et
Sumatra, un énorme raz-de-marée qui noya 36.000
personnes et détruisit pas moins de 200 villages. Cependant,
compte tenu de différences de topographie, il n'est pas
certain que l'explosion de Théra anéantit la
civilisation minoenne, car celle-ci semble avoir survécu après
l'événement ( vers 1500, d'après
la radiodatation ) et s'être terminée dans de
tout autres circonstances.
La
datation relative étayant cette conclusion se base sur
les styles des poteries trouvées à Théra
au-dessus et au-dessous des couches de cendres, et est relativement
sûre. La datation absolue offre en revanche moins de
certitude. Le repère chronologique auquel on rapporte le plus
souvent les anciens événements du Proche-Orient est le
calendrier sothiaque de l'Égypte ancienne, établi
d'après quelques bribes d'observations
astronomiques figurant dans les listes de rois issues de Manéthon36.
Or nous allons voir que l'effondrement final de la civilisation
égéenne s'étendit à tout le
Proche-Orient et créa un hiatus culturel qui dura peut-être
cinq siècles. Dans cet intermède purent se produire des
partitions d'états, et par conséquent des
confusions entre dynasties, d'où un risque d'erreur
dans la chronologie absolue 
quant aux dates où les empires minoen et mycénien
disparurent37.
Mais cela ne change rien à la matérialité des
événements.
En
ces deux occasions, les villes et les campagnes semblent avoir été
dévastées. Pour autant qu'on sache, le déclin
de la civilisation et la dégradation de l'environnement
furent à peu près simultanés. La plupart des
régions méditerranéennes étaient
nettement plus boisées et fertiles à l'âge
de Bronze qu'aujourd'hui 
semi-désertification actuelle témoigne que des facteurs
destructeurs provoquèrent une déforestation massive et
une quasi-annihilation du couvert végétal, créant
les conditions d'une érosion ultérieure
implacable. Il est même probable que les campagnes et les
villes furent détruites à si grande échelle que
beaucoup de gens furent obligés de partir, ne laissant
derrière eux, après -1100, qu'une maigre souche
d'habitants pour repeupler et recultiver le pays.
Villes
sans protection comme Cnossos, Phaïstos ou Gournia en Crète,
ou citadelles massives comme Pylos, Mycènes ou Tirynthe en
Grèce continentale, les cités furent dévastées
aussi complètement que par un tremblement de terre ou un
incendie, en deux épisodes qui n'excédèrent
probablement pas cinquante ans mais laissèrent les habitants
gravement affaiblis et diminués. Le premier événement,
probablement le moins important, couvrit la totalité de la
Crète, abattant la civilisation minoenne et fournissant aux
Mycéniens une occasion majeure de s'étendre sur
mer : au bout de deux siècles et demi, ceux-ci
disposaient de comptoirs à Chypre et Troie, en Égypte,
Palestine, Syrie, Cilicie, Sicile et Crète, dans le sud de
l'Italie et les îles égéennes. Pourtant,
leur civilisation fut à son tour ravagée. Mais cette
fois, la région entière fut comme vidée de
culture pendant cinq cents ans et une véritable récession
s'installa. Très peu de choses survécurent et la
nation mycénienne tomba dans la pauvreté,
l'analphabétisme et l'ignorance. Non seulement la
population diminua sévèrement, mais elle s'enfonça
dans une existence si primitive que l'écriture et
l'architecture cessèrent d'être pratiquées
et tombèrent dans un quasi-oubli. La poterie, toutefois, se
maintint en de nombreux endroits, bien qu'à un niveau
primitif, de même que les légendes et les cultes. Au
total, il est clair que nous sommes là en présence de
désastres d'une ampleur presque sans précédent,
et l'on ne peut que s'interroger sur les facteurs
naturels ou humains capables d'une dévastation aussi
immense.
La
fascination persistante qu'exerce sur nous la catastrophe
mycénienne ne réside pas que dans cette récession
ni dans la destruction vaste et définitive qui la précéda38,
mais aussi dans le mystère de sa cause. L'intérêt
des historiens pour ce sujet, d'ailleurs, ne se limite pas au
seul cas mycénien. Tout au long de l'histoire, des
périodes de splendeur et de puissance ont été
suivies de dépressions et d'effondrements, et des états
prospères et puissants ont été balayés
qu'on pense, par exemple, aux royaumes combattants
chinois, à la civilisation maya, à l'empire
romain. Dans bien des cas, les causes de déclin demeurent
obscures. Comme nous l'avons déjà dit, on ignore
s'il faut accuser une loi générale des sociétés
humaines, qui conduirait à l'autodestruction, ou une
cause externe qui nous aurait jusqu'ici échappé.
