Sauvagerie Diplomatique Khashoggi

HRM-BUSAUVAGERIE
24 €




2h30 d'entretien sur la presse french et son traitement de l'affaire Khashoggi, Assange, Snowden et les Gilets Jaunes



La grande interview dans la Matinale 7h30 de KerNews FM avec Yannick Urrien sur l'affaire Khashoggi et ses implications sur la presse francaise




Ce livre de plus de 310 pages raconte l'assassinat de Jamal Khashoggi, par les journalistes qui ont révélé le crime immonde des Saoudiens au monde entier.

L'enquête réalisée par trois grands journalistes turcs du Daily Sabah révèle les secrets les plus terribles de l'assassinat de Jamal Khashoggi, éditorialiste du Washington Post, au sein même du consulat de l'Arabie Saoudite d'Istanbul, meurtre qui a plongé le monde dans la consternation la plus totale. Ce que les Saoudiens ne savaient pas, c'est que les services spéciaux turcs dirigés par Hakan Fidan, avaient criblé les murs du consulat de micros, grâce auxquels le crime et surtout le rôle de Mohammed ben Salmane, prince dirigeant l'Arabie Saoudite, a pu être prouvé.

On apprend ainsi ce qui s'est passé avant, pendant les 7 dernières minutes de la vie de Khashoggi entre le moment où il est entré dans le consulat et sa mort, grâce aux enregistrements que Ferhat Ünlü, Abdourrahman Simsek et Nazif Karaman se sont procurés :

- ce qui s'est précisément dit entre Khassoggi et ses tortionnaires

- comment son meurtre a été conduit, étape par étape... et nié par le consulat

- comment son corps a été démembré et dispatché dans des valises

- ce que les 15 assassins se sont dit pendant l'opération, leur identité et leur spécialité

- comment les services secrets turcs du MIT ont conduit leur enquête

- ce qui s'est passé ensuite au plus haut niveau du royaume saoudien et comment celui-ci a tenté de nier son implication.

Cette enquête est un monument de travail journalistique écrit par les journalistes qui furent les premiers à révéler le scandale de ce meurtre diplomatique au monde.

HRM-BUSAUVAGERIE
24 €


Coup de foudre Main dans la main au bureau des mariages


Jamal Khashoggi s'est rendu au consulat saoudien situé au 6, rue Camlik, à Istanbul dans le quartier du 4 Levent, le 28 septembre – quatre jours avant sa mort le 2 octobre. Plus tôt dans la journée, il s'était rendu chez l'officier de l'état civil du quartier de Fatih en tenant la main de sa fiancée, mais on lui avait signifié qu'il lui fallait un document attestant de son statut de célibataire. En d'autres termes, Khashoggi a dû se rendre sur le lieu de sa mort pour obtenir une "preuve de célibat". Conscients de ses besoins, les Saoudiens lui ont demandé de revenir le 2 octobre à 13h.

C'est au cours de ces quatre jours de battement qu'ils ont organisé le meurtre de Khashoggi. Nous verrons plus loin où se trouvaient les 18 membres de l'équipe, impliqués directement ou indirectement dans le meurtre, et comment ils se sont entraînés pour leur mission. Intéressons-nous d'abord à l'emplacement de Khashoggi et à ce qu'il faisait.

Les jours qui se sont écoulés entre la première visite de Khashoggi au consulat et son assassinat sont cruciaux1. Nous devons cependant remonter jusqu'aux prémices du coup de foudre qui a conduit Khashoggi à se rendre au consulat pour obtenir des documents de mariage – le jour où il a rencontré Hatice Cengiz, sa fiancée et une diplômée du lycée Imam Hatip, à Bursa. Elle se présente comme une érudite des États du Golfe souhaitant se familiariser avec cette partie du monde. À cette fin, elle a assisté, du 4 au 6 mai 2018, à une conférence dans laquelle Khashoggi a pris la parole. Le 26 octobre, Cengiz a raconté les circonstances de sa rencontre lors d'une interview avec la chaîne de télévision turque Habertürk:

Je suivais M. Jamal de très près. Bien que la région du Golfe n'attire pas beaucoup d'attention, je pensais qu'il était primordial de connaître cette partie du monde. Mon travail m'amène à assister à de nombreuses conférences – en particulier sur la région du Golfe. C'est ainsi que j'ai rencontré M. Jamal. Je voulais le rencontrer. Beaucoup de questions me trottaient dans l'esprit au sujet de l'Arabie Saoudite. Notre conversation a évolué à partir de là. M. Jamal était bien connu en Europe et ailleurs dans le monde, mais pas en [Turquie].

