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En 1945, des manuscrits (révolutionnaires pour le christianisme) ont refait surface en Egypte, à Nag Hammadi. Mais depuis leur découverte, une sorte de voile a recouvert leur contenu puisque seuls les spécialistes et les passionnés les connaissent. Pourtant, leur importance est capitale, car ils complètent les quatre évangiles de Marc, Jean, Matthieu et Luc. Il a fallu le film Stigmata et le livre le Code de Vinci, pour que le monde découvre la présence de Marie-Madeleine auprès du Christ. Le Jardin des Livres est très fier d'éditer enfin le travail du Professeur James Robinson, le grand spécialiste mondial.
MANUSCRITS
DE NAG HAMMADI
volume 1
L'ÉVANGILE DE MARIE-MADELEINE
L'APOCALYPSE DE JACQUES
L'ÉVANGILE DE THOMAS
L'ÉVANGILE DE PHILIPPE
LE DIALOGUE DU SAUVEUR
EUGNOSTE LE BIENHEUREUX
et
LA SOPHIA DE JESUS CHRIST
« Dans ce monde, ceux qui mettent des vêtements sont meilleurs que les vêtements.
Dans le royaume des cieux, les vêtements sont meilleurs que ceux qui les ont revêtus ».
Évangile de Philippe
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plus de 1400 pages à lire
traduction française
© Le Jardin des Livres 2008
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Le Seigneur aimait cette femme [Marie-Madeleine] plus que tous les autres disciples et avait l'habitude de l'embrasser souvent.
Évangile de Philippe
Si tu es né d'un être humain, c'est l'être humain qui t'aimera.
Si tu deviens un esprit, c'est l'esprit qui se joindra à toi.
Si tu deviens pensée, c'est la pensée qui frayera avec toi.
Si tu deviens lumière, c'est la lumière qui s'associera avec toi.
Évangile de Philippe
« Car ce qui entre dans votre bouche ne vous salira pas, mais c'est ce qui sort de votre bouche, c'est cela qui vous salira ».
Évangile de Thomas
Signes textuels
Les petits traits ( verticaux, en indice ) indiquent les divisions de lignes dans le manuscrit. Toutes les cinq lignes, un chiffre est inséré à la place d'un trait  nombres peut toutefois varier dans les traités qui sont très fragmentaires. Une nouvelle page est indiquée par un chiffre en gras. Quand la division d'une nouvelle ligne ou page coïncide avec le début d'un nouveau paragraphe, le chiffre ou trait est placé à la fin du paragraphe précédent. Parfois, les chiffres en gras indiquent la seule division des pages dans le manuscrit.
[ ] Indique une lacune dans le manuscrit. Les crochets ne sont pas employés pour diviser un mot, sauf pour les mots avec trait d'union ou un nom propre1. Certains mots sont ou ne sont pas placés entre crochets, en fonction des certitudes par rapport au mot copte et au nombre de lettres visibles.
[...] Quand le texte ne peut pas être reconstitué, quelle que soit la lacune, trois petits points sont insérés entre les crochets  un quatrième point, si nécessaire, indique le point final.
... Dans quelques cas, trois petits points sans crochets indiquent une série de lettres coptes qui ne constituent pas une unité de sens traduisible.
< > Indique une correction due à une erreur ou à une omission du scribe. Soit le traducteur a inséré des lettres omises involontairement par le scribe  des lettres ( insérées à tort ) par ce que le scribe désirait probablement écrire.
{ } Indique des lettres ou mots superflus ajoutés par le scribe.
( ) Indique un ajout de l'éditeur ou du traducteur, y compris du traducteur français. Bien que ces ajouts ne reflètent pas directement le texte traduit, il offre une information utile au lecteur.
INTRODUCTION
Pr. James M. Robinson
~ 1 La place des textes
La bibliothèque de Nag Hammadi est une collection de textes variant largement quant aux auteurs, dates et aux lieux où ils ont été écrits. Les points de vue exposés divergent à un tel degré que l'on considère que ces textes ne proviennent pas d'un seul groupe ou mouvement.
Pourtant, ces documents diversifiés devaient avoir quelque chose en commun puisque ceux qui les ont rassemblés les ont choisis. Les collecteurs ont sans aucun doute contribué à cette unité en y trouvant des sens cachés que les auteurs originaux n'avaient pas pleinement considérés. Après tout, L'Évangile de Thomas débute avec une phrase adressée aux sages : « Celui qui trouvera l'interprétation de ces paroles n'expérimentera pas la mort ».
Ainsi les textes peuvent être lus selon deux niveaux : ce que l'auteur original avait l'intention de communiquer et ce que les textes voulaient ultérieurement transmettre. Les idées directrices à la base de leur réunion sont un éloignement de la masse humaine, une affinité avec un ordre idéal qui transcende totalement la vie telle que nous la connaissons, et un style de vie radicalement différent de l'usage commun. Le style de vie par exemple, impliquait d'abandonner tous les dieux auxquels les gens aspiraient habituellement et de désirer l'ultime libération.
Ce n'est pas une révolution agressive qui est désirée, mais plutôt le retrait d'une participation à la contamination qui détruit la clarté de la vision. Dans ce cadre, les idées directrices de cette bibliothèque ont bien des choses en commun avec le christianisme primitif, avec la religion orientale et avec les « hommes saints » ( et les femmes ) de tous temps, et avec des équivalents contemporains plus séculaires, comme les mouvements de contre-culture des années 60.
Le détachement des dieux d'une société de consommation, se retirer dans des communautés de pensée à l'écart des grandes villes où règnent l'agitation et le désordre, la non-implication dans les compromis politiques, le partage d'un savoir de groupe, tant sur un idéal que sur la course au désastre culturel et l'alternative radicale généralement non connue, tout cet ensemble sous des atours modernes est la véritable contestation enracinée dans les documents de la bibliothèque de Nag Hammadi.
Pour être exact, ces racines, aussi fascinantes et provocantes soient-elles, peuvent également être déconcertantes et même frustrantes, non seulement pour ce qu'elles ont à dire à la personne peu ouverte, mais aussi pour la personne plus attentive qui cherche à suivre la petite lumière luisant faiblement à travers le flux du langage. Car l'essentiel de Nag Hammadi a été maltraité et fragmenté par le processus historique qui l'a mis au jour. Une opération de sauvetage est donc aujourd'hui nécessaire à de nombreux niveaux si on veut clairement comprendre son essence.
La mythologie et les anciennes traditions religieuses et philosophiques étaient les seules choses disponibles pour exprimer ce qui était, en fait, une position plutôt peu traditionnelle. En réalité, elle était trop radicale pour s'établir au sein des religions organisées ou des écoles philosophiques de l'époque  capable de l'emporter sur les institutions éducatives d'une culture afin de développer et clarifier ses implications.
Les écoles gnostiques ont commencé à émerger dans le christianisme et le néoplatonisme jusqu'à ce que les deux s'accordent finalement pour les exclure comme une « hérésie » du gnosticisme. Ainsi, les formulations philosophiques et les mythes significatifs et éloquents de cette position radicale sont, à leur tour, devenus des traditions confuses, réutilisées par des auteurs ultérieurs et moindres, et dont les versions mitigées, pour ne pas dire troubles, ne peuvent pas avoir été les principales de ce qui a survécu ( bien qu'il y ait de nombreux « classiques » dans la bibliothèque de Nag Hammadi ).
Les textes furent traduits en copte, un par un, à partir du grec, et pas toujours par des traducteurs aptes à saisir la profondeur ou la beauté de ce qu'ils cherchaient à traduire. Le traducteur d'un bref fragment de La République de Platon n'a visiblement pas compris le texte, bien qu'il paraissait de toute évidence édifiant et méritait d'être traduit. Heureusement, la plupart des textes sont mieux traduits, mais quand il s'agit de reproduction, chacun peut sentir la différence entre une bonne et une médiocre traduction – ce qui amène à s'étonner sur la majeure partie des textes qui existent sous une seule version.
Le même genre de risque existe dans la transmission des textes par une série de scribes qui les ont recopiés, génération après génération, à partir de copies de plus en plus corrompues, d'abord en grec puis en copte. Le nombre d'erreurs involontaires est difficilement estimable, puisqu'il n'existe pas de contrôle des copies en tant que tel  pas non plus, comme dans le cas de la Bible, quantité de manuscrits pour un même texte qui permette de les corriger en les comparant les uns aux autres. Il ne peut être corrigé quand l'erreur est détectable, en tant que telle, dans l'unique copie que nous possédons.
S'ajoute à cela la détérioration physique des livres eux-mêmes, qui a sans aucun doute débuté avant qu'ils ne soient enfouis vers 400, et qui s'est poursuivie durant leur enfouissement. Malheureusement, elle n'a même pas été stoppée entre leur découverte en 1945 et leur conservation définitive quelques 30 ans plus tard. Quand il ne manque que quelques lettres, elles peuvent souvent être restituées convenablement, mais les lacunes plus importantes doivent simplement rester des espaces vides.
Le lecteur ne doit pas être induit en erreur par de tels obstacles à la compréhension, en pensant que la position inhérente à ces essais ne mérite pas une considération sérieuse. Au contraire, nous sommes ici en présence d'une compréhension de l'existence, d'une réponse au dilemme humain, d'une attitude envers la société qui sont dignes d'être prises au sérieux par toute personne capable et désireuse de débattre de ces ultimes questions. Cette position basique n'a été, jusqu'ici, presque exclusivement connue que par la vision myope des chasseurs d'hérésie, qui font souvent des citations uniquement pour mieux les réfuter ou les ridiculiser. Ainsi, la découverte de la bibliothèque de Nag Hammadi offre un accès inattendu à la position gnostique, présentée par les gnostiques eux-mêmes. Elle pourrait offrir de nouvelles racines aux déracinés.
Ceux qui rassemblèrent ces livres étaient des chrétiens, et nombre de ces essais furent à l'origine composés par des chrétiens. Dans un sens cela ne devrait guère être surprenant, puisque le christianisme primitif était lui-même un mouvement radical. Jésus demandait un total changement de valeurs, préconisant, comme nous l'avons appris, la fin du monde et son remplacement par un style de vie plutôt nouveau et utopique dans lequel l'idéal serait réel. Il adopta une position plutôt indépendante vis à vis des autorités de l'époque... et ne perdura pas très longtemps avant qu'elles ne l'éliminent.