Toute avancée dans la compréhension d'un de ces
événements peut donc nous éclairer sur le
phénomène général, et par conséquent
sur l'avenir de notre propre civilisation. Voilà
pourquoi toutes sortes de causes ont été imaginées
au déclin mycénien : pertes de récoltes et
famines, séismes gigantesques, invasions, révolution
prolétarienne, guerres de chefs, entre autres. Mais bien que
certaines aient pu jouer, le sentiment dominant, aujourd'hui,
est qu'il dut se passer quelque chose de radicalement étranger
à notre compréhension ordinaire.
Étrangement, les Mycéniens
semblent avoir reconnu les forces qui devaient les anéantir,
et tenté de prendre les devants. Alors qu'ils avaient
évincé les Minoens en Méditerranée depuis
-1400, et qu'ils étaient au plus fort de leur
domination, les chefs mycéniens furent apparemment gagnés
par une inquiétude croissante sur la protection de leurs
cités. À l'évidence, ils sentaient venir
une menace de siège, car ils postaient des guetteurs et
mobilisaient fréquemment les défenseurs pour parer à
toute attaque. On est allé jusqu'à comparer cette
fébrilité à celle que connut l'Europe au
temps des Vikings 2000 ans plus tard. En un temps où
l'économie mycénienne était florissante et
où l'on construisait des palais élaborés à
Pylos, Mycènes, Tirynthe, Iolcos, Gla, Orchomène,
Thèbes et Athènes, on bardait également ces
édifices de murailles cyclopéennes protectrices.
Simultanément, on remettait à l'honneur l'antique
habitude de construire au sein du palais une petite enceinte couverte
appelée mégaron, où l'on accédait
par une antichambre basse 
mégaron, qui évoque singulièrement un abri
anti-aérien ( planche 3-a ). Tous ces préparatifs
furent vains 
toutes ces citadelles, sauf Athènes, étaient détruites
et abandonnées. À quelles forces les Grecs de l'époque
classique attribuaient-ils cette destruction ? On le sait ici
sans ambiguïté : à des envahisseurs appelés
Héraclides !
Quand
on examine les références aux Héraclides, on
s'aperçoit qu'elles ne possèdent pas la
moindre connotation figurée ou métaphorique. On peut
donc exclure que soient ici visés des rébellions ou des
soulèvements paysans dus à des problèmes
économiques. Mais l'archéologie n'a rien
trouvé non plus, malgré ce que disent les traditions,
qu'on puisse sans hésiter attribuer à des forces
d'invasion. Aucun changement n'apparaît, par
exemple, dans les tenues mortuaires ni dans l'armement. Aucune
nouveauté linguistique ne manifeste non plus la présence
de conquérants, et les données mettent plutôt en
évidence la continuité d'une évolution
entamée vers -2000 avec l'arrivée des locuteurs
indo-européens. Les Héraclides donnent l'impression
d'agresseurs fantomatiques qui seraient venus du nord mais ne
seraient pas restés sur les terres qu'ils traversaient.
En
réalité, c'est la totalité des régions
de Méditerranée orientale qui fut envahie et dévastée
à cette époque. Le puissant voisin des Mycéniens,
l'empire anatolien des Hittites, s'effondra lui aussi. Sa
capitale Hattoussa périt dans les flammes, et d'autres
cités anatoliennes comme Troie, Milet ou Tarse, eurent le même
sort. Les grandes cités levantines d'Alalakh, Karkemich,
Kadesh, Qatna, Ougarit brûlèrent pareillement, tout
comme de nombreux centres urbains palestiniens. Ainsi, c'est
une zone bien plus large que la seule région égéenne,
et relativement sans rapport avec elle, qui vit anéantir sa
prospérité et sa stabilité entre -1230 et -1180.
Et c'est l'ensemble de cette zone qui va tomber dans un
déclin et un isolement quasi complets, dont on peine à
saisir l'intensité. En mer Égée, la
récession durera jusqu'au 8e siècle
av. JC 
quoique réel, sera moins prononcé, tandis qu'en
Canaan, les forteresses tomberont aux mains des Philistins, Araméens
et Israélites. Comme l'a dit un auteur connu :
« les traces de cités pillées, de murs
écroulés, de communications coupées, de
dépeuplement et de privations, ne sont que trop claires ».