Après notre première rencontre, je lui ai annoncé que je souhaitais publier mon entretien avec lui et que j'espérais l'approfondir. Il a proposé que l'on se rencontre la prochaine fois qu'il serait à Istanbul. Il est ensuite venu en Turquie et nous nous sommes vus. C'était une réunion rapide, car nos emplois du temps étaient très chargés ce jour-là. C'est à ce moment-là que notre relation a commencé. La plupart des questions, peut-être 70 % d'entre elles, étaient personnelles. Le suivi a montré qu'il s'agissait effectivement d'une réunion privée. De retour aux États-Unis, il m'a dit qu'il désirait me voir. C'est ainsi que notre relation est née.2


LE JOURNALISTE QUI A DEMANDÉ LA BÉNÉDICTION À LA FAMILLE.


C'est Turan Kislakçi, l'un des amis les plus proches de Khashoggi et le président de l'Association des journalistes turco-arabes, qui a demandé au père de Hatice Cengiz sa bénédiction pour le mariage de sa fille avec Jamal Khashoggi. Quand Khashoggi a croisé les jambes lors de la rencontre avec la famille de Hatice, c'est Kislakçi qui l'a admonesté en arabe pour qu'il décroise les jambes. Originaire de la province d'Erzurum, dans l'est de la Turquie, la famille Cengiz habitait à Fatih dans la capitale Istanbul.

Le père de Hatice tenait un café dans le quartier de Fatih. Lors d'une interview avec les auteurs de ce livre, Kislakçi a décrit la présentation de Khashoggi à Hatice Cengiz comme suit:

Après leur rencontre à la conférence de mai, Hatice Cengiz a accompagné Khashoggi à un événement musical auquel il avait pour habitude d'assister les vendredis. C'est ainsi qu'ils se sont rapprochés en premier lieu. L'événement consistait en des concerts de musique religieuse. Je crois que c'était le 3 août.

Khashoggi m'a appelé fin août ou début septembre.

- Turan, je veux te confier quelque chose, il a dit.

- Je vais épouser une Turque.

Je lui ai fait part de ma surprise et lui ai demandé qui c'était.

- Tu la connais déjà. Tu te souviens de Hatice, que j'ai amené à l'événement musical ce soir-là? C'est elle.

Je lui ai demandé comment c'était arrivé.

- Je te raconterai tout une fois sur place, mais j'ai une faveur à te demander: pourrais-tu demander la bénédiction de son père en mon nom?

Je lui ai répondu que je serais heureux de rendre visite au père de Hatice si elle était d'accord. Il s'est réjoui:

- Vas-y, Turan!

J'ai dit à Hatice Cengiz que je souhaitais parler à son père. Elle m'a donné son numéro de téléphone, mais elle m'a averti que son père était "un Anatolien, alors parle-lui en connaissance de cause."

Son père m'a demandé mon avis. Je lui ai dit de ne pas s'inquiéter de la différence d'âge:

- Je suis contre ce genre de choses. Si une femme et un homme s'aiment, les parents n'ont pas le droit d'intervenir. La seule chose à prendre en compte, c'est ce que vous pouvez faire pour la protéger. Votre fille est une personne raisonnable et cet homme est assez mûr.

Il m'a répondu qu'il ne demandait rien pour lui-même, mais qu'il voulait le meilleur pour sa fille. Je ne veux pas entrer dans les détails. Ces choses se sont produites à la mi-septembre – environ une semaine avant sa première visite au consulat, le 28 septembre.

Finalement, j'ai dit au père de Hatice que je souhaitais me retirer et lui ai recommandé de laisser sa fille et Jamal s'occuper du reste. "Ne nous mêlons pas de leurs affaires," dis-je. Jamal a ensuite acheté l'appartement aux Résidences Europe à Topkapi.