Pourtant, ses disciples réaffirmèrent sa position : pour eux, il était venu pour personnifier le but ultime. Néanmoins, parmi les plus pragmatiques de son cercle, certains suivirent un mode de vie plus conventionnel. Petit à petit, le cercle devint une organisation établie ayant pour souci assez naturel de maintenir l'ordre, la continuité, les voies de l'autorité et la stabilité. Mais ce souci pouvait encourager une obligation au statu quo, en concurrençant et en l'emportant parfois sur l'obligation du but ultime, bien au-delà de toute réalisation. Ceux qui nourrissaient le rêve radical, l'espoir ultime, pourraient avoir tendance à l'abandonner en le comparant injustement avec ce qui avait été réalisé, et ainsi paraître déloyaux et constituer une sérieuse menace à l'organisation.
Au fil du temps et avec le changement d'environnement, la situation culturelle se modifia, et le langage qui exprimait une telle transcendance, radicale, subit aussi des changements. Le monde de pensée d'où provenait Jésus et ses premiers disciples était la piété populaire de la synagogue juive, mise au point selon les termes du rite de passage de Jean le Baptiste à partir de l'ancien régime pour le nouveau monde idéal dont l'avènement dramatique allait se produire prochainement.
Dans ce mode de pensée, le système du mal qui prévaut n'est pas la façon dont les choses existent intrinsèquement. En principe, et même si cela n'existe pas dans la pratique, le monde est bon. Le mal qui s'est propagé à travers l'histoire est un fléau, tel un étranger au monde. Mais pour certains, la vie s'annonçait de plus en plus sombre  origine du monde était attribuée à une faute terrible, et on donna au mal le statut de dirigeant suprême, pas simplement comme une usurpation de l'autorité. Le seul espoir semblait donc résider dans la fuite.
Parce que les hommes, ou du moins certains, ne sont pas, au fond, le produit de ce système absurde, et parce que par leur nature même, ils appartiennent au Suprême. Leur situation désespérée résidait dans le fait d'avoir été dupés, leurrés et pris dans un piège qui consistait à essayer d'être satisfait d'un monde impossible, à l'écart de leur véritable patrie. Et pour certains, se concentrer sur l'intériorité sans être détournés par des facteurs extérieurs est devenu la seule manière d'atteindre la paix, la vue d'ensemble, et la fusion dans le Tout qui est la destinée de l'étincelle du divin en chacun.
Par conséquent le gnosticisme chrétien émergea comme une réaffirmation de la position originale, bien qu'en des termes quelque peu différents, sur la transcendance au cœur des débuts du christianisme. Ces chrétiens gnostiques se considérèrent sûrement comme la continuation fidèle, dans des circonstances changeantes, de cette position originale qui fit des chrétiens... des Chrétiens.
Mais les termes quelque peu différents dans des circonstances changeantes impliquaient aussi des divergences réelles : d'autres chrétiens ont clairement considéré le gnosticisme comme une trahison de la position originale chrétienne. C'était la conviction de ceux qui s'étaient adaptés au statu quo, mais également, et sans nul doute, de certains qui retenaient la force de la protestation originale et l'espoir ultime.
Le fait de se départir du langage original pourrait être exploité pour unir l'opposition à travers l'ampleur de l'église. Ainsi, les gnostiques en vinrent à être exclus de l'Église en tant qu'hérétiques. D'ailleurs, dans le Nouveau Testament, deux de ces gnostiques furent reniés au début du IIe siècle ( 2 Timothée 2:16-18 ).
Évite les bavardages vides et verbeux  de plus en plus loin sur les routes impies, et leur enseignement contaminateur s'étendra comme une gangrène. Tels sont Hyménée et Philétos  loin de la vérité en disant que notre résurrection a déjà eu lieu, et ils bouleversent la foi des gens.
Ce point de vue ( la résurrection a déjà eu lieu comme une réalité spirituelle ) se trouve dans Le Traité de la résurrection, L'Exégèse de l'âme et L'Évangile de Philippe, textes qui appartiennent à la bibliothèque de Nag Hammadi ! Mais celle-ci décrit de manière précise que le rejet était mutuel : celui que les chrétiens décrivent comme « hérétique » ressemble d'avantage à celui qui est habituellement considéré comme « orthodoxe ». Dans L'Apocalypse de Pierre, Jésus critique le principal courant du christianisme comme suit :
Ils se diviseront pour le nom d'un homme mort, en pensant qu'ils deviendront purs. Mais ils deviendront très profanes et tomberont dans l'erreur, entre les mains d'un homme mauvais et fourbe et dans un dogme multiple, et ils seront dirigés de manière hérétique. Car certains d'entre-eux blasphémeront la vérité et proclameront l'enseignement néfaste. Et ils diront des choses mauvaises à l'encontre des uns et des autres... Mais bien d'autres, qui s'opposent à la vérité et sont les messagers de l'erreur, instaureront leur erreur et leur loi contre ces pensées pures qui sont miennes, comme cherchant depuis une unique ( perspective ), pensant que le bien et le mal proviennent d'une unique ( source ). Ils font des affaires en mon nom... Et il y en aura d'autres parmi ceux qui sont en dehors de nos effectifs qui se nomment eux-mêmes évêque et aussi diacre, comme s'ils avaient reçu l'autorité de Dieu. Ils se plient au jugement des dirigeants. Ces gens sont des canaux asséchés.
Avec la conversion de l'empire romain au christianisme d'un genre plus conventionnel, les chances de survie du christianisme gnostique, tel que reflété par la bibliothèque de Nag Hammadi, furent nettement réduites. L'évêque de Chypre, Epiphane, dont le principal ouvrage était une « boîte à remèdes » contre toutes les hérésies2, décrit sa rencontre avec le gnosticisme en Égypte, à l'époque où la bibliothèque de Nag Hammadi a été constituée :
Me trouvant au contact de cette bien-aimée secte, l'on m'enseigna ces choses en personne, de la bouche même des gnostiques pratiquants.
Ce ne furent pas seulement les femmes se faisant cette illusion qui m'offrirent matière à discussion et me divulguèrent ce genre de choses. Avec une audace impudente qui plus est, ils tentèrent de me séduire...
Mais le Dieu miséricordieux me délivra de leur faiblesse, et ainsi – après les avoir étudiés et après avoir lu leurs livres, comprenant leur véritable intention et n'étant pas entraîné avec eux, et après en avoir réchappé sans mordre à l'hameçon – je ne perdis pas de temps à les signaler aux évêques et à trouver lesquels étaient cachés dans l'église. Ainsi ils furent expulsés de la ville, environ 18 personnes, et la ville fut débarrassée de leur croissance épineuse comme de l'ivraie.
Le gnosticisme fut finalement éradiqué de la chrétienté, hormis des mouvements clandestins occasionnels, quelques parentés dans le mysticisme médiéval et un faible écho épisodique resté dans la limite des convenances, dans le romantisme anglais par exemple :
Notre naissance n'est que sommeil et oubli :
L'Âme qui s'élève avec nous, notre Étoile de vie,
Venait d'autre part
D'un lointain théâtre.
...
Le monde est avec
nous, trop bien 
Recevant et
dépensant, nous dévastons nos pouvoirs.
Ce gnosticisme fut aussi
capable de perdurer au delà des frontières de l'empire
romain devenu la chrétienté. Il existe toujours à
l'heure actuelle dans la région de l'Iraq et l'Iran déchirée
par la guerre, sous la forme d'une petite secte, les Mandéens,
mot qu'ils emploient pour désigner les « connaisseurs »,
c'est-à-dire les gnostiques.
Ce même repli sur
soi, ou désespoir du monde, à partir duquel émergea
la position gnostique, balaya non seulement le premier christianisme
pour produire le gnosticisme chrétien, mais aussi l'antiquité
tardive en général, produisant ainsi des formes de
gnosticisme en dehors du christianisme.
Un débat de
longue date existe parmi les historiens des religions afin de
déterminer si le gnosticisme doit être considéré
comme un développement interne au christianisme ou comme un
mouvement plus large, donc indépendant du christianisme, voire
antérieur. Ce débat semble se résoudre de
lui-même sur la base de la bibliothèque de Nag Hammadi :
elle plaide en faveur d'une compréhension du gnosticisme en
tant que phénomène plus large que le gnosticisme
chrétien présenté par les hérésiologues.
Pour commencer, se pose
la question du gnosticisme juif. Il semblerait, aux yeux des
« hérésiologues », qu'il existe
une notable vérité historique en ce sens, c'est-à-dire
que certaines hérésies gnostiques remontent au sectes
juives. Après tout, le christianisme lui-même a grandi
au sein du judaïsme, et il serait
surprenant qu'il n'ait pas reflété divers tendances du
judaïsme de l'époque.
Le christianisme
primitif n'était pas lui-même un mouvement unifié.
Le christianisme juif de la première génération
en Galilée qui développa l'ensemble de dictons issus
des évangiles de Matthieu et Luc pourrait bien avoir été
considéré comme hérétique par Paul et les
hellénistes, et ce sentiment pourrait avoir été
mutuel. Paul rejeta clairement comme hérétiques les
« judaïsants » chrétiens. Plus tard
au cours du Ier siècle, les divers fils du
christianisme juif furent exclus du judaïsme, en tant que
judaïsme « normatif » apparu en réaction
à la trahison de l'identité juive posée par la
destruction de Jérusalem en 70.
Certains des essais
gnostiques de la bibliothèque de Nag Hammadi ne paraissent pas
refléter la tradition chrétienne, car fondés sur
l'Ancien Testament, qui était aussi la Bible juive. Néanmoins,
l'idée même du gnosticisme juif est parfois rejetée
en raison d'une contradiction dans les termes. Comment les juifs
pourraient-ils qualifier leur Dieu de force malveillante dont
l'impair malencontreux a donné naissance au monde, un Dieu qui
était ignorant du bien caché au delà de
lui-même ?
Puisque les chrétiens
vénèrent le même Dieu que les juifs, cet argument
pourrait tout aussi bien être employé à
l'encontre de l'idée même du gnosticisme chrétien.