Seule
l'Égypte, un moment affaiblie, réussira à
survivre et à conserver un semblant de civilisation, et ne
connaîtra qu'un interrègne qu'on situe avant
-1200. Un résumé posthume du règne de Ramsès
III ( 1194-1162 av. JC ) débute sur un rappel de
l'époque précédente, d'où il
ressort que l'Égypte subit un coup d'arrêt
si total qu'on cessa de tenir les archives et le compte des
années :
La
terre d'Égypte fut abandonnée et chacun ne connut
que sa propre loi. Durant de longues années, il n'y eut
aucun chef reconnu. Le gouvernement central sombra 
dignitaires et chefs subalternes s'emparèrent du pays
tout entier. Grand ou petit, chacun tuait ses voisins. Dans la
détresse et le vide qui s'ensuivirent, il vint un
Syrien, un étranger qui se dressa contre tout le pays. Des
bandes de pillards alors se formèrent, qui, sans plus d'égards
pour les dieux que pour les hommes, ôtaient aux temples leurs
revenus.
À
l'évidence, il y eut un effondrement général
qui laissa la société sans défense contre les
incursions de l'étranger. Même après le
redressement de la situation, Ramsès III devait continuer, de
1190 à 1180, à se protéger contre
« le Grand Pays et les agresseurs de la mer ».
Tout
à coup, le pays fut en mouvement, jeté dans la guerre.
Aucune contrée ne résistait à leurs armes.
Hatti, Kobe, Kizzuwaka, Karkemish, Arzawa, Alishaya, tous furent
isolés... Ils décimaient la population, et les
terres étaient rendues au néant. Ils avançaient
sur l'Égypte, précédés par les
flammes.
Et
un peu plus loin : « quant à ceux qui
s'assemblèrent sur la mer, la flamme entière
était devant eux dans l'embouchure des fleuves ».
Ainsi,
les archives égyptiennes complètent et confirment
remarquablement les données archéologiques. Elles
semblent distinguer trois phases. D'abord apparurent des forces
qui étaient armées d'une grande flamme menaçante
et dont on peut penser qu'il s'agissait des envahisseurs
qui causaient tant de dégâts. Puis vinrent, des pays
dévastés du nord, d'importuns réfugiés.
Et c'est dans un troisième temps seulement que le
pharaon put penser avoir réglé ces deux problèmes.
On peut en déduire que les Égyptiens surent tenir en
respect les maraudeurs qui ruinèrent les empires mycénien
et hittite.
Malgré
des confirmations venues de toute la Méditerranée,
malgré des destructions très réelles, les
chercheurs sont à ce jour incapables de dire qui étaient
les envahisseurs incendiaires. L'identité des Héraclides
est un mystère absolu. SUITE DANS LE LIVRE
HRM-BUHIVERCOS 24 €
~ Table des Matières ~
Prologue 11
I Le Labyrinthe de l'Histoire
1 Les Cataractes de Feu..... 25
2 Les Forces du Mal..... 39
3 Les Héraclides..... 53
4 Les Dieux du Ciel..... 61
5 Renaissance..... 75
6 Les Lumières..... 83
7 Jour d'Apocalypse..... 103
8 Crime aggravé..... 119
II Le Taureau du Ciel
9 Mécanique Céleste..... 135
10 Essaims Cosmiques..... 151
11 Contacts rapprochés..... 159
12 Échos des Temps Anciens..... 169
13 Fins du Monde..... 187
III Le fil d'Ariane de la Science
14 Empreintes galactiques..... 211
15 Catastrophisme Terrestre..... 223
16 Le Singe Nu..... 243
17 Que risquons-nous ?..... 251
Fréquence d'impact..... 252
L'Erreur nucléaire..... 255
Impact dans une zone urbaine..... 260
Essaims cosmiques..... 261
L'hiver cosmique..... 265
Poussières cosmiques..... 274
En résumé..... 278
Epilogue..... 281
Bibliographie..... 285
1 North American Aerospace Defense Command ( Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord ) : organisme créé en 1958 par le Canada et les États-Unis pour protéger l'espace aérien de l'Amérique du Nord.
2 Base aérienne hébergeant la 55e escadre de l'armée de l'air américaine.
3 Single Integrated Operation Plan ( Plan opérationnel intégré )
4 Defense Support Program : satellites militaires de détection de missiles.
5 Thomas, Religion and the Decline of Magic.
6 Cohn, The Pursuit of the Millenium
7 Homère, Iliade, Traduction Leconte de Lisle.
8 Virgile, Énéide, Traduction Anne-Marie Boxus et Jacques Poucet.
9 Lucrèce, De Rerum Natura, Traduction Henri Clouard. Les italiques sont de notre fait. Elles soulignent certains aspects du monde réel qui paraissent avoir été reconnus à l'époque classique et que la science, nous le verrons, confirme.