Kislakçi nous a ajouté qu'il a communiqué avec Jamal Khashoggi par téléphone une seule fois entre le 28 septembre et le 2 octobre:

Il était à Londres pour assister à une conférence. J'étais très occupé et nous ne pouvions pas discuter plus en détail. Nous avons parlé au téléphone une fois pendant son séjour à Londres. Je l'ai appelé et lui ai demandé où il se trouvait. Il m'a dit qu'il était avec des amis turcs au Sharq Forum et m'a invité à les rejoindre. Je lui ai dit que je ne pouvais pas venir. Je ne savais pas qu'il avait voyagé deux fois à Londres.

DE L'OFFICIER DE L'ETAT CIVIL AU CONSULAT


Le 28 septembre, Khashoggi était arrivé à Istanbul de Londres tôt le matin, comme il l'avait fait le jour de son assassinat. Son image a été capturée à 4h07 du matin par une caméra de vidéosurveillance au comptoir de contrôle des passeports. Il portait un pull jaune.

Le fait qu'il ait passé le contrôle des passeports à peu près à la même heure que le 2 octobre indique qu'il a pris deux fois le même vol au départ de Londres. Le 28 septembre, Khashoggi a pris un taxi jaune de l'aéroport de Atatürk vers son appartement de Topkapi. Il a rencontré sa fiancée, Hatice Cengiz, le matin et ils se sont rendus à la mairie du quartier de Fatih pour les formalités de mariage. D'après les images vidéo obtenues par les auteurs, Khashoggi et Cengiz sont entrés dans l'immeuble, main dans la main, à 9h20.

Le couple s'est assis en face d'un fonctionnaire de l'officier de l'état civil. Dans les 5 minutes qui ont suivi, ils ont obtenu des renseignements et reçu une liste de pièces officielles à fournir pour finaliser leur dossier de candidature. Hatice Cengiz a récupéré le dossier et s'est levée de sa chaise. Khashoggi et sa fiancée ont parcouru le document qu'ils avaient reçu du fonctionnaire.

Cengiz a sorti un autre papier de son portefeuille et l'a montré à l'agent municipal. Ils ont ensuite discuté. À 9h28, le couple a quitté le fonctionnaire et s'est brièvement entretenu à l'extérieur. Ils ont décidé de se rendre directement au consulat saoudien, où Khashoggi devait obtenir une attestation de sa situation maritale. Le couple a pris un taxi à 9h32 de Fatih pour se rendre au consulat d'Arabie Saoudite situé dans le district du 4 Levent.

La circulation était fluide et ils sont arrivés à leur destination en une demi-heure. Jamal Khashoggi a confié ses téléphones portables à Hatice Cengiz, comme au jour de son assassinat, et a pénétré dans l'immeuble. Selon sa fiancée, le journaliste était quelque peu préoccupé à l'époque. Pourtant, il a quitté le consulat le sourire aux lèvres une heure et demie plus tard. À son retour, il a raconté à Hatice Cengiz que le personnel consulaire avait été curieusement amical et il a ajouté:

- Ils m'ont dit que le document sera prêt dans quelques jours et qu'ils m'appelleront".

Les raisons de son inquiétude avant sa visite au consulat le 28 septembre seront analysées plus en détail dans les sections pertinentes de ce livre. Voici la version courte: Khashoggi était éditorialiste au Washington Post, dans lequel il avait dirigé des critiques contre le gouvernement de l'Arabie Saoudite. Il ne visait pas le roi Salman lui-même, mais le prince héritier Muhammed Ben Salmane, qui se présentait comme un réformiste mais avait recours, pour réprimer la dissidence, à des méthodes totalitaires, y compris le meurtre. Lors d'événements publics, Khashoggi a également critiqué l'administration saoudienne. Bien qu'il ne soit pas lui-même un dissident, Khashoggi, journaliste autrefois proche de l'establishment saoudien, a utilisé un langage incontestablement critique dans ses déclarations sur l'Arabie Saoudite. Bien qu'elles lui ont signifié avoir besoin de quelques jours pour préparer les documents officiels, les autorités saoudiennes planifiaient en fait son assassinat, conformément aux ordres de Riyad. Khashoggi passera les quatre jours suivants à Londres, où il assistera à une conférence. Son vol pour Londres était prévu trois heures plus tard. Il a donc pris un autre taxi pour se rendre à l'aéroport de Atatürk, accompagné de sa fiancée, Hatice Cengiz.