Mais comme les premiers chasseurs d'hérésie
assimilèrent clairement les gnostiques à des chrétiens
( des chrétiens hérétiques selon eux,
évidemment ) le concept de « gnosticisme
chrétien » est fermement établi. Pour
employer une autre analogie, Simon le Mage, l'un des premiers
gnostiques connus, venait de Samarie, bien que les samaritains
vénérassent à leur propre manière le même
Dieu que les chrétiens et les juifs.
De là, le concept
du gnosticisme juif est intelligible, même si, selon un point
de vue normatif, la validité de l'emploi du mot juif, chrétien
ou samaritain pour telle personne ou tel texte pourrait être
contestée. Bien évidemment, nous ne connaissons pas les
gnostiques qui érigèrent des traditions sur l'Ancien
Testament, la Bible juive, autrement que par les textes contenant ces
traditions 
gnosticisme juif ) a à l'esprit des traditions
culturelles juives manquant de revêtement chrétien
visible ( sans plus d'identification des porteurs de ces
traditions ).
La découverte des
manuscrits ( ou rouleaux ) de la mer Morte a d'ores et déjà
attiré l'attention sur le fait que le judaïsme du Ier
siècle faisait preuve de pluralisme dans ses positions
théologiques, et contenait nombre de groupes divergents ou
sectes. Les Esséniens, avant la découverte des
manuscrits de la mer Morte, étaient dans une situation assez
similaire à celle des gnostiques avant la découverte
des textes de Nag Hammadi : c'était aussi un mouvement
sur lequel on ne savait presque rien pour le traiter avec le sérieux
qu'il méritait.
A présent, nous
savons que les Esséniens étaient une secte juive qui
avait rompu avec le judaïsme officiel
du Temple de Jésuralem et qui s'était retirée
dans le désert le long du wâdî Qumram. Ils
interprétèrent leur situation selon les termes de
l'antithèse de la lumière et de l'obscurité, de
la vérité et du mensonge, dualisme qui finalement
remontait au dualisme perse, et qui ensuite progressa vers le
gnosticisme.
L'histoire du
gnosticisme, présentée dans la bibliothèque de
Nag Hammadi, commença à peu près là où
s'arrête l'histoire des Esséniens présentée
par les manuscrits de la mer Morte. Les traditions mystiques juives
suivantes, retracées en particulier par Gershom Scholem, ont
montré que, bien que paraissant inconsistantes, les tendances
gnostiques continuèrent à entretenir une existence
clandestine dans un contexte de judaïsme normatif.
La bibliothèque
de Nag Hammadi a démontré que certains traits,
auparavant considérés comme caractéristiques du
gnosticisme chrétien, étaient à l'origine non
chrétiens, bien qu'un élément juif soit aisément
reconnaissable.
Irénée
présente Barbélo comme un personnage mythologique
majeur d'un groupe gnostique chrétien appelé les
« barbélognostiques ». Mais Les Trois
Stèles de Seth est un texte gnostique sans élément
chrétien qui n'attribue néanmoins pas d'éminente
position à Barbélo. Hyppolyte cite une certaine
« Paraphrase de Seth » comme un texte
gnostique. Cependant, un texte très similaire de Nag Hammadi,
intitulé La Paraphrase de Shem, présente une
absence d'élément chrétien.
Il est certes
compréhensible que les hérésiologues aient eu
pour principal souci de réfuter la forme chrétienne des
textes et mouvements gnostiques. Mais cela n'indique pas pour autant
que la forme chrétienne était la forme originale, en
particulier quand la découverte de Nag Hammadi fournit des
preuves à l'appui d'une forme non-chrétienne.
Autre exemple
comparatif, qui n'est pas nécessairement gnostique dans ce
cas, avec le récit mythologique de la naissance dans
l'Apocalypse, que les commentateurs ont eu les plus grandes
difficultés à faire dériver des histoires sur la
naissance de Jésus. L'Apocalypse d'Adam offre en
revanche une suite de narrations sur l'arrivée du sauveur
présentant à peu près la même idée
générale et montrant ainsi un arrière-plan
mythologique partagé et qui n'est pas chrétien.
Ce sont surtout les
textes séthiens de Nag Hammadi qui, en tant que groupe,
attestent d'un gnosticisme non-chrétien ce qui n'avait pas été
démontré auparavant de manière si claire. Le
corpus séthien couvre la transition du gnosticisme
non-chrétien au christianisé, comme l'a résumé
le principal expert du séthianisme : « La
plupart des écrits de notre groupe de textes ne contiennent
aucun élément chrétien ( Les
Trois stèles de Seth, Allogène, Marsanès, La
Pensée de Noréa ) 
contiennent très peu de motifs chrétiens ( Zostrien,
L'Apocalypse d'Adam ) ou contiennent ici et là
un vernis chrétien ( Protennoia
trimorphe, L'Évangile des Egyptiens ) 
pendant que seulement quelques uns ( L'Hypostase
des archontes, Melchisédech,
L'Apocryphon de Jean )
s'approchent de ce qui est appelé la gnose chrétienne ».
Dans aucun de ces cas
séthiens on ne peut faire remonter les textes ou leur
mythologie, d'une tradition chrétienne principale. Car
l'élément chrétien semble si extérieur à
l'idée directrice du texte que l'on tend à penser qu'il
fut ajouté par un éditeur, traducteur ou scribe
chrétien à ce qui avait été, à
l'origine, composé comme un texte non-chrétien, même
si les formes originales n'existent plus. Par exemple, la Protennoia
trimorphe, où un christianisant secondaire a pris place,
n'a cependant pas ses racines dans la même spéculation
de sagesse juive que le fait le prologue de L'Évangile de
Jean.
Fait partie de cette
tendance christianisante ce scribe qui attribue au « Livre
sacré du Grand Esprit Invisible » un second
titre qui est « L'Évangile des Égyptiens ».
Ainsi, on conclut que, malgré le fait que le corpus séthien
ait été visiblement employé par les chrétiens
( tout comme l'étaient des textes non-chrétiens
comme l'Ancien Testament ), il provient du gnosticisme « juif »
non-chrétien.
La bibliothèque
de Nag Hammadi présente même un cas de processus
christianisant ayant quasiment eu lieu sous nos yeux. Le traité
philosophique non-chrétien Eugnoste le Bienheureux est
coupé plutôt arbitrairement en différents
discours, qui sont mis dans la bouche de Jésus, en réponse
aux questions ( qui parfois ne correspondent pas parfaitement
aux réponses ) que les disciples lui adressent lors de
son apparition résurrectionnelle. Le résultat est un
traité distinct intitulé La Sophia de Jésus
Christ. Les deux formes du texte existent côte à
côte dans le Codex III.
Certains textes de Nag
Hammadi, et souvent même les traditions séthiennes,
semblent avoir influencé une orientation philosophique et
néoplatonique. Plotin, le principal néoplatonicien du
IIIe siècle, se réfère en fait aux
gnostiques dans son école : « Nous
ressentons une certaine considération pour certains de nos
amis qui sont arrivés à cette manière de penser
avant qu'ils ne deviennent nos amis, et, bien que je ne sache pas
comment ils y ont réussi, continuent dans cette voie ».
Mais l'école se retourna contre le gnosticisme, comme
l'indiquent les polémiques de Plotin. Son élève
ou disciple Porphyre, déclare dans sa Vie de Plotin :
A son époque
il y avait beaucoup de chrétiens et d'autres, et des sectaires
qui avaient abandonné l'ancienne philosophie, des hommes ...
qui ... rapportèrent des révélations de
Zoroastre et Zostrien et Nicothée et Allogène et Messos
et d'autres gens de ce genre, déçus eux-mêmes et
en en décevant beaucoup, alléguant que Platon n'avait
pas pénétré les profondeurs de la réalité
intelligible.
Plotin attaqua alors
souvent leur position dans ses lectures, et écrivit le traité
auquel nous avons donné le titre ''Contre les gnostiques'' 
il nous le laissa pour évaluer ce qu'il avait passé
sous silence. Amélius alla jusqu'à 40 volumes en
écrivant contre le livre de Zostrien.
La bibliothèque
de Nag Hammadi contient des traités ayant ces deux titres,
Zostrien et Allogène, qui, par conséquent,
pourraient bien être ceux que réfutaient Amélius
et les néoplatoniciens. Et les textes tels que la Protennoia
trimorphe et Marsanès sont assez similaires dans
leur orientation philosophique. La propre attaque de Plotin au sujet
des « chants magiques » adressés
aux « puissances supérieures »
pourrait avoir eu à l'esprit des textes de cantiques comme Les
Trois stèles de Seth. Ainsi, la bibliothèque de Nag
Hammadi apporte une importante contribution non seulement à
l'histoire des religions, mais aussi à l'histoire de la
philosophie.
La bibliothèque
de Nag Hammadi contient également une documentation propre à
retracer d'autres traditions religieuses que l'héritage
judéo-chrétien. Il existe par exemple des textes
hermétiques qui sont établis sur la tradition
égyptienne. De manière typique, ils présentent
des dialogues d'initiation entre les divinités Hermès
Trismégiste et son fils Tât. Le Discours sur le
Huitième et le Neuvième dans la bibliothèque
de Nag Hammadi est un de ces textes hermétiques auparavant
inconnu. Et même si l'on pourrait débattre pour
déterminer quels textes sont ou ne sont pas gnostiques,
quelques uns, comme Les Phrases de Sextus, ne sont visiblement
pas gnostiques. Mais, exactement comme une interprétation
gnostique de la Bible est possible, l'on peut aussi supposer que ces
maximes moralistes sont conformes à une orientation gnostique.
Puisque la bibliothèque
de Nag Hammadi semble avoir été réunie en termes
de gnosticisme chrétien, il est parfois difficile de concevoir
que certains des textes, comme les textes hermétiques, ont été
utilisés par des personnes qui se pensaient elles-mêmes
chrétiennes. L'un des textes revendique même un héritage
zoroastrien, il est attribué en cela à son grand-père
( ou peut-être son oncle ) Zostrien, et mentionne
encore Zoroastre dans un cryptogramme.
Pourtant les gnostiques
étaient plus œcuméniques et
syncrétiques au regard des traditions religieuses que ne
l'étaient les chrétiens orthodoxes, aussi longtemps
qu'ils trouvaient en elles une attitude sympathique envers la leur.