10 Oracles sibyllins.
11 Sénèque, Naturales quaestiones.
12 Tian-Shan, ‘Ancient Chinese Observations', entrée n°39. La date semble être le 22 mai de l'an 12, et l'heure 15 à 17H. Le fou est un pot en terre, le zhang vaut 12 degrés.
13 Savage, The Anglo-Saxon Chronicles.
14 Morris, Historical Tales : the Romance of Reality. Cet extrait impressionnant est cité à titre posthume par Velikovsky ( 1982 ), qui soutient que l'humanité, traumatisée à son insu par des événements passés, tend à minimiser ou banaliser les dangers célestes. L'alternative que nous explorons ici, à savoir que les dangers célestes ont été évacués de notre conscience pour des raisons intellectuelles infondées, a les mêmes conséquences.
15 Jacobsen, « Mesopotamia ».
16 Frankfort, H. et Frankfort, H. A., Myth and Reality.
17 Davidson, The Stars and the Mind.
18 Butterfield, The Origins of History. Cette étude a également été publiée à titre posthume mais elle est incomplète et ne permet donc pas de connaître la conclusion de l'auteur. Néanmoins, les éclairages qu'elle fournit, indépendamment de toute référence aux récentes découvertes astronomiques, laissent penser une certaine convergence de vue avec nous-mêmes.
19 Neugebauer, The history of ancient astronomy
20 Van der Waerden, Science Awakening II.
21 Cette vision de l'univers fut perfectionnée au cours du demi-millénaire suivant et devait trouver son expression la plus aboutie avec l'Almageste de Ptolémée, qu'on ne comprend bien, toutefois, qu'en le rapprochant de la Tétrabible du même Ptolémée.
22 Bien qu'on puisse soutenir que l'interpénétration des civilisationsconséquence, notamment, des migrations de massesoit le processus qui influa le plus sur le cours de l'histoire ( cf. Darlington, The Evolution of Man ), nous considérons que certaines conditions environnementales pourraient être plus fondamentales encore.
23 Oates, Babylon.
24 Cf. par exemple Needham, The Grand Tradition.
25 Les annales astrologiques des Chinois, comme celles de leurs devanciers babyloniens, couvrent une période de près de 2000 ans et ne furent connues en Occident qu'après leur traduction par le physicien français Biot ( Catalogue général des étoiles filantes ). Les archives des « étoiles hôtes » observées ont été récemment révisées et mises à jour par Ho ( Ancient and medieval observations ) mais aucune étude comparable des anciennes observations de météores n'existe encore. Pacing the Void, de Schafer, apporte un éclairage remarquable sur l'esprit de l'astrologie chinoise.
26 Kuhn, La structure des révolutions scientifiques. Cet auteur affirme non seulement que la science suit en gros la progression que nous décrivons, mais en outre que le choix des hypothèses fondamentales à une époque donnée répond à des motivations sociales.
27 Sur l'histoire du climat, Climate : Present, Past and Future de Lamb constitue une somme incontournable. On trouvera dans The Little Ice Age de Grove une étude détaillée des données concernant les récessions climatiques récentes.
28 Cf. par exemple Simmons et Tooley, The Environment of British Prehistory. Pour une approche plus large, voir Goudie, Environmental Change. Le climat postglaciaire qui s'améliorait à un rythme plus ou moins régulier se remit soudain à décliner vers 3500-3000 av. JC, avec une série de redressements et de rechutes d'intensité variable. Ce net déclin fut marqué en Grande-Bretagne par une diminution soudaine de la couverture arborée, des changements dans la végétation, des traces de feu à grande échelle révélées par des particules microscopiques de carbone, et la formation ultérieure de tourbières, schéma qui réapparaît avec force vers 1200. L'idée que ces dévastations seraient dues à l'homme est défendue par des experts qui ignorent l'existence de facteurs naturels capables de provoquer des feux.
29 Ces difficultés d'interprétation sont en voie de résolution rapide, grâce à des mesures basées sur certains isotopes ( ²H, 10Be, 14C, 18O par exemple ). Les fluctuations de concentration de ces isotopes sont en corrélation évidente avec le climat mondial. Outre qu'elles révèlent la survenue de grands âges glaciaires tous les 100.000 ans environ, ces mesures signalent l'apparition de forts reculs climatiques dont la durée avoisine un siècle et espacées d'un millénaire au maximum. Les fluctuations relevées sur les 10.000 dernières années montrent en outre l'existence de divers cycles courts sous-jacents, qui semblent se manifester également dans le comportement du soleil. Il existe malheureusement plusieurs processus physiques susceptibles de produire ces fluctuations, et il reste à déterminer le facteur principal : le soleil, un réservoir terrestre comme l'océan, ou encore une source de poussière périodique de l'espace interplanétaire. Néanmoins, ces cycles et leur explication constituent à l'évidence une clé des mystères climatiques et devraient porter leurs fruits dans un avenir peu éloigné. Les actes d'une réunion de la Royal Society, tenue à Londres en février 1989, fournissent l'état actuel de la recherche sur ce sujet.