Le dernier petit-déjeuner


Quatre jours plus tard, à son retour de Londres, Jamal Khashoggi et sa fiancée se sont vus tôt le matin dans leur appartement de Topkapi. Ils sont sortis pour prendre le petit déjeuner et ont choisi un café proche. Au petit déjeuner, Hatice Cengiz a dit à son fiancé qu'elle entendait l'accompagner au consulat saoudien. Khashoggi a alors appelé le consulat pour vérifier que ses papiers étaient bien prêts. Un fonctionnaire consulaire lui a demandé d'attendre leur appel. Dès réception de l'appel de Khashoggi, les Saoudiens ont probablement vérifié – plutôt que l'état d'avancement du dossier du chroniqueur du Washington Post – si l'escadron de la mort était prêt à partir. Après s'être assurés que les tueurs avaient terminé leurs préparatifs, l'officier a appelé Khashoggi pour lui dire que ses papiers seraient disponibles à 13h. Selon les images filmées, le couple est retourné dans leur appartement aux Résidences Europe à 12h27 et en est ressorti 15 minutes plus tard. La police a reçu ces images de la part de l'administration de l'immeuble lorsque l'équipe chargée de l'enquête s'est rendue à l'appartement pour recueillir des éléments de preuve. À 12h43, Khashoggi et Cengiz ont quitté leur appartement pour la dernière fois.

À 13h, ils avaient parcouru la distance de 11 kilomètres qui sépare la résidence privée du consulat saoudien. Khashoggi a confié ses deux iPhones à Hatice Cengiz. Ils ont parlé brièvement près de la barricade de police qui entourait le consulat saoudien. Pour la dernière fois, Khashoggi a regardé sa fiancée dans les yeux et lui a demandé de l'attendre. Ce serait la dernière chose qu'il lui dirait. Dans une interview accordée à la rubrique Unité de Renseignement Spécial du journal Sabah, elle a décrit les contacts de Khashoggi avec les autorités saoudiennes en ces termes:

Le 28 septembre, M. Jamal et moi nous sommes retrouvés chez l'officier de l'état civil à Fatih. Nous avons appris qu'il nous fallait nous rendre au consulat pour nous procurer les documents nécessaires. Jamal était inquiet. Il se demandait si un problème allait survenir.

Bien au contraire, le personnel consulaire était en apparence hospitalier et sympathique. D'ailleurs, certains fonctionnaires l'ont abordé pour lui demander s'il allait bien. [Jamal] fut agréablement surpris. Quand il m'a raconté son expérience, il était très heureux. Ainsi, il n'avait aucun soupçon lorsqu'il s'est présenté à son deuxième rendez-vous, le 2 octobre. Si j'avais su qu'il était inquiet, je l'aurais absolument empêché d'y aller.

Le matin du 2 octobre, M. Jamal et moi avons déjeuné. Il voulait se rendre au consulat et récupérer les documents qu'il avait préalablement sollicités. Lorsque nous sommes allés au consulat, M. Jamal m'a remis ses portables, comme il l'avait fait la première fois, et il est entré immédiatement. Sur le chemin du consulat, nous avons parlé de nos plans après le retrait de ses papiers. Nous allions faire un tour dans les magasins pour acheter quelques objets pour notre appartement. Plus tard dans la journée, nous allions rencontrer nos amis et nos proches pour le dîner afin d'annoncer la date prévue pour notre cérémonie de mariage.

Je l'ai attendu patiemment et avec optimisme jusqu'à 16 heures. En fait, je me suis rendue dans un supermarché près du consulat, j'ai acheté un journal et l'ai lu. J'ai acheté du chocolat et de l'eau afin de les offrir à Jamal quand il sortirait. Comme il n'est plus ressorti du consulat, j'ai appelé mon ami le plus proche et lui ai demandé de me rejoindre immédiatement. J'ai appelé Yasin Aktay, un vieil ami de Jamal, et Turan Kislakçi. Finalement, j'ai appelé quelques-uns des amis arabes de Jamal que je savais proches de lui.