S'ils pouvaient identifier Seth à Jésus, ils pouvaient
probablement aussi bien donner des interprétations
christianisantes d'Hermès et Zoroastre. Ainsi le gnosticisme
semble ne pas avoir en son essence juste une forme alternative du
christianisme. C'était plutôt une position radicale
quant à la délivrance d'une domination du mal ou d'une
transcendance intérieure, position qui s'étendit à
travers l'Antiquité tardive et émergea dans le
christianisme, le judaïsme, le
néoplatonisme, l'hermétisme et leurs semblables. En
tant que nouvelle religion elle était syncrétique,
retraçant divers héritages religieux. Mais elle se
maintenait par une position très catégorique, là
où l'unité au milieu d'une large diversité doit
être recherchée.
~ 2 Les
manuscrits
La bibliothèque
de Nag Hammadi est importante pour le contenu de nombreux ouvrages
grecs perdus qu'elle a préservé dans une traduction
copte. Elle apporte aussi un éclairage sur la production de
livres coptes, et donc sur ceux qui les ont copiés, lus et
enfouis. La bibliothèque consiste en 12 livres, plus 8
feuilles ôtées d'un 13e livre dans
l'Antiquité tardive et plaquées contre la couverture du
6e.
Ces 8 feuilles
comportent un texte entier, un traité indépendant pris
d'un livre réunissant des essais. En fait, chacun des livres,
sauf le 10e, consiste en une collection
d'œuvres relativement brèves. Il y a ainsi un
total de 52 traités. Puisqu'un livre en contient
habituellement plusieurs, on pourrait suspecter, comme pour les
livres de la Bible, que les textes furent composés en ayant à
l'esprit l'adoption d'un petit format, mais qu'un plus grand format
fut adopté à l'époque où nos copies
précises furent réalisées. Ceci est explicable
en termes de l'histoire de la manufacture des livres.
Le rouleau était
la forme habituelle d'un livre jusqu'aux premiers siècles
après JC., quand il commença à être
remplacé par un format plus économique qui permit
d'écrire sur les deux faces, à savoir le livre moderne
avec ses feuilles individuelles. Techniquement parlant, un livre à
l'étude est un rouleau ou un volumen ( du
verbe latin rouler ). Mais un livre sous la forme d'un livre
moderne est un codex ( des codices, au pluriel ),
mot latin pour un ensemble de tablettes en bois enduites de cire et
reliées ensemble, tel un solide calepin ou bloc-notes, ancêtre
du livre avec des feuilles de papyrus, de parchemin ou de papier.
Tandis que les
œuvres littéraires continuèrent à
être écrites sous forme de rouleaux, plus prestigieux,
les chrétiens ( mais pas les juifs ) en arrivèrent
à préférer le codex, plus économique et
plus pratique que le rouleau, comme le sait toute personne ayant eu
l'occasion de travailler sur des microfilms. L'incommodité et
l'usure dans le déroulement et le ré-enroulement du
rouleau chaque fois que l'on veut reprendre une lecture ou rechercher
une référence mena au remplacement du rouleau par le
codex, tout comme l'on a aujourd'hui tendance à préférer
les microfiches plutôt que les microfilms pour la conservation
et, surtout, la consultation des rouleaux.
En Égypte,
le matériau le plus commun pour l'écriture était
le papyrus. La tige triangulaire du papyrus ( plante ) est
pleine d'une substance fibreuse qui peut être coupée ou
épluchée en de longues bandes fines. Ces bandes sont
posées côte à côte et une seconde couche
est placée dessus à angles droits. Quand cet assemblage
est mis sous presse, séché, et poli il devient une
surface flexible, douce et résistante pour écrire.
Alors que ces surfaces n'étaient habituellement que d'environ
20 cm de long, celles qui furent employées dans la
bibliothèque de Nag Hammadi faisaient souvent plus d'un mètre.
Cette prouesse technologique pour l'époque indique
l'importance que ces livres revêtaient pour ceux qui les ont
manufacturés.
Une série de
surfaces étaient placées côte à côte
de manière à se chevaucher de quelques centimètres
pour être collées ensemble. Le résultat était
un rouleau de papyrus, souvent de 3 mètres de long. Des
feuilles allant de 20 à 40 cm de large étaient
découpées dans ces rouleaux, depuis l'extrémité
droite jusqu'à la gauche. Suffisamment de rouleaux étaient
ainsi coupés pour produire une pile de 20 à 40
feuilles, qui, pliées au milieu, forment le cahier d'un codex.
Le fait que 2 à 6 rouleaux étaient employés pour
fabriquer un seul codex permet de comprendre le fait qu'un seul
puisse contenir plus d'un texte, si chaque texte avait été
au départ composé avec à l'esprit la taille d'un
rouleau.
Puisque chaque bande de
papyrus possède une disposition fibreuse aussi caractéristique
qu'une empreinte digitale, les livres de la bibliothèque de
Nag Hammadi les plus fragmentaires furent réassemblés
en localisant la position des fibres d'un fragment, ou page, sur la
feuille de papyrus original fabriquée à partir de
bandes de papyrus. Ensuite, sa position dans le rouleau, puis sa
position dans le codex, pouvaient être calculée.
Le Musée copte du
Caire, où est conservée la bibliothèque de Nag
Hammadi, a assigné un nombre à chaque livre. A cette
époque, l'on pensait que la numérotation suivait
l'ordre selon lequel ils avaient été publiés, ce
qui reflète un jugement de valeur quant à leur
importance et leur état de conservation. Seul le 4e
livre très fragmentaire est une exception à cette
tendance – sa place assez importante lui fut attribuée
parce que les deux traités qu'il contient sont des copies de
textes dans le 3e livre.
Par commodité de
référencement, les traités sont numérotés
de manière consécutive au sein de chaque livre. Bien
que les systèmes de numérotation utilisés pour
les livres, les traités et même les pages aient
largement varié au cours des générations
passées, la numérotation employée ici est celle
du Musée copte et de L'Edition en fac-similé des
Codices de Nag Hammadi, et devrait de là remplacer les
anciennes numérotations.
Des 52 traités, 6
qui sont dupliqués ( III,1 
2 ; V,1 ; XII, 2 
ne figurent pas dans ce livre puisqu'il existe une meilleure copie
déjà incluse. Six autres existaient déjà
quand la bibliothèque de Nag Hammadi fut découverte,
soit dans l'original grec ( VI,5 et 7, et XII,1 )
soit traduits en latin ( VI,8 ) ou en copte ( II,1
et III,4 ). Les deux versions en copte sont issues d'un
codex en papyrus à présent à Berlin, appelé
BG 8502, qui est un codex similaire à la bibliothèque
de Nag Hammadi. Pour cette raison, les deux autres traités
qu'il contient sont inclus dans ce livre.
Pour avoir une idée
de la somme de littérature qui a survécu dans la
bibliothèque de Nag Hammadi, l'on peut soustraire le total des
12 reproductions internes ou externes à la bibliothèque
de Nag Hammadi et atteindre ainsi le nombre de 40 textes nouvellement
découverts. Pour être exact, quelques fragments
existaient dans trois de ceux-ci, un en grec ( II,2 )
et deux en copte ( II,5 et VII,4 ) mais ils
n'avaient pas été identifiées en tant que tels
jusqu'à ce que soit disponible le texte complet. A présent
que toute la bibliothèque est accessible, des fragments
d'autres textes encore pourraient être identifiés. Mais
de tels vestiges d'un traité sont plus tentants qu'utiles. Une
restriction plus sérieuse de cette estimation de 40 nouveaux
textes se trouve donc dans le fait que certains d'entre-eux sont
assez fragmentaires ( VIII,1 
et 3 ; XI,1,2,3 et 4 
et XII,3 ). Il serait plus juste de considérer la
bibliothèque de Nag Hammadi comme additionnelle à la
somme de littérature qui a survécu depuis l'antiquité,
avec 30 textes assez complets, et 10 qui sont plus fragmentaires.
Bien que la bibliothèque
de Nag Hammadi soit en copte, les textes furent composés à
l'origine en grec. Le fait qu'ils aient été découverts
en Haute-Égypte pourrait donc être
trompeur. Bien sûr, certains ont été composés
en Égypte, car ils contiennent des
allusions spécifiques à ce pays : Asclépios
appelle l'Égypte « l'image
du ciel » 
appel aux « hydres en Égypte »
et aux « deux taureaux en Égypte »
comme témoins 
et le Neuvième instruit le fils afin d'« écrire
ce livre en caractères hiéroglyphiques pour le temple à
Diospolis » ( Magna près de Louxor ou
Parva près de Nag Hammadi ).
Pourtant les auteurs
écrivant en grec pourraient avoir été situés
n'importe où dans le monde ancien, là où le grec
était employé, en Grèce même ( VI,5 ),
ou en Syrie ( II,2 ), ou en Jordanie ( V,5 ).
Il en va de même pour la Bible et d'autres textes anciens
écrits dans diverses parties du monde ancien et préservés
dans les « sables arides de l'Égypte ».
Ainsi, la bibliothèque de Nag Hammadi implique une collecte de
ce qui était au départ un production littéraire
grecque par des auteurs anonymes et sans grand rapport les uns avec
les autres, répartis sur la moitié orientale du monde
ancien et sur une période allant quasiment jusqu'à un
demi-millénaire ( ou d'avantage si l'on prend en compte
une brève section de La République de Platon,
VI,5 ).
On ne connaît
presque rien des différentes personnes qui ont traduit les
traités en copte, ou de ceux qui les ont recopiés,
utilisés et enfouis, sauf ce que l'on peut déduire des
livres eux-mêmes. A cette période, la population lettrée
d'Égypte connaissait bien le grec, et la littérature
grecque était donc importée et recopiée
abondamment. Une ville de garnison romaine, Diospolis Parva, avec des
troupes de Galates venus d'Asie Mineure et parlant le grec, se
situait sur la rive du Nil opposée au site où la
bibliothèque de Nag Hammadi fut enfouie. Une inscription en
grec portant « Au nom de la [bonne] fortune de
l'empereur [César] Trajan Hadrien [Auguste] » a
été retrouvée à Khenoboskion, sur la rive
droite du Nil visible depuis le lieu d'enfouissement. Des prières
grecques adressées à Zeus Sérapis et mentionnant
Antioche se trouvent dans deux grottes de la falaise près de
l'endroit où les livres ont été enterrés.