30 Renfrew, Before Civilization. L'archéologue McKie ( The Megalith Builders ) propose une vision opposée attribuant le rôle principal, dans la préhistoire, aux facteurs astronomiques et environnementaux plutôt qu'aux facteurs sociologiques. On trouvera un commentaire bien argumenté sur l'approche « sociologique » de nombreux archéologues chez Bradley ( The Social Foundations of Prehistoric Britain ) qui conclue par cette remarque : « il serait temps que les archéologues acceptent de reconnaître des schémas auxquels ils ne s'attendent pas ».
31 Wilson, « Egypt ». Pour une étude définitive de la royauté sacrée, voir Frankfort, Kingship and the Gods. Autres textes utiles sur l'Égypte ancienne : Gardiner, Egypt of the Pharaohs, David, Cult of the Sun et Rundle-Clark, Myth and Symbol.
32 Cf. par exemple Fraser, The Golden Bough, et la New Larousse Encyclopedia of Mythology. Dans l'introduction de ce dernier livre, Robert Graves écrit que « la mythologie est l'étude de récits religieux ou héroïques si étrangers à notre expérience qu'il nous est impossible d'y ajouter foi. Voilà pourquoi l'adjectif mythique est parfois pris au sens de incroyable, et aussi pourquoi l'on ne trouve pas, dans les mythologies européennes standard comme celle-ci, de récits bibliques, même quand ils ressemblent de près à des mythes perses, babyloniens, égyptiens et grecs ». Nous considérons que la plupart des éléments cosmiques des récits et mythes bibliques ( mythes de la création et de combats ) dérivent de phénomènes astronomiques réels mais parfois incompris. Cette vue a été professée avant nous par Bellamy ( Moons, Myths and Man ) et Velikovsky ( Mondes en collision ), qui n'ont pu toutefois en donner de raison scientifique valable. On lira une excellente introduction aux mythes de la création et de combats dans Blacker and Loewe, Ancient Cosmologies, et Forsyth, The Old Enemy.
33 Plutarque, Isis et Osiris. Typhon était explicitement reconnu comme une comète à la fin de l'antiquité : des astrologues comme Lydus ( 3e s. ) distinguaient neuf types de comètes, dont les typhoniques.
34 L'établissement d'une chronologie absolue pour l'ère préchrétienne repose sur un vaste ensemble d'études que nous ne pouvons aborder ici. Disons simplement que l'essentiel de la chronologie du Proche-Orient avant le Christ se base actuellement sur des synchronisations culturelles et historiques précises par rapport aux décomptes d'années fournis par les listes égyptiennes de rois et le calendrier sothiaque. La chronologie du centre de l'Europe, elle, s'appuie sur des synchronisations intrinsèquement moins précises entre les datations du carbone 14 et de la dendrochronologie. Ces échelles indépendantes se recoupent à quelques pour-cent près sur une durée de 5000 ans ( Mellart, Egyptian and Near Eastern Chronology ) mais des écarts plus grands ne peuvent être exclus sur des périodes plus longues, notamment quand les listes égyptiennes de rois contiennent des ambigüités ( cf. Gardiner, Egypt of the Pharaohs, Annexe ). De sévères reculs climatiques à l'échelle planétaire ( révélés par des cernes extrêmement étroits sur des périodes de moins de 20 ans, et par des pics simultanés d'acidité dus à des voiles de poussière atmosphérique ) semblent s'être produits en 4375, 3195, 1626, 1150 et 540 50, époques sans activité volcanique connue ( cf. Baillie et Munro, « Irish Tree Rings » )  la corrélation négative entre les périodes de haute civilisation protohistorique et les problèmes de climat souligne le rôle joué par celui-ci dans le cours de l'histoire.
35 Kitto, The Greeks. Un aperçu archéologique vivant figure chez Wood, In Search of the Trojan War.
36 Waddell, Manetho.
37 Des recherches récentes sembleraient indiquer que l'époque de la récession climatique ( env. 1625, cf. note 30 ) coïncide avec la chute de la civilisation minoenne et est liée au Second Palais crétois, et non au Premier Palais  toutes les dates minoennes antérieures à 1400.
38 Sandars, The Sea Peoples.
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