À 16 h, mon attente étrange a cédé la place à une grande inquiétude puis à la peur. Je me suis dirigée vers le consulat. D'abord, j'ai essayé d'obtenir des informations des gardes de sécurité. Lorsque j'ai échoué, j'ai appelé le consulat et j'ai avisé le fonctionnaire que M. Jamal était entré dans l'immeuble et n'en était pas sorti. L'agent a raccroché le téléphone, est venu me voir pour me dire qu'il n'y avait plus personne à l'intérieur du bâtiment. Tout le monde était parti, m'a-t-il dit. À ce moment-là, j'ai senti mon univers s'assombrir. Ma tête s'est mise à tourner à tel point que je pouvais à peine rester debout.

Cela fait 11 jours que M. Jamal a disparu. Le [13 octobre] était son anniversaire. Il est peu de choses pires que de devoir faire des déclarations publiques sur la dernière fois que j'ai vu l'homme dont j'avais organisé l'anniversaire. La tristesse, la déception, la colère, l'incertitude et la peur m'ont tuée mille fois ces 11 derniers jours. Au début, j'y suis retournée, pensant qu'ils avaient soumis Jamal à un interrogatoire de routine et pouvaient le relâcher à tout moment. J'ai attendu devant le consulat jusqu'au bout de la nuit. Puis le sentiment que des événements dissimulés se déroulaient devenait de plus en plus pressant.

Il est inadmissible pour moi et pour le gouvernement de mon pays que cet incident ait pu se produire chez nous et que certains aient essayé d'envoyer un message en notre nom. Dans le cadre d'une enquête officielle, le bureau du procureur a examiné tous les éléments de preuve et tous les détails susceptibles d'éclairer ce qui s'est passé. Notre pays n'a pas fait de déclaration officielle parce que l'enquête est toujours en cours. Lorsque je dis que j'ai attendu patiemment, la réalité, c'est que j'ai vieilli de dix ans au cours des deux dernières semaines. Même s'il ne me reste qu'une infime lueur d'espoir, j'attends toujours avec impatience le retour de Jamal.3


Lors d'une interview accordée le 26 octobre à Mehmet Akif Ersoy de Habertürk, Hatice Cengiz a dévoilé des détails significatifs sur les événements survenus entre le 28 septembre et le 2 octobre:

Nous voulions répartir notre temps entre les États-Unis et Istanbul. Il disait que les commencements étaient importants, alors il avait acheté un appartement à Istanbul. Il se rendait souvent en Turquie et adorait y séjourner. Il était un ami proche du président. Il a participé à trois événements, même s'il était initialement venu [en Turquie] pour le mariage. Mon père nous a aussi demandé de vivre à Istanbul.

Nous avons commencé à préparer le mariage entre le 10 septembre et le 2 octobre. Il avait d'autres projets en parallèle. Dès que ma famille nous a donné sa bénédiction, nous avons entamé les préparatifs. La procédure officielle a tendance à traîner un peu en longueur. Il a donc acheté un appartement et nous avons commandé des meubles. On s'est dit que l'on pourrait faire quelques avancées avant d'organiser la fête de mariage. C'est ce que nous avons fait jusqu'au 2 octobre. Nous sommes allés à la mairie pour demander officiellement un permis de mariage.

La raison de notre visite au consulat était que [Jamal] avait besoin d'un document officiel indiquant qu'il n'était pas actuellement marié, afin de pouvoir épouser une citoyenne turque. M. Jamal et moi sommes allés à l'hôtel de ville de Fatih pour nous renseigner sur la façon de nous procurer ce document.

J'avais dit à [Jamal] qu'il devait se rendre au consulat pour obtenir ses papiers de mariage. Il craignait de rencontrer un problème au consulat, mais il a décidé de se renseigner une fois arrivé [en Turquie]. Selon certaines rumeurs, il s'est rendu au consulat saoudien aux États-Unis pour réclamer ce document, mais il a été refoulé et redirigé vers [le consulat en] Turquie. Si tel était le cas, il me l'aurait dit.