Mais de plus en plus, les textes grecs comme la Bible et la
bibliothèque de Nag Hammadi furent traduits dans la langue
natale de l'Égypte. Cela s'illustre dans la région où
fut produite, lue et enfouie la bibliothèque, et pendant
approximativement la même période de temps, à
partir de La Vie de saint Pacôme. Ce texte, qui existe à
la fois en grec et en copte, raconte qu'un moine d'Alexandrie parlant
le grec vint voir Pacôme, qui « le fit vivre dans
la même demeure qu'un vieux frère qui connaissait le
grec » lorsqu'il apprenait la langue natale. Pendant
ce temps, Pacôme « faisait tous les efforts pour
apprendre le grec par la grâce de Dieu afin de découvrir
le moyen de lui offrir souvent le réconfort. Puis Pacôme
le nomma régisseur de la maison de l'Alexandrien et des autres
frères étrangers qui virent après lui ».
Quand la langue
égyptienne est écrite avec l'alphabet grec ( plus
quelques lettres pour les sons qui n'existent pas en grec ),
elle est appelée copte. La bibliothèque de Nag Hammadi
est rédigée en deux dialectes coptes. Même parmi
les textes traduits dans un seul dialecte, des divergences mineures
indiquent une pluralité de traducteurs, qui ne correspond pas
à la pluralité des scribes à qui l'on doit la
survie des copies. Dans le cas de ces reproductions, différents
traducteurs étaient impliqués, travaillant à
partir de textes grecs divergents. Le processus de traduction
pourrait s'être déployé sur une vaste superficie
en Égypte, et sur plus d'un siècle.
Chaque codex était relié en cuir. L'ébauche de
la taille désirée était souvent marquée
sur le cuir, après quoi le côté charnu de la zone
était revêtu de papyrus usés, collés en
d'épais cartons appelés cartonnages, produisant un
effet de reliure. Ces papyrus usés étaient des lettres,
écrites en grec ou en copte, et des documents commerciaux :
ils ont fourni des noms de personnes et de lieux, tout comme des
dates qui ont aidé à déterminer l'époque
et l'endroit où les couvertures avaient été
fabriquées. Après qu'une couverture ait été
ainsi doublée de cartonnage, une bande de la couverture était
tournée vers l'intérieur à la tête et au
pied de la première et de la quatrième de couverture
ainsi qu'au bord interne ( tranche ) de la quatrième
de couverture. Puisque l'échine de l'animal traverse
habituellement la couverture à l'horizontale, le
rétrécissement de la surface de peau menant jusqu'à
la queue de la bête pouvait être conservé pour
former un rabat s'étendant à partir du bord interne de
la première de couverture. A cela on ajoutait une lanière
pour entourer horizontalement le livre fermé. Cette pratique a
peut-être été empruntée à la
manufacture des rouleaux de papyrus, où une bande de parchemin
et une lanière étaient traditionnellement employées
pour protéger et maintenir le papyrus enroulé. Une
lanière était aussi nécessaire pour garder un
codex fermé.
Chaque livre de Nag
Hammadi possède un seul cahier, c'est-à-dire une seule
pile de feuilles pliées au centre pour fournir une surface
d'écriture ( bien que pour le Codex I le principal cahier
soit complété par deux petits cahiers ). Des
cahiers d'une aussi grande taille s'ouvriraient s'ils n'étaient
pas solidement liés. Des lanières plus courtes
s'étendant depuis la tête et le pied de la première
et de la quatrième de couverture étaient liées
ensemble afin de mieux maintenir fermé le codex. Deux des
couvertures ( IV et VIII ) n'ont pas de rabat sur le bord
interne ( tranche ) de la première de couverture,
bien qu'ils possèdent leur lanière habituelle. Une
troisième couverture de fabrication similaire ( V )
possède un rabat ajouté au bord interne de la première
de couverture. Ce groupe de trois livres semble avoir ainsi été
fabriqué à partir de peaux plus petites, et la médiocre
qualité du papyrus employé pour les cahiers confirme
cette impression globale d'économie. D'autres couvertures ont
un renforcement de cuir qui garnit l'échine et protège
la couverture et le cahier de la pression des lanières. Elles
sont trois à présenter cet assemblage ( VI, IX et
X ). Elles forment un second groupe parmi les couvertures,
auquel on peut ajouter une autre fabriquée de la même
manière ( II ) qui n'a toutefois plus aujourd'hui la
doublure qu'elle possédait.
Ce groupe se caractérise
par les avancées techniques mentionnées ci-dessus et
par une meilleure qualité esthétique. A vrai dire, la
couverture du Codex II présente un beau façonnage
teinté. Les quatre autres ( I, III, VII, XI ) ne
partagent pas ces traits distinctifs, sauf pour un certain caractère
rudimentaire, ce qui permettrait éventuellement de les
affecter à un groupe. Les scribes impliqués dans la
production des 13 codices peuvent être différenciés
par leur écriture manuscrite. Il semble qu'il existe quelques
cas où un scribe a travaillé sur plus d'un seul codex :
un premier scribe a copié presque tout le Codex I, mais un
second scribe a copié le traité 4 du Codex I 
second scribe a également copié les traités 1 et
2 du Codex XI. Un troisième a copié en différents
dialectes les traités 3 et 4 du Codex XI et aussi le Codex
VII. Ainsi, trois des quatre livres qui semblent ne pas avoir de
rapport entre eux quant à la façon dont ont été
fabriquées les couvertures, semblent bien avoir une
corrélation quant aux scribes qui les ont écrits.
Inversement, on pensait
auparavant qu'un même scribe avait copié les Codices IV,
V, VI, VIII et IX, ce qui aurait signifié que les deux groupes
distincts en termes de couverture en cuir devaient avoir un rapport
quant à l'écriture manuscrite. Mais une étude
récente des écritures indique qu'on a des écritures
différentes, même si elles sont similaires, qui
divergent le plus justement là où se trouvent les
différences de reliures, confirmant ( plutôt que
relativisant ) par là-même, tardivement, la
distinction en groupes basée initialement et uniquement sur
les couvertures en cuir.
Les deux groupes de
couvertures ajoutés à quatre couvertures disparates, et
le groupe d'écritures manuscrites ajouté aux divers
scribes, pourraient indiquer que la bibliothèque de Nag
Hammadi est une fusion secondaire de ce qui était à
l'origine une série de plus petites bibliothèques ou de
livres isolés. Ce que confirmerait la répartition des
copies. Aucun codex ne contient en lui-même deux copies d'une
même œuvre, pas plus qu'il n'y
a de traité en double parmi les livres appartenant à un
groupe de couverture.
A une exception près,
un même scribe n'a pas copié non plus deux fois le même
texte. L'exception serait celle de II,4 et XIII,2, qui
est le même texte écrit de la même écriture
manuscrite et avec une formulation à peu près
identique. Toujours est-il que la seconde copie fut écartée
quand le Codex XIII fut « démembré »
et qu'un seul traité ( XIII,1 ) se retrouva
préservé à l'intérieur de la première
de couverture du Codex VI – avec les premières
lignes du texte XIII,2 au verso de la dernière feuille,
feuille dont on ne pouvait se débarrasser sans mutiler le
texte que l'on essayait de préserver ( XIII,1 ).
Le fait que cette
reproduction manuscrite fut invalidée par la mise au rebut du
texte XIII,2 ( exception faite des inévitables
premières lignes ) pourrait attester de ce qui semble
avoir été une prise de conscience de l'inutilité
d'une telle reproduction. Une note de scribe dans le Codex VI exprime
le souci de ne pas mécontenter le commanditaire du travail
réalisé en reproduisant quelque chose de déjà
possédé. Donc, quand la reproduction augmente en termes
de composition d'une bibliothèque, on a tendance à
penser que les livres avec leurs copies n'étaient pas produits
en vue de toute la bibliothèque de 13 livres. Les traités
du Codex IV sont aussi dans le Codex III, et le Codex IV est ainsi
superflu dans cette présente bibliothèque. Et il y a un
total de trois copies de l'Apocryphon de Jean ( II,1 
III,1 et IV,1 ), un dans chaque classification de
couvertures. On peut ainsi supposer que la présente
bibliothèque provient d'au moins trois plus petites
collections.
La datation des
écritures manuscrites littéraires coptes, comme celles
qui sont attestées dans les textes avant nous, est bien moins
infaillible que celle des écritures manuscrites littéraires
grecques, ou celle des écritures commerciales de l'époque.
Une étude complète des écritures n'a pas encore
été réalisée, bien que des dates partant
au moins de la fin du IVe siècle aient été
suggérées. Normalement, les textes eux-mêmes ne
contiennent pas de dates ou de références historiques.
Mais Le Concept de notre grande Puissance pourrait fournir une
référence qui puisse servir de point de départ
pour la datation du Codex VI : « Cessez les
concupiscences et désirs néfastes et ( les
enseignements des ) anomoéens, infâmes hérésies
qui n'ont pas de fondement ! »
Pendant que l'archevêque
d'Alexandrie, Athanase, se tenait caché dans les monastères
de Pacôme à la fin des années 350, les hérétiques
« anomoéens » ont prospéré
à Alexandrie durant une brève période. Il est
probable que ce texte ait acquis sa forme finale à partir de
cette époque. Les papyrus usés, employés pour
les lettres et documents commerciaux et réutilisés pour
donner une épaisseur aux couvertures en cuir, peuvent être
localisés dans le temps et l'espace avec plus de facilité
que les feuilles qui composent les cahiers reliés à
l'aide de ces couvertures. Des dates trouvées dans ces
« cartonnages » du Codex VII sont les années
341, 346 et 348 de notre ère. Ceci indique que la couverture
du Codex VII fut manufacturée seulement après des
dates, mais peut-être aussi une génération plus
tard. Un document trouvé dans le cartonnage du Codex I
mentionne « Diospol[is] près de
Khenobos[kion] ». Divers sites sont indiqués
dans les cartonnages des autres couvertures et font partie de la même
région globale. Certains cartonnages de la couverture du Codex
VII semblent avoir appartenu à un moine dénommé
Sansnos qui était chargé du bétail d'un
monastère, ce qui atteste de ses rapports étroits avec
la manufacture des couvertures en cuir. Le siège du monastère
de l'ordre de Pacôme à Pabau ( où se situait
la basilique de saint Pacôme ) tout comme le troisième
monastère de Pacôme à Khenoboskion ( où
Pacôme en personne commença sa vie d'ermite ) se
trouvent seulement, et respectivement, à 9 et 5 kilomètres
de l'endroit ou la bibliothèque fut enfouie.