L'INQUIÉTUDE INÉVITABLE LORS DU PREMIER RENDEZ-VOUS
Plus tard dans la même interview, Hatice explique que Jamal Khashoggi craignait de se rendre au consulat pour obtenir une "preuve de célibat".

- Il ne voulait pas que ses écrits provoquent des tensions au consulat. Il redoutait d'être débouté, ajoute-t-elle, Il espérait de pas être obligé de retourner [en Arabie Saoudite] ou soumis à un interrogatoire.

Il faut rappeler que Khashoggi était visiblement anxieux avant son premier rendez-vous au consulat saoudien du 28 septembre. Elle poursuit:

[Jamal] croyait que la Turquie était un pays sûr et que [les autorités] feraient la lumière sur l'incident relativement facilement si quelque chose devait lui arriver. Il estimait que la Turquie était un acteur puissant sur la scène internationale et que l'Arabie Saoudite ne prendrait pas le risque d'attiser les tensions avec la Turquie.

Lorsque nous avons réalisé, chez l'officier de l'état civil, que nous ne pouvions rien faire, nous nous sommes demandés s'il fallait tenter le coup [auprès du consulat]. Je lui ai dit que je pouvais l'accompagner, car nous étions ensemble et que nous faisions tout à deux pendant tout le temps de la préparation du mariage. Son vol était à 14 heures ce jour-là. Nous avons pris un taxi dans les parages et nous avons pris la direction du consulat.

Une heure s'est écoulée après son entrée, et je me suis dit que s'il venait à s'attarder encore 10 ou 15 minutes, il me faudrait aller le chercher [au consulat], car il allait manquer son vol. Jamal est sorti à ce moment-là. Il m'avait laissé ses téléphones portables. À ma connaissance, il était censé les laisser [à l'entrée] du consulat, mais il pensait peut-être qu'il était plus prudent de me les confier. Il était ravi. Cela m'a rendu très heureuse. Il avait foulé le sol de son pays natal pour la première fois depuis 18 mois.

Il m'a dit que les employés du consulat étaient très attentionnés, qu'ils étaient venus l'accueillir et l'avaient très bien traité. Le personnel lui a dit que le document serait prêt dans quelques jours. [Jamal] leur a répondu qu'il avait un avion à prendre et souhaitait repartir. J'ai cru comprendre qu'ils lui avaient demandé quand il serait de retour. Il leur a dit qu'il reviendrait mardi. Ils ont répondu que le papier serait prêt d'ici là. Nous avons quitté le consulat de bonne humeur et il s'est envolé pour Londres.

Hatice Cengiz se souvient que le 2 octobre, au contraire, a été une journée très éprouvante car son fiancé est entré au consulat saoudien et n'en est jamais ressorti. Elle précise que l'accueil chaleureux du personnel consulaire le 28 septembre a ravivé leur confiance et qu'ils ne s'attendaient pas à ce que les choses tournent mal lors du deuxième rendez-vous:

Le 2 octobre a été une journée très, très éprouvante. Je ne comprends toujours pas ce qui s'est passé et je ne peux pas non plus l'expliquer. Quand je repense à cette journée, je me demande si quelque chose ne nous a pas échappé ou si j'ai mal interprété certains détails. Il est revenu de Londres. Nous avons fait des projets pour le reste de la journée. Je ne savais pas qu'il comptait visiter le consulat saoudien dès son arrivée mardi. Je devais aller en cours, mais je lui ai quand même demandé s'il fallait que je l'accompagne au consulat. Il m'a dit qu'il irait avec un ami.

À ce moment-là, j'ai senti que je devais aller avec lui – que je ne devais pas le laisser seul. Il a immédiatement appelé le personnel consulaire et je crois que le fonctionnaire [saoudien] lui a dit qu'ils le recontacteraient le plus tôt possible. Ils ont téléphoné un peu plus tard pour lui annoncer qu'il pouvait venir à 13h. Nous avons pris un taxi pour nous rendre au consulat. Son langage corporel ne laissait entrevoir aucune inquiétude quant à cette deuxième visite.