Ainsi, la provenance des
codices de Nag Hammadi a souvent été identifiée
à l'ordre monastique de Pacôme, qui comporte un
programme littéraire à grande échelle au moment
opportun et à l'endroit approprié quant à la
production des codices de Nag Hammadi. Mais la publication de ce
cartonnage en 1981 impliqua un rigoureux passage au crible des
preuves, qui se montra moins concluant que ce qui avait été
auparavant soutenu. Le rapport entre les codices de Nag Hammadi et le
mouvement de Pacôme demeure une possibilité tentante,
possibilité plus concrète que celles qui ont été
suggérées, et néanmoins loin d'être
assurée.
Au regard de
l'orthodoxie des monastères de Pacôme reflétée
par La Vie de saint Pacôme et par d'autres légendes
monastiques, certains hésitèrent à associer la
bibliothèque de Nag Hammadi à ces monastères, à
moins que ces textes n'aient été copiés pour
information « prête à l'emploi »
dans la réfutation de l'hérésie. Mais un
défenseur de l'orthodoxie chrétienne aurait
difficilement pris la peine de collecter les textes non-chrétiens
qui se trouvent dans la bibliothèque de Nag Hammadi. Et
encore, certains des textes chrétiens ne sont pas
explicitement « hérétiques » et
n'auraient guère été inclus dans une telle liste
noire. Le fait même que la bibliothèque semble avoir été
constituée en combinant plusieurs petites collections nous
fait pencher vers l'idée que les monastères, ou les
gnostiques chrétiens, réalisaient individuellement des
livres distincts ou des petites collections particulières pour
leur propre édification spirituelle, plutôt qu'une
campagne manuscrite à l'encontre des hérésies.
Puisque la littérature
chasseuse d'hérésie connue est en grec, on devrait
hésiter à poser comme hypothèse que cette
activité était largement répandue en copte. La
transmission de la littérature pacômienne entre les
monastères se faisait bien plus à pied. Bien sûr,
il est concevable que la manufacture de livres était peut-être
l'un des artisanats courants dans les monastères pour avoir
des marchandises à vendre ou négocier pour leurs
besoins. On pourrait donc supposer que des livres non inscrits
étaient produits dans les monastères et vendus aux
gnostiques ( ou à d'autres personnes ) afin de les
inscrire comme ils ou elles le jugeraient bon.
Mais il existe des
preuves de cette période montrant que les livres étaient
d'abord inscrits puis reliés, comme lorsqu'une ligne
d'écriture passe par la pliure à l'échine. Et,
dans la bibliothèque de Nag Hammadi, du buvard est souvent
présent sur la première et la dernière page mais
nulle part ailleurs, ce qui peut sans doute s'expliquer par le fait
qu'il fallait assécher l'humidité de la colle dans le
cartonnage au moment de la pose de la reliure, auquel cas le cahier
avait dû être inscrit avant d'être relié.
Le soin et la dévotion
religieuse reflétée dans la fabrication de la
bibliothèque de Nag Hammadi ne suggère pas que les
livres étaient produits en dehors de tout antagonisme ou même
d'un intérêt pour leurs contenus, mais reflète
d'avantage la vénération accordée aux textes
sacrés. Les couvertures en cuir ne sont pas très
ornées, comparées par exemple aux témoignages
selon lesquels les livres manichéens étaient garnis de
pierres précieuses ( même si les très
simples couvertures en bois des codices manichéens de Medinet
Madi qui nous soient restées sont encore plus quelconques que
les couvertures de la bibliothèque de Nag Hammadi ).
Pourtant, la simplicité aurait été de mise pour
les monastères de Pacôme. La Vie de saint Pacôme
relate : « Il apprit aussi aux frères à
ne pas prêter attention à la joliesse et beauté
du monde, que ce soient de belles nourritures ou de beaux vêtements,
ou une cellule, ou un livre en apparence séduisant ».
Le simple façonnage de certaines des couvertures en cuir ne
contient pas de croix ( II, IV, VIII ). L'ankh, le
hiéroglyphe symbole de la vie, qui est devenue la croix ansée
chrétienne, se trouve sur la couverture admirablement façonnée
du Codex II et à la fin de La Prière de l'apôtre
Paul. Le symbole du « poisson » acrostiche
qui représente le credo « Jésus Christ,
Fils de Dieu, Sauveur » se trouve dans deux notes de
scribe ( dans les codices III et VII ). Dans le premier
cas, le nom du scribe est conservé dans le commentaire « en
chair mon nom est Gongessos », ce qui est probablement
le nom latin de Concessus. Il a aussi le nom, ou titre spirituel,
d'Eugnoste. Il avait ainsi un statut spirituel, et s'en remettait à
ses « lumières ( compagnons ) d'armes
dans l'incorruptibilité ». Dans ce cercle
spirituel, il décrivit le texte comme « écrit
de Dieu ».
Si une telle note ne fut
pas composée par le scribe qui copia le codex survivant, elle
venait plutôt d'un scribe précédent qui écrivit
à un ancêtre 
scribe du Codex III n'a pas cru bon l'éliminer, et encore
moins la remplacer dans le texte par un avertissement sur l'hérésie.
Cependant, quelques notes écrites à la fin d'un codex
existant, pourraient avoir été composées par le
scribe de ce codex en particulier. Elles reflètent la dévotion
qu'il ( ou elle ) trouva dans ce qu'il copiait. Le Codex II
se termine par cette note : « Souvenez-vous aussi
de moi, mes frères, [dans] vos prières : Paix aux
saints et à ceux qui sont spirituels. » Le
Codex VII finit avec une note similaire : « Le
livre appartient à la paternité. C'est le fils qui l'a
écrit. Bénissez-moi, ô père. Je vous
bénis, ô père, en paix. Amen ».
Ces notes, ajoutées au soin des scribes pour corriger les
erreurs, tend à indiquer qu'ils avaient une conviction
religieuse et une sympathie pour ce qu'ils copiaient.
Peut-être que la
présentation courante de ce mouvement monastique du IVe
siècle comme tout à fait orthodoxe est un
anachronisme, et reflète d'avantage la situation d'un
monachisme plus tardif qui a rapporté les légendes au
sujet d'une période plus ancienne. Quand un ermite se retirait
dans le désert loin de la civilisation, il avait aussi
tendance à ne plus être en contact avec l'Église,
par exemple avec sa confrérie, ses sacrements et son autorité.
Au début du IVe siècle, il y avait dans le
delta un moine du nom de Hierakas, scribe de profession et interprète
érudit de la Bible, qui était tellement ascétique
dans ses opinions, qu'il soutenait que le mariage était limité
à l'ancienne alliance, car aucune personne mariée ne
« peut hériter du royaume des cieux ».
Bien que cela l'amenât à être classé parmi
les hérétiques, cela ne l'empêcha pas d'avoir des
disciples. Le Témoignage de vérité
représente un point de vue similaire :
Car personne qui est
sous la loi ne sera capable de chercher la vérité, car
ils ne seront pas capables de servir deux maîtres. Car la
profanation de la Loi est manifeste : mais la non-profanation
appartient à la lumière. La Loi commande ( à
quelqu'un ) de prendre un mari ( ou ) de prendre une
femme, et d'engendrer, et de se multiplier comme le sable de la mer.
Mais, la passion qui est une grande joie pour eux contraint l'âme
de ceux qui sont engendrés dans ce lieu, ceux qui profanent et
ceux qui sont profanés, afin que la Lumière puisse se
réaliser à travers eux. Et ils voient qu'ils sont en
train d'aider le monde 
lumière, incapables de [passer à côté] des
archontes de [l'obscurité] sans avoir versé leur
dernier [sou].
La Vie de saint
Pacôme raconte qu'un « philosophe »
de Panopolis ( ou Akhmim, là ou Pacôme bâtit
un monastère à 108 kilomètres en aval du site où
la bibliothèque de Nag Hammadi fut enfouie ) vint pour
tester les moines sur leur « compréhension des
Écritures ». Pacôme
envoya à sa rencontre son assistant Théodore :
Le philosophe
l'interrogea sur un sujet auquel il n'était pas difficile de
trouver une réponse, « Qui n'était pas né,
mais mourut ? Qui était né, mais ne mourut
pas ? Et qui mourut sans émettre la puanteur de la
décomposition ? » Théodore répondit
qu'Adam n'était pas né mais mourut, qu'Enoch était
né mais ne mourut pas, et que l'épouse de Loth mourut
mais, qu'étant devenue une statue de sel, elle n'émit
pas la puanteur de la décomposition. Le philosophe admit ces
réponses et partit.
Ceci pourrait bien être
un vague écho des débats pacômiens avec les
gnostiques chrétiens avant le milieu du IVe siècle
ap. JC. Les efforts d'Epiphane pour faire sortir les gnostiques
chrétiens hors de la ville eurent lieu en Égypte à
peu près à la même époque.
En 367 ap. JC.
l'archevêque Athanase écrivit une lettre pascale qui
condamnait les hérétiques et leurs « livres
apocryphes à qui ils attribuaient une ancienneté et
donnaient le nom de sacrés ». Théodore,
à la tête des monastères pacômiens, fit
traduire la lettre en copte et « la déposa dans
le monastère pour qu'elle leur serve de règle ».
Il devait encore y avoir des hérétiques, ou leurs
livres, influençant le mouvement monastique pacômien qui
rendit cet acte nécessaire.
Bien des textes de Nag
Hammadi sont en fait écrits sous un pseudonyme, c'est-à-dire
attribués dans leurs titres à un certain « saint »
du passé. Dans l'une des légendes pacômiennes, un
des « ces livres que les hérétiques
écrivent » mais « annoncent sous
le nom de sacrés » est évoqué par
une citation : « Après qu'Eve fût
trompée et eût mangé le fruit de l'arbre, c'est
du diable qu'elle donna naissance à Caïn ».
L'Hypostase des archontes dans la bibliothèque de Nag
Hammadi présente un récit qui va dans le même
sens :
Alors les autorités
vinrent vers leur Adam. Et quand ils virent son homologue féminin
parlant avec lui, ils furent troublés avec beaucoup d'émoi,
et ils s'éprirent d'elle. Ils se dirent les uns les autres,
''Venez, allons semer notre semence en elle'', et ils la
poursuivirent. Et elle se moqua d'eux pour leur stupidité et
leur aveuglement 
leur laissa d'elle une vague image lui ressemblant 
salirent ignoblement. – Et ils salirent le timbre de sa
voix, de manière à ce que par la forme qu'ils avaient
modelée, avec [leur] ( propre ) image, ils se
rendirent responsables de la condamnation.
Au
début du Ve siècle, Shenoute, l'abbé
du monastère Blanc à Panopolis ( où Pacôme
avaient fondé les monastères et d'où est venu le
« philosophe » )
attaqua un groupe au temple de Pneueit qui s'appelait « sans
roi », qui vénérait
le « démiurge »,
et n'aurait pas accepté Cyrille, archevêque
d'Alexandrie, comme leur « illuminateur ».
Ces termes, que Shenoute semble emprunter au groupe, sont si bien
connus dans la bibliothèque de Nag Hammadi qu'il est possible
qu'il s'agisse d'un groupe gnostique chrétien, peut-être
séthien, même si dans sa polémique, Shenoute les
appelle des hérétiques. Il se saisit de leurs « livres
pleins d'abominations »
et « de toutes sortes de magie ».
A vrai dire, des séries de voyelles et de mots magiques
inintelligibles ( Plotin les appelle des « sifflements » )
se trouvent dans la bibliothèque de Nag Hammadi. En fait
Pacôme écrivit lui-même aux supérieurs de
ses monastères en utilisant un code que même ses
successeurs ne pouvaient déchiffrer ! La bibliothèque
de Nag Hammadi et les « livres de lettres
spirituelles » de
Pacôme n'étaient donc peut-être pas entièrement
différents en apparence de ce que Shenoute aurait appelé
un livre de magie. Il menaça les hérétiques :
« Je vous ferai reconnaître ...
l'archevêque Cyrille, ou sinon l'épée exterminera
la plupart d'entre vous, et en outre, ceux qui seront épargnés
partiront en exil ».
Tout
comme les rouleaux de la mer Morte furent placés dans des
jarres et cachés ( pour être conservés en
sécurité ) à l'époque où la
Xe légion romaine approchait, l'enfouissement de la
bibliothèque de Nag Hammadi dans une jarre pourrait aussi
avoir été précipité à l'approche
des autorités romaines, qui étaient alors devenues
chrétiennes. Le fait qu'elle fut cachée dans une jarre
ne suggère pas une intention d'éliminer les livres,
mais de les préserver. Car non seulement les rouleaux de la
mer Morte ont été placés dans des jarres, mais
des manuscrits bibliques ont aussi été retrouvés
préservés de la même façon en amont et en
aval du Nil, dans certains cas datant de la même période,
et enfouis dans la même région que Nag Hammadi.
En 1952, on fit une
seconde découverte de manuscrits enterrés dans une
jarre quelques deux siècles après les codices de Nag
Hammadi. En fait, ce sont ces manuscrits, plutôt que les
codices de Nag Hammadi, qui sont plus certainement les vestiges d'une
bibliothèque de l'ordre monastique de Pacôme. Car cette
découverte comprenait des copies archivées de lettres
officielles émanant d'abbés appartenant à
l'ordre de Pacôme. Et le reste est également ce que l'on
attendrait d'une bibliothèque pacômienne : des
textes bibliques, apocryphes, martyrologiques et d'autres textes
édifiants. Pour être exact, il y a aussi quelques textes
classiques grecs et latins, dont la présence pourrait être
expliquée en supposant que les personnes qui rejoignaient le
mouvement donnaient tous leurs biens matériels à
l'ordre, qui aurait ainsi acquis des textes non-chrétiens. Et
plus tard, ils auraient été considérés
comme des textes vénérables au même titre que les
autres archives, reliques fragiles et fragmentaires à
préserver et n'étant plus destinées à
être lues.
Cette
seconde découverte est connue dans la région sous le
nom de « Papiers de Dishna »,
puisque Dishna près du fleuve et de la voie ferrée est
une grande ville grâce à laquelle les textes ont été
commercialisés. Mais le site de la découverte était
au pied du Jabal Abu Mana, à 5 km au nord-ouest de Dishna, et,
ce qui est encore plus significatif, à 5 km au nord-est du
siège de l'ordre de Pacôme, et à 12 km à
l'est du site où ont été découverts les
codices de Nag Hammadi.
Cette
découverte était connue dans les cercles scientifiques
de la génération passée sous le nom de Papyri
Bodmer, puisque la plus grande
partie a été acquise par la Bibliothèque Bodmer
près de Genève. Mais ce n'est que récemment, au
cours des recherches effectuées pour déterminer la
provenance des codices de Nag Hammadi, que la provenance des Papyri
Bodmer a été établie au-delà des bilans
des marchands d'antiquités et rendue publique dans le monde
scientifique.
La Bible mentionne
l'enfouissement d'une jarre comme moyen de conserver un livre, et le
feu comme le moyen de l'éliminer ( Jérémie
32:14-15 
rapporte qu'il se débarrassa d'un livre dont l'auteur était
Origène, qu'il considérait comme hérétique,
en le jetant dans l'eau, et précise que si le nom du Seigneur
n'y avait pas figuré il l'aurait brûlé.
L'incendie de la plus grande bibliothèque de l'Antiquité
par les chrétiens à la fin du IVe siècle
à Alexandrie suggère que cette solution aisée
n'aurait guère été négligée si le
but avait été de se débarrasser de la
bibliothèque de Nag Hammadi. Si les codices avaient fait
partie de la bibliothèque pacômienne, ils auraient dû
être retirés, pas par les chasseurs d'hérésie,
mais par les dévots qui les chérissaient suffisamment
pour les enterrer à l'abri dans une jarre, peut-être
pour la postérité. Deux des textes de la bibliothèque
de Nag Hammadi disent avoir été stockés pour
être conservés à l'abri dans une montagne jusqu'à
la Fin des temps. L'Évangile des
Égyptiens s'achève
comme suit :
Le Grand Seth écrivit
ce livre avec des lettres en cent trente ans. Il le plaça dans
la montagne qui s'appelle Charaxio, afin que, à la fin des
temps et des ères, il puisse venir et révéler
cette incorruptible et sainte race du grand sauveur, et ceux qui
demeurent avec eux dans l'amour, et le grand Esprit éternel
invisible, et son Fils unique...
Peu avant la fin
d'Allogène, on trouve une idée similaire :
Ecrivez [les choses
que je] vous [dirai] et que je vous rappellerai pour le bien de ceux
qui seront dignes après vous. Et vous laisserez ce livre sur
une montagne et vous adjurerez le gardien, ''Viens, celui qui est
Redoutable''.
De chaque côté
de la vallée du Nil, des falaises abruptes s'élèvent
au-dessus du désert. La partie sur la rive droite marquant la
limite de la vallée du Nil et des terres arables entre
Khenoboskion et Pabau s'appelle Jabal al-Tarif. Un bloc de roche
proéminent ayant un peu la forme d'une stalagmite s'est
détaché de la falaise pendant la préhistoire, et
est tombé sur le talus d'éboulis ( le plan incliné
de pierres tombées qui, au cours des âges, se sont
naturellement accumulées comme un contrefort au pied de la
falaise ). Sous le flanc nord de l'un des énormes
morceaux en forme de fût et issus de ce bloc de roche épars,
était cachée la jarre contenant la bibliothèque
de Nag Hammadi.
Sur
la façade de la falaise, juste en haut du talus qu'on peut
escalader sans difficulté, des tombes de la VIe
dynastie et des règnes de Pépi Ier et de
Pépi II ( 2350-2200 av. JC ) avaient été
dévalisées depuis longtemps au moment de l'Antiquité.
Elles étaient ainsi devenues des grottes désertées
et fraîches où un moine aurait bien pu effectuer une
retraite solitaire, comme le rapporte lui-même Pacôme, ou
encore un endroit où un ermite aurait pu avoir sa cellule.
Des prières à
Zeus Sérapis en grec, les premières lignes des psaumes
bibliques en copte, et des croix chrétiennes, toutes peintes
en rouge sur les murs des grottes, montrent qu'elles étaient
ainsi employées. Peut-être que ceux qui chérissaient
la bibliothèque de Nag Hammadi faisaient un tel usage de ces
grottes, ce qui expliquerait le choix de ce site pour
l'enfouissement. Toujours est-il que la jarre y est demeurée
un millénaire et demi...
~ 3 La
découverte
Durant le mois de
décembre, les paysans de la région de Nag Hammadi en
Haute-Égypte fertilisent leurs cultures avec des nitrates
issus du talus de Jabal al-Tarif, à l'aide de sacoches
chargées sur leurs chameaux. Deux frères, Mohammed et
Khalifa Ali du clan al-Samman, attachèrent leurs bêtes
sur le côté sud du bloc de roche affaissé, et
creusèrent autour de sa base. Ils tombèrent à ce
moment sur la jarre. Mohammed raconte qu'il a d'abord craint de
briser la jarre, dont l'orifice pouvait avoir été
scellé avec du bitume, au cas où un djinn aurait été
enfermé à l'intérieur 
réflexion, c'est-à-dire en pensant que la jarre
pourrait contenir de l'or, il reprit son courage à deux mains
et la fracassa avec sa pioche. Des particules couleur or tournoyèrent
et disparurent dans le ciel – ni djinn, ni or à
l'horizon, mais sûrement des fragments de papyrus !