Sachant que nous devions convenir d'une date pour notre mariage, nous avons prévu de dîner ensemble. J'ai demandé à entrer avec lui au consulat, mais [les Saoudiens] ont refusé. Nous connaissions la procédure d'inscription depuis le premier rendez-vous, alors [Jamal] m'a donné ses téléphones portables. Une longue attente s'en est suivie.

Lors d'un événement, M. Jamal avait attrapé la grippe et était tombé malade. Il m'avait invitée à cet événement, et nous avons passé beaucoup de temps à l'hôpital ce jour-là. Après notre sortie de l'hôpital, je lui ai demandé ce que je devais faire si quelque chose venait à lui arriver [en Turquie] où il n'avait ni famille ni amis. Je me demandais s'il pouvait me recommander une personne à contacter dans ce cas. Cela s'est produit quelques jours avant l'incident au consulat. Il m'a dit que je pouvais appeler Yasin [Aktay], qu'il considérait comme un vieil ami: "C'est la Turquie et tout ce qui se passe ici concerne les Turcs, donc Yasin est la meilleure personne à contacter."

Que les choses soient biens claires, Jamal ne m'a pas dit d'appeler Yasin Aktay si les choses tournaient mal au consulat. S'il m'avait demandé de prendre des mesures précises, cela supposerait qu'il était inquiet et que j'ai trop tardé à passer l'appel – que j'ai fait preuve d'extrême négligence. Il n'a pas rechigné [à l'idée d'entrer dans le consulat].

J'ai supposé que Jamal s'entretenait avec [le personnel consulaire] qui se demandait probablement ce qu'il avait fait après avoir quitté son pays natal. Je me suis dit qu'il y régnait une atmosphère amicale. Son attitude m'a portée à le croire. Si j'avais pressenti que le consulat saoudien complotait contre [Jamal], je me serais précipitée dans le bâtiment. J'ai attendu longtemps. J'ai pensé: "Qu'ils discutent aussi longtemps qu'ils le désirent, pourvu qu'ils lui donnent ses papiers." Je n'ai pas pensé une seule seconde qu'il y avait un problème.4


Jamal Khashoggi, dont la fiancée n'était pas inquiète et attendait son retour avec impatience, ne reviendrait jamais. Car il avait été victime d'un crime sans précédent. Un escadron de la mort, dont la plupart des membres s'étaient rendus en Turquie à bord d'un jet privé, était responsable de ce meurtre.



Les lourds secrets derrière le meurtre

Assassins à bord de jets privés


Le 8 octobre, soit 6 jours après le meurtre, il ne faisait aucun doute que les assassins avaient déjà démembré le corps de Jamal Khashoggi et fait évacuer sa dépouille dans un fourgon aux fenêtres teintées5. Toutefois, le 10 octobre, notre journal Sabah a annoncé que des représentants du gouvernement saoudien étaient responsables de la mort de Khashoggi. L'article présentait des informations importantes sur l'arrivée des 15 membres de l'escadron de la mort qui ont tué le chroniqueur du Washington Post. Voici l'histoire décrite à ce moment là par les auteurs de ce livre:

Sabah révèle le moment et l'avion à bord duquel les mystérieux individus, dont les autorités soupçonnent l'implication dans la disparition et la mort de Jamal le mardi 2 octobre, sont arrivés au consulat d'Arabie Saoudite à Istanbul.

Le 2 octobre, deux jets d'affaires Gulfstream IV ont décollé de la capitale saoudienne Riyad et se sont posés à l'aéroport Atatürk – l'un avant et l'autre après que Khashoggi est entré dans le consulat général.

Les autorités ont établi que les deux avions appartenaient à Sky Prime Aviation, une compagnie basée à Riyad et collaborant depuis de nombreuses années avec le gouvernement saoudien. Selon le manifeste de vol obtenu par Sabah, le premier jet transportait 9 passagers et le second 6 passagers. Au total, 7 membres d'équipage ont servi à bord de ces vols.

D'après les informations recueillies par l'unité spéciale de renseignement de Sabah auprès de sources dignes de confiance, l'avion portant l'immatriculation HZ SK2 a atterri à l'aéroport de Atatürk à (suite dans le livre)
HRM-BUSAUVAGERIE
24 €