Il enveloppa les livres
dans sa tunique, mit le paquet sur son épaule, détacha
son chameau, et les ramena chez lui, une masure dans le hameau de
al-Qasr, qui était l'ancien site de Khenoboskion où
Pacôme avait commencé sa vie de chrétien. Six
mois auparavant, au cours de la nuit du 7 mai 1945, Ali, le père
de ces deux frères, avait tué un maraudeur une nuit où
il travaillait comme gardien pour surveiller les équipements
d'irrigation des champs. Au milieu de la matinée suivante, il
fut assassiné à son tour par vengeance meurtrière.
Environ un mois après la découverte des livres, un
paysan du nom d'Ahmed s'endormit assis dans la chaleur du jour sur le
bord d'une route poussiéreuse non loin de la maison de
Mohammed Ali, avec à ses côtés une jarre de
mélasse de canne à vendre. Un voisin le désigna
à Mohammed comme le meurtrier de son père. Mohammed
courut à la maison et alerta ses frères et sa mère,
qui, devenue veuve, avait demandé à ses sept fils de
garder leurs pioches acérées. La famille entière
se jeta sur l'homme et le tailla en pièces. Morceau par
morceau, ils lui arrachèrent même le cœur
et le dévorèrent entre eux, ultime acte d'une
revanche meurtrière.
Ahmed n'était
autre que le fils du « shérif » Isma'il
Husayn, un homme fort respecté à al-Qasr, en fait un
membre de la tribu des Hawara, qui est tant en marge de la société
qu'elle se considère comme non-arabe, même si elle
descend directement du Prophète. Le village des Hawara, Hamrah
Dum, se situe juste au pied du Jabal al-Tarif : c'est la raison
pour laquelle Mohammed Ali avait eu peur de retourner sur le site de
sa découverte, de crainte que sa vengeance ne soit à
son tour vengée. En réalité, le frère
d'Ahmed prit sa revanche à l'époque, en tuant deux
membres du clan al-Samman. Une décennie plus tard, le fils
d'Ahmed, alors adolescent, apprit qu'à la nuit tombée
aurait lieu une procession funéraire de la famille de Mohammed
Ali à al-Qsar. Il prouva sa virilité en se glissant
furtivement dans le village et en tirant des coups de feu, faisant
une vingtaine de blessés et de morts. Mohammed Ali montre une
blessure au-dessus de son cœur pour prouver la tentative de
vengeance ratée.
Mais il refusa dur comme
fer de retourner à la falaise pour reconnaître le site
de la découverte, jusqu'à ce qu'une tenue de
camouflage, une escorte gouvernementale, et bien sûr une
compensation financière le persuadent de changer d'avis.
Le village d'al-Qasr
était si content de s'être débarrassé du
fils du shérif qu'aucun témoin
oculaire ne fut trouvé pour témoigner à
l'audition. Mais durant cette période, la police chercha
chaque soir des armes dans la maison de Mohammed Ali. Ayant entendu
dire que les livres étaient chrétiens, sans doute sur
la base de l'écriture copte, Ali demanda au prêtre copte
d'al-Qasr, Basiliyus Abd al-Masih, s'il pouvait les conserver dans sa
maison puisque celle d'un prêtre ne risquait pas d'être
fouillée. La femme de ce prêtre avait un frère,
Raghib Andrawus, qui allait de village en village pour enseigner
l'anglais et l'histoire dans les écoles religieuses coptes. En
voyant un des livres ( le Codex III ), il reconnut sa
valeur potentielle et persuada son beau-frère de lui donner.
Il l'emmena au Caire et le montra à un médecin copte
qui s'intéressait à la langue
copte, George Sobhi, qui à son tour appela les responsables du
département des antiquités égyptiennes. Ces
derniers prirent contrôle du livre, moyennant le paiement de
300£. Après bien des délais, Raghib reçut
finalement 250£ contre le versement de 50£ comme don au
musée où le livre était mis en dépôt.
Le registre du musée
indique la date du 4 octobre 1946. Pensant que les livres étaient
sans valeur, et même peut-être une source de malheur, la
veuve d'Ali décida d'en brûler une partie dans le four
( probablement le Codex XII, dont il ne reste que quelques
feuilles fragmentaires ). Des voisins musulmans illettrés
échangèrent ou achetèrent le reste pour presque
rien. Nashid Bisadah en avait un, et chargea un marchand d'or de Nag
Hammadi de le vendre au Caire, sur quoi ils se partagèrent le
bénéfice. Un marchand de céréales en
avait acquis un autre et le vendit au Caire à si bon prix
qu'il put y ouvrir un magasin. Les villageois d'al-Qasr dirent qu'il
s'agissait de Fikri Jabra'il, aujourd'hui propriétaire de la
Boutique de Nag Hammadi au Caire 
nie farouchement toute implication, tout en connaissant bien
l'histoire. Bahij Ali, un hors-la-loi borgne d'al-Qasr, obtint la
plupart des autres livres. Escorté de Dhaki Basta, un marchand
d'antiquités bien connu dans la région, il se rendit
dans la capitale. Ils les proposèrent d'abord à la
boutique de Mansoor à l'Hôtel des Bergers, puis à
la boutique de Phokion J. Tano, qui acheta tout leur stock et se
rendit à Nag Hammadi pour voir s'il en restait.
La plus grande partie du
Codex I fut exportée de l'Égypte par un marchand
d'antiquités belge installé au Caire, Albert Eid. Il
fut mis en vente à New York et Ann Harbor en 1949, en vain,
puis plus tard en Belgique ( par Simone, la veuve de Eid )
où il fut acquis le 10 mai 1952 par l'Institut Jung de Zurich
et appelé le « Codex Jung ». Il retourna
au Caire bout par bout, après publication, où il est
actuellement conservé au Musée copte. Pendant ce temps,
la collection de Tano fut emmenée sous bonne garde par le
Département des Antiquités égyptiennes pour ne
pas quitter le pays. Après l'arrivée au pouvoir de
Nasser, elle fut nationalisée contre une compensation
symbolique de 4000£.
Aujourd'hui la
bibliothèque de Nag Hammadi est à nouveau réunie,
et conservée au Musée copte. Togo Mina, le directeur du
musée à l'époque de la découverte, avait
fait ses études à Paris sous la direction d'Abbot
Etienne Drioton, devenu ultérieurement directeur du
Département des Antiquités égyptiennes. Et Togo
Mina avait eu pour camarade de classe la femme de Jean Doresse, un
jeune scientifique français qui partit en Égypte pour
étudier les monastères coptes. Togo Mina fut ravi de
lui donner un accès au Codex III et de projeter avec lui une
édition de la bibliothèque, principalement en français,
projet qui fut stoppé net par la mort de Mina en 1949.
Une
réunion des membres d'un comité international au Caire
( en 1956 ) amena la publication de L'Évangile
de Thomas en 1959. Et le Codex
Jung fut graduellement publié en 6 volumes entre 1956 et 1975.
Pendant ce temps, le nouveau directeur du Musée copte, Pahor
Labib, projeta de publier la plus grande partie de la bibliothèque
avec les scientifiques allemands Alexander Böhlig et Martin
Krause. Au début des années 60, le directeur général
de l'Unesco, René Maheu (de France), conclut un accord avec
Saroite Okacha, le ministre de la Culture et le Conseil national de
la République Arabe Unie3,
pour publier une édition complète par un comité
international choisi par l'Égypte et l'Unesco. Mais quand on
s'aperçut que plusieurs des textes de choix avaient déjà
été chargés d'une publication, le projet de
l'Unesco fut réduit à une édition en fac-similé.
Le projet resta plus ou moins en sommeil jusqu'à ce que le
comité international pour les Codices de Nag Hammagi soit
constitué à la fin des années 70.
L'Édition en
fac-similé des Codices de Nag-Hammadi4
fut publiée par Brill en 12 volumes entre 1972 et 1984.
Plusieurs
missions « anciennes » ont à présent
été publiées, et des éditions complètes
en anglais, et en allemand sont actuellement en préparation.
Cet ouvrage s'est servi des traductions issues de l'édition
anglaise en 17 volumes, intitulée The Coptic Gnostic
Library.
Avec la publication de
La Bibliothèque de Nag Hammadi le travail ne fait que
commencer, car il marque un nouveau début pour l'étude
du gnosticisme. Il y a plus d'un siècle de cela, des étudiants
commencèrent à travailler sur le gnosticisme afin de
comprendre de quoi parlaient les Pères de
l'Église chasseurs d'hérésie. Vers le
début du XXe siècle,
l'école de l'histoire des religions ouvrit le débat
en recherchant les origines du gnosticisme à travers le
Proche-Orient ancien. Entre les deux guerres mondiales, Hans Jonas
offrit une interprétation philosophique du gnosticisme, qui,
pour la première fois, avait un sens comme manière
possible de comprendre l'existence. Rudolf Bultmann interpréta
alors le Nouveau Testament autrement, selon les termes d'une
interaction avec le gnosticisme, impliquant une appropriation tout
comme un affrontement. Pourtant, les résultats de ce siècle
de recherches sur l'origine, la nature et l'influence du gnosticisme
demeurèrent dans une certaine ambivalence, comme suspendus à
l'incertitude.
Personne ne peut manquer
d'être impressionné par la clairvoyance, la capacité
constructrice, les éminentes intuitions des savants et
scientifiques qui, partant de sources limitées et secondaires,
furent capables de produire des hypothèses de travail qui en
réalité fonctionnaient bien. Toutefois, la bibliothèque
de Nag Hammadi a attiré l'attention sur le fait que ces
sources étaient bien maigres. Car si sa découverte
était accidentelle et son contenu quelque peu arbitraire, le
déluge de nouveaux documents de base qu'elle contient ne peut
manquer de l'emporter sur les élaborations et conjectures du
savoir précédent.
Mais, pour la première
génération d'après la découverte, les
nouveaux documents de base était tout au plus un « goutte
à goutte », et l'incertitude amena la stagnation,
alors que la communauté scientifique attendait et attendait.
A
présent le moment est venu de rassembler les efforts, avec
toute la bibliothèque de Nag Hammadi rendue accessible, pour
réécrire l'histoire du gnosticisme, pour comprendre de
quoi il s'agissait réellement, et bien sûr pour poser de
nouvelles questions. Rarement une génération
d'étudiants s'est trouvée devant une telle
opportunité ! Que les lecteurs de La Bibliothèque
de Nag Hammadi partagent cette exaltation, et cette
responsabilité, avec (SUITE DANS LE LIVRE)